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SUR TALONS ROUGES

lantes se soutenaient encore dans les bras de cette flore sauvage et dominatrice. L’échelle de corde se balançait au gré de la brise saturée du parfum d’oléandres et d’orangers en fleurs qui s’adossaient au mur de la vieille maison. Et c’était un doux contraste à une âme damnée comme la mienne que la fusion de ces symboles fraternisant alors : le poison de la corruption et la candeur de la pureté. La lune se levait derrière l’orée du bois. Je pris ma guzla et chantai une romance gitane, une romance d’amour et de mort.

Deux ombres se profilèrent dans le jardin. L’une escaladait le mur de droite, l’autre franchissait la grille de gauche. C’étaient eux. Ils se virent. Ils se baissèrent comme deux tigres qui se ramassent sur eux-mêmes pour mesurer la longueur de leurs bonds.

Les navajas scintillèrent au clair de lune… et je chantai, joyeuse, exultante, ma vieille romance qui dit qu’en amour l’un des deux doit mourir, et ma romance exhortait celui que le destin avait désigné à périr en héros et excitait celui qui, après la victoire, goûterait l’enchantement de l’amour. « Quel que soit l’autre, courage ! chantais-je. Le vaincu sera un brave et le vainqueur mon amant. » Je ne suivais pas le duel. Il ne m’intéressait pas. J’entendis cependant des cris de colère et de douleur et à travers les loups noirs leurs yeux lançaient des éclairs effrayants. La romance était longue et le duel interminable. Dès que ma voix se tut, l’un d’eux tomba à terre dans une mare de sang et lorsque mes doigts pincèrent le dernier accord, il rendit