Page:Allatini - Sur talons rouges, contes, 1929.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
SUR TALONS ROUGES

Puis il reprit sa guitare et sanglota encore une de ses vieilles complaintes. Cela commençait ainsi :

« Pourquoi me refuser ?… »

Mais Vespasien n’entendait rien à la poésie et encore moins à la musique. Tout ce qu’il comprit c’était une longue énumération de tout ce que la cruelle inconnue refusait à Pierrot et que Pierrot désirait si ardemment. Curieuse coïncidence : cette énumération cadrait bien avec les désirs de Vespasien et lorsque la chanson mourut dans un sanglot, Vespasien pleurait à chaudes larmes.

Alors Pierrot tendit ses mains à travers ses longues manches et s’approcha de Vespasien.

— Tu pleures ?… Tu as pitié de moi… Colombine m’a trahi… Elle est à présent une Marquise. Elle va au bal… Elle porte des souliers blancs et des talons rouges, et des perles autour du cou. Elle m’a oublié… Mais j’espère, un jour, la retrouver et l’étreindre sous mes caresses.

Vespasien prit un air sceptique.

— Viens ! Tu seras mon compagnon dans le malheur. Tu as froid peut-être ? Viens nous dormirons sous les ponts l’un tout contre l’autre.

Cette proposition sembla honnête, et Vespasien se laissa faire. Pierrot l’enroula dans une guenille et prit Vespasien sous le bras. Lorsqu’ils passèrent sous une arche, Pierrot s’étendit à terre, serra les genoux contre son ventre et Vespasien sur son cœur.

— Ah ! qu’il fait bon un peu se réchauffer, pensa