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SUR TALONS ROUGES

sûr qu’ils viendraient. Tout Madrid savait que je m’étais enfuie dans cette direction, le jour même de la mort du vieux Marquis.

Elle s’arrêta un instant pour reprendre haleine.

— Au fait, au fait ! gronda le moine d’une voix tonitruante.

— Il faisait beau, il faisait doux. La nature ondulait voluptueusement sous les parfums grisants de la brise attiédie. C’étaient des ondes de fleurs, de fruits, qui tournaient dans l’espace. Quelle ivresse !

— Dévergondée ! cria le moine en râclant sa gorge.

Elle reçut un crachat en pleine figure. Mais le transport de son esprit illuminé l’empêcha de s’en apercevoir et elle poursuivit sa confession.

— Don Gonzales parut le premier. Je le reconnus tout de suite, mais il ne put me reconnaître sous mon déguisement. Il chevauchait sur la route. Je l’arrêtais comme les gitanes arrêtent les voyageurs. Il était beau. Jamais il ne me parut aussi beau ! Ses sens furent facilement éveillés et assouvis. Il me demanda ensuite quelques renseignements que je m’empressais de lui donner faux. Il était conquis. « Viens ce soir chez moi. Je t’attends ! lui dis-je. J’habite là, derrière cette carrière, tu y verras une maison de campagne abandonnée. Viens à l’heure où se lève la lune. Je t’y attendrai. » Je lus ensuite dans sa main : « Tu as un frère que tu aimes plus que toi-même, lui dis-je. — Oui, il me suit de près, répondit-il. Tu le rencontreras avant la fin du jour. Il passe par Ganillejas. Nous devons nous rencontrer