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L’ÉLÉGANTE VENGEANCE

— Carnaval… Venise !…

Et le très noble seigneur, émerveillé, ne cesse de regarder la ville féerique et flottante qui jaillit de la nuit, au premier chant magique des fêtes du plaisir.

— Je veux aller à Venise ! crie-t-il de toutes ses forces.

Il accentue sa ferme résolution en piétinant sur la route.

— Vite, une gondole !

Venise, merveilleusement brillante est la terre promise. Elle renferme la réalisation de tous ses désirs, et sa beauté incandescente lui accordera la plénitude du bonheur.

— Il est bien tard, objecte l’homme à la cape.

— N’importe ! Tout de suite, ordonne le très noble seigneur en jetant une bourse qui sonne bien garnie.

Flegmatiquement, l’homme laisse sa cape glisser sur le sol. D’un geste lent et vigoureux, il tire vers lui une gondole amarrée derrière les barques. En une seconde, les bagages sont chargés.

La belle fille, jusqu’alors immobile, laisse passer un bras entre les franges épaisses de son brandello, un bras très blanc, en vérité, pour saluer d’un geste l’embarcation qui, silencieuse, vogue sur les eaux argentées, vers la ville des mirages.

Du large, répond une voix d’homme chaude et prenante :

Addio, Manina, addio !