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LE SALUT DU MAL

ment dans un secret dont la révélation aurait offusqué ses sentiments et ses principes.

Doña Juana comprit un jour qu’elle était venue sur terre pour remplir une mission. Elle sentit alors la différence entre elle et ses semblables qui se laissent invariablement porter comme des poupées tout le long de leur vie dans les bras de la mère, de l’époux et de l’église.

Doña Juana sentait une voix forte crier au fond de sa conscience, et cette voix impérieuse la faisait souffrir, car son naturel nonchalant se fût volontiers et toujours abandonné à la douceur de l’oisiveté rêveuse. Et cette voix devenait si forte qu’elle criait pour tout un bataillon de femmes… ; les femmes criaient : « Vengeance ! Vengeance ! » Juana se tordit les bras de douleur, car elle n’aimait que le repos et Dieu. Ces deux passions se fondaient en une seule, puisque l’idée de l’éternité pour elle n’était traduisible que par l’état de l’immobilité. Elle aimait Dieu avec ses ferveurs et ses fureurs ardentes dans l’espoir que l’extase lui fit goûter la stagnante sérénité. Mais les voix criaient chaque jour plus fort : « Vengeance ! Vengeance ! » et Juana comprit que ces appels torturants c’était Dieu qui les lui envoyait. Il l’avait désignée pour accomplir une mission terrible, mais rédemptrice. Ces voix étaient les âmes des mille et trois femmes que le cruel Don Juan avaient trompées. Et pour les venger, elle devait faire souffrir mille et trois hommes et damner son âme pour la rémission des péchés des mille et trois brebis égarées.