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SUR TALONS ROUGES

Alors, résolument, puisque c’était Dieu qui le voulait, elle accourut chez le moine Diego, son austère confesseur, qui, après lui avoir révélé les horreurs de l’enfer, lui ordonna de se sacrifier ainsi qu’une martyre volontaire. Juana releva fièrement la tête dont les yeux étaient férocement résolus et s’enlisa dans la débauche et le crime pour jouir de l’horrible torture auquel le Seigneur l’avait condamnée.

Depuis lors, elle fut terrible. Enjôleuse, gracieuse, coquette, impitoyable, elle ne laissait sur son passage que désespoirs et détresses, que sanglots et souffrances, accumulant crimes sur crimes, mais elle marchait toujours plus avant dans la vie avec une expression inspirée d’illuminée ; ses yeux tournés vers le ciel ne voyait pas les chairs blessées encore fumantes que ses pieds foulaient cruellement.

Une journée de printemps, d’étirante tiédeur.

Doña Juana rêvait alanguie. Sa figure trahissait une grande fatigue. La nuit dernière avait été vouée à l’immolation de sa millième victime. C’était une nuit dont le souvenir seul était répulsif. Elle avait déchaîné toutes ses énergies sataniques pour fondre, du crépuscule à l’aurore, l’amour le plus passionné à la mort la plus affreuse. Il avait tant souffert et elle était épuisée dans la joie exultante, ivre de soupirs et de sang, à le voir lutter contre l’atroce agonie. Car elle était experte dans l’art de faire mourir, et savante à retarder la mort pour que les souffrances se prolongeassent, intolérablement interminables.