Page:Allatini - Sur talons rouges, contes, 1929.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
142
SUR TALONS ROUGES

du Roi et crièrent vengeance. Le Roi, en bon et libéral Bourbon, les écouta avec patience et leur accorda sa bienveillance, s’ils parvenaient à prouver la culpabilité de Doña Juana. L’entretien qu’ils eurent à la cour produisit presque un deuxième esclandre. C’était pour ainsi dire s’opposer à l’infaillibilité de l’Église.

Les moines revenaient de l’office de minuit.

Silencieusement, deux par deux, les mains jointes, enfouies sous leurs manches flottantes, ils passèrent sous les arcades du cloître et s’engouffrèrent ensuite dans les longs corridors éperdument sombres, pour regagner chacun leur petite cellule. Diego s’arrêta sur le seuil de sa porte et s’inclina devant ses frères jusqu’à ce que le cortège se fut éloigné. Il entra dans sa cellule et releva la tête ; il regarda sévèrement les quatre murs blancs de son exiguë demeure, car l’esprit malin, qui guette nuit et jour la bonne occasion, aurait bien pu s’insinuer chez lui durant son absence. Il se redressa de toute sa prestance terrible et sévère. Les jeûnes et les privations avaient réduit son corps osseux d’une ascétique maigreur. Lorsqu’il fut assuré d’être seul dans sa cellule avec l’esprit de Dieu, il étala du pied un tas de cailloux pointus soigneusement rangés dans un coin et se laissa choir à genoux de toutes ses forces sur les pierres. Il se livra à cet exercice, pour symboliser l’inexistence de la douleur terrestre dans la délec-