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LE SALUT DU MAL

l’âme après un soubresaut écœurant. On eût dit que le charme de ma chanson rompu, il devait mourir. Lequel des deux était-ce ? Je ne le sais pas. Cela m’était égal. L’essentiel était que l’un d’eux mourût. L’autre aussitôt grimpa sur l’échelle et avant qu’il n’atteint le balcon, il avait déjà mes lèvres. Était-ce Gonzago ? Gonzales ?… Je l’ignore encore. Je sais que mon bras qui se jeta autour de son cou avec transport lui planta un poignard, comme le matador qui touche le garot du taureau, mais je n’ai pas voulu le tuer. Je ne l’ai blessé que mortellement. Il tourbillonna, lâcha prise et s’abîma sur le corps de son frère. Je lui criai, rageuse et radieuse : « Tu trouveras sous le porche mon cheval. Je l’ai sellé pour que tu ailles dire à Madrid que la Duchesse Segrario Jesusa de Buenapaz dite Doña Juana t’a tué comme elle a tué le Marquis Perez de Loñogo. Dépêche-toi d’arriver avant la mort. Dépêche-toi… »

Juana baissa la tête, et ajouta à voix basse :

— Mais je n’ai pas eu le front de lui dire que l’homme qu’il avait tué était son frère. Requiescat in pace.

Le visage baigné de larmes, elle récita le Confiteor.

Alors le moine se redressa de toute sa terrible maigreur.

— Tiendras-tu ta promesse ?

Elle n’eut pas la force de répondre. Son front esquissa un signe affirmatif. Et aussitôt, elle cria :

— L’absolution, mon Père ! Donnez-moi l’absolution.