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SPRINGFIELD

ribles à voir. Il y en avait de gros, de maigres, des figures rubicondes et chétives, mais tous avaient l’air de malfaiteurs. Jeffrie apporta les deux antagonistes et les posa sur la table, dos à dos. Les témoins vérifièrent la pointe ferrée de leurs ergots. Puis on les tourna l’un vers l’autre. Les plumes se hérissèrent… et les coqs comme deux gladiateurs bondirent l’un sur l’autre. Pas un mot, pas une exclamation dans la salle. Le garçon de Jeffrie faisait la garde à la porte en cas d’une descente de police. Les coqs battaient des ailes et s’écorchaient mutuellement le poitrail. Tantôt l’un parvenait à sauter sur l’autre, déchiquetant la crête de son bec et labourant son dos de ses griffes, tantôt c’était le contraire. Leurs yeux lançaient tour à tour des regards courroucés ou se fermaient lentement, alourdis de douleurs. La table n’était plus qu’une mare de sang dans laquelle les corps s’agitaient désespérément encore. Le sang éclaboussait les figures des spectateurs, mais personne ne se souciait de si peu de chose. On serrait les dents, la gorge devenait sèche et si on avait pu aider la victoire par la force hypnotique des yeux, on aurait volontiers triché. On avait l’espoir de vaincre, puis on le perdait ; l’espoir renaissait encore pour s’évanouir aussitôt après. On vivait des minutes intenses, crispantes, interminables, comme des années de passion ne savent pas exaspérer, épuiser. Je croyais vaincre… et puis, je ne sus comment, l’ergot de Jules César creva l’œil d’Ossian. Le vainqueur de l’Écosse perdit alors tout son courage. Une seconde après, il