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LES FANTAISIES DE VESPASIEN

zags blafards dans les eaux sombres. Il sauta sur les branches des arbres qui longeaient la berge. Il tremblait de tous ses membres. Avait-il seulement froid ? Il sentait, comme la lune dans l’eau, courir des zigzags le long de son épiderme, des zigzags tranchants qui labouraient sa chair et ses os. Et tous ses poils se hérissèrent très inconfortablement. Sa longue queue nerveuse et terne battait l’air désespérément et s’entortillait en tout sens comme un reptile qui cherche une proie. Il sentait avoir en lui quelque chose de trop qu’il fallait extérioriser. Mais quelle était cette chose ? et comment l’extérioriser ? En tout cas, c’était bien incommode ce qu’éprouvait Vespasien. Il tournait la tête de droite à gauche, de gauche à droite, dans l’espoir de rencontrer quelqu’un ou n’importe quoi, qui lui suggérât un conseil à suivre. Mais il ne vit qu’une forme blanche qui se traînait tristement le long du parapet des quais. Cette forme se mit alors à gesticuler burlesquement. Elle chantait en s’accompagnant sur une guitare. C’était Pierrot… et c’était bien triste ce qu’il chantait.

Pierrot chanta « Au clair de la lune » et Vespasien pour se donner une contenance se chercha encore une puce. En vain : elles étaient toutes mortes comme la chandelle de la chanson. Alors Pierrot pleura et fit une prière poignante et muette à la lune. Il joignit les mains, mais ses manches blanches étaient trop longues et les bouts pendaient lamentablement comme les loques d’un souvenir perdu.