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SUR TALONS ROUGES

couper de pleurs. D’un mouvement brusque, elle enleva de son cou un collier de perles de rubis qui servait, selon le moment, de parure ou de chapelet. Ses doigts l’égrénèrent plusieurs fois. C’était avec peine que ses petits ongles pointus parvenaient à faire glisser une perle après l’autre, tant son débit oratoire était vertigineux. Son front était abandonné sur les orteils révulsés du Seigneur, son bras droit étreignait avec passion la croix et les jambes dont la vieille peinture craquelée laissait paraître des taches brunes de bois. Elle priait, les yeux au Paradis, les yeux blancs au Paradis. Puis elle frappa violemment sa poitrine en gémissant son « mea culpa ». Les gémissements dégénérèrent en cris, si bien qu’abandonnée à son ardeur désordonnée, presque hystérique, elle enfonçait ses ongles pointus dans sa chair. Des gouttes de sang perlèrent sur sa gorge le long des égratignures et glissèrent sur les dentelles noires de son corsage ; la vue du sang lui arracha des cris de transports.

Elle se leva et laissa rouler sa poitrine ensanglantée sur les flancs du Seigneur.

— Seigneur, tu as souffert en versant ton sang pour sauver le monde. Je veux aussi souffrir et verser le mien à ton image… Seigneur ! Quelle joie… La douleur m’est une volupté… Ô sublime communion du sang… sensation d’extase paradisiaque… Tu me combles d’ivresse… de cette ivresse qu’aucun amant ne saurait réveiller dans les viscères de son amante…