Page:Allatini - Sur talons rouges, contes, 1929.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
147
LE SALUT DU MAL

à Alcalã. » Et lorsqu’il reprit son chemin, je le rappelai. « Señor, écoutez-moi, vous me trouverez cette nuit sur mon balcon. Une échelle de corde y pendra. Vous êtes hidalgo, je pense, et vous n’avez pas peur. Mon mari jaloux rôde autour de la maison. Je ne l’aime pas et ne le crains pas, bien qu’il soit brutal et qu’il me batte chaque jour. Mettez un loup noir sur votre beau visage afin qu’il ne sache pas qui vous êtes, changez votre voix et venez armé jusqu’aux dents. Nos baisers n’en auront que plus de saveur. » Je cueillis un coquelicot sur le bord de la route et le lui offrit en lui montrant mes dents blanches. Il partit. Les caresses du soleil alanguirent mes membres et l’attente me fut lente et lascive. J’attendais l’autre. Quelques voyageurs passèrent encore sur la route et bien qu’ils m’eussent interpellée, je les ignorais. Il me fallait Don Gonzago. Il vint. Mon énervement fut extrême et mon ardeur indomptable. Je pus vite le satisfaire, car son visage était plus pur que celui d’une vierge et son corps plus souple et plus lisse qu’un reptile. Quant à son cœur !… Ha ! Ha ! plus tendre encore que celui de son frère. Ce ne fut que la répétition littérale de la première scène. Je l’attendais lui aussi à l’heure où la lune se lève, là-bas, sur ce balcon d’amour. Oh ! ce balcon ! Il était délabré. C’était une ruine de vieilles pierres patinées et sculptées à la mode de Philippe II, que Dieu ait son âme. Quelques fers battus, rouillés par les pluies d’automne, brisés par le temps ou par l’étreinte impitoyable des plantes grimpantes envahissantes. Toutes ces ruines chance-