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L’ÉLÉGANTE VENGEANCE

gation, elle se décomposait en lagunes où plongeaient les regards de la lune. Et c’était un contraste pénétrant et prenant et délicieusement doux que ces landes langoureuses, défaillantes et noires que bariolait la lumière lunaire. Toutes ces eaux stagnantes s’encadraient profondément dans les buissons sombres et ternes. Quelques barques larges et plates bâillaient béatement sur l’eau ; elles étaient immobiles comme si un lourd sommeil les avait traîtreusement surprises. De la poupe d’une de ces barques émergeait une forme féminine ; c’était une fille grande et robuste, serrée dans son brandello noir qui ne laissait percevoir, aux reflets de la lune, qu’un ovale charmant, qu’une mèche capricieuse et dorée flottant aux rythmes du zéphyr ; et deux pieds nus ravissamment blancs se reproduisaient blancs mêmement, dans le miroir des ondes. Sur le rivage, un homme au grand feutre rabattu sur ses yeux et roulé dans une cape au col de fourrure, se profilait à l’horizon, pas tout à fait diaphane et presque opalin. Des yeux se cherchaient avidement en silence, et le regard de l’un plongeait dans le regard de l’autre, comme la lune plongeait dans les lagunes argentées.

Un coup de fouet claque ; des grelots à saccades trillent cristallinement ; des sabots de chevaux résonnent fougueusement, et les petits cailloux de la route crissent sous le poids des roues qui les écrasent.

Une calèche s’arrête. Un laquais saute à terre, ouvre