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SUR TALONS ROUGES

diction. Les sonorités se brouillent, s’entre-choquent, hullulent et gémissent un dernier sanglot de haine. Elles jouent, elles jouent, frappant même les notes muettes. De temps en temps une note inattendue s’abat comme un assommoir. Les doigts sont fous de s’acharner ainsi sur un pauvre clavecin brisé. La dernière corde saute avec un grondement sinistre.

Walther exténué, titube d’épuisement. Sa tête hâve roule mollement inerte sur ses épaules, sur sa poitrine, au gré des mains furieuses qui entraînent ses bras et son buste avec elles.

Mais soudain, il se redresse avec effroi.

Les mains avides et crochues se tournent vers lui avec des mouvements de vipères. Elles sont terribles… Elles semblent proférer des incantations obsédantes.

— Ceretti se venge… et Ceretti c’est moi. Tu m’as trompé. Tu m’as demandé de te céder mon talent et tu m’as ensuite tué. Tu voulais mon art pour séduire une femme, et malgré mon âme d’artiste tu n’as pas su te faire aimer. Tu as détruit ma vie et gaspillé mon génie. J’aurais bien donné mes jours pour plaire à une femme, j’aurais pardonné ton crime si tu pouvais ainsi lui plaire. Comment pouvais-tu songer à séduire une femme ? Il faut être italien pour cela et toi, tu es de ceux qui exterminent. Mais l’âme de Ceretti n’est pas morte. Tu la vois ?

Walther sent ses mains s’approcher de son visage. Est-ce un hallucinant cauchemar ? Ses yeux sont terrifiés de les voir aussi menaçantes. Il rejette sa tête