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MAC]]' MORALITÉ


n'être pas inspirée par la vertu du moyen : on attend vraiment le résultat désiré, et on l’attend d’une cause plus ou moins précise, plus ou moins vague, que l’on sait n'être pas l’action même, ni l’objet matériel employé ; on regarde d’un autre côté ou au delà.

Dans ce cas, cependant, le danger peut être certain ou seulement probable, suivant que l’effet visé dépasse certainement ou non les forces naturelles, mises en jeu. De même, l’attente peut être plus ou moins ferme, plus ou moins hésitante.

Pour juger de l’origine, naturelle ou prétematurelle, divine ou diabolique, d’un phénomène extraordinaire, les théologiens s’accordent sur deux principes :

a) Dans le doute si un elïet est naturel ou préternaturel, on doit le présumer naturel. Principe libéral et éminemment sage, reconnu par les meilleurs théologiens, même au temps où l’on croyait facilement à la magie. On adhérait au bon principe, tant on avait conscience de mal connaître l'étendue des forces naturelles ; ce qui, trop souvent, n’empêchait pas, l’instant d’après, de tracer sans appelles limites de ces forces et de proclamer tel ou tel phénomène incontestablement préternaturel. Ou plutôt le grand défaut était de traiter les lois physiques, les sciences d’observation, par la méthode déductive et a priori. La plupart du temps le champ du naturel était indûment resserré ; mais il lui arrivait aussi d'être indûment élargi. Tout d’un coup, sur une autorité, sur une explication ingénieuse, imaginée hélas I de toutes pièces, on admettait comme naturels des phénomènes étranges, sans doute plus étranges que vrais. Tel est le cas de cette poudre sympathique dont saint Liguori, en s’appuyant sur l’autorité du « célèbre Purchotius », nous raconte les effets merveilleux. Voici un blessé ; il perd beaucoup de sang. Recueillez vite ce sang dans une cuvette, et pendant qu’il est encore chaud saupoudrez-le de votre poudre sympathique : il paraît, pourvu que vous n’opériez pas à plus de 300 pas du blessé, que l’hémorragie va s’arrêter. C’est que dans les vapeurs du sang tiède encore, une certaine vertu de la poudre est entraînée vers la blessure, dont elle bouche les orifices, comme feraient autant de petits coins. Th. mar., t. III, n. 20, édit. citée, p. 380.

Les applications excessives dans un sens ou dans l’autre n’empêchent pas le principe d'être excellent. C’est un principe classique, c’est un principe de bon sens. On n’a pas attendu la théologie scolastique pour s’en servir. Par exemple, saint Augustin, sans le formuler, y rattache tout un chapitre de la Cité de Dieu : nous sommes souvent témoins de tant de phénomènes extraordinaires et cependant naturels, qu’il faut y regarder à deux fois avant de déclarer une chose impossible, naturellement impossible. De civ. Dei, t. XIV, c. xxiv, P. L., t. xli, col. 432.

Le principe est formulé et justifié par saint Liguori, Theol. mor., t. III, n. 20, t. i, p. 380, après Lacroix, t. III, p. i, n. 28 ; Sporer, II, c. ix, n. 31 ; Sanchez, Decal, t. II, c. xl, n. 44 ; Elbel, Præcept. lum, n. 501 ; Salmanticenses, tr. XXI, c. xi, n. 112. Et l’on pourrait doubler et tripler la liste.

Si l’on veut s’autoriser de ce principe pour tenter de provoquer des phénomènes qui sont probablement naturels, probablement préternaturels, il faut protester que l’on aime mieux ne pas avoir affaire au démon et échouer plutôt que de réussir avec son secours. Et comme rien ne nous garantit l’efficacité de cette protestation pour écarter tout danger d’immixtion diabolique, il faut conclure avec Vermeersch, Theol. mor., t. ii, n. 243 que, s’il s’agit d’un phénomène probablement préternaturel, il semble illicite de le tenter sans raison, même avec la dite protestation. De plus, dans certains cas, il faut voir si ce danger n’a pas motivé une interdiction de l'Église : alors, la route

est barrée, et c’est à l’Eglise de juger si, pour des raisons, pour une utilité spéciale, il est opportun de lever parfois la barrière.

b) " Dans la certitude qu’un effet est préternaturel, il faut, s’il est obtenu par des pratiques magiques, l’attribuer au démon et non à Dieu. » Ainsi parlent tous les théologiens, avec saint Thomas Ila-IIa », q. xevi, a. 2. « Il n’a pas manqué d’hommes, écrit Suarez, pour dire que ces prodiges étaient attribuables non au démon, mais à Dieu et aux bons anges. Mais c’est là un blasphème, car ces phénomènes n’ont ni honnêteté, ni utilité, et Dieu les a en abomination. De relig., tr. III, t. II, c. xiv, n. 6. Et saint Liguori : « S’il est moralement certain, si certo probabililer consiet, que la cause employée n’a aucune force naturelle pour produire l’effet, celui-ci, dans le doute, doit être attribué au démon, plutôt qu'à Dieu, puisqu’il n’y a pas de promesse divine. » L. III, n. 20, t. i, p. 380 ; cf. Sanchez, Decal., t. II, c. xl, n. 44 ; Sporer, tr. IL c. ix, n. 33.

Pratiquement, la magie est amorale dans son principe, comme il a été dit plus haut : le magicien est censé contraindre une force supérieure par la vertu physique du rite qu’il emploie. Ici ou là cependant, une certaine pureté est exigée du magicien, chez les Égyptiens, chez les Romains. Christus, p. 645 ; Daremberg et Saglio, t. m b, p. 1515. Et cela se comprend chez les païens plus facilement que cela ne se comprendrait chez les chrétiens. Les païens avaient sur la divinité des idées très mélangées : rien de très surprenant donc à ce qu’ils aient cru par les pratiques magiques plaire à la divinité elle-même ; d’où, nécessité de pureté chez le magicien. D’ailleurs, encore une fois, cette exigence se rencontre très rarement. En général, la magie est amorale dans son principe, amorale ou immorale dans ses tentatives. C’est un fait, on recourt ordinairement au magicien pour assouvir les passions les plus violentes, les plus dégradantes, vengeanc : cruauté, amour, luxure.

c) Gravité particulière du maléfice. — Ici se place naturellement la question du maléfice.

Le maléfice, comme toute autre pratique magique, est une superstition, une faute contre la vertu de religion. Mais de plus, il fait ou prétend faire du mal à quelqu’un : lui inspirer un amour coupable ou une autre passion violente, ou bien lui nuire dans sa santé, dans sa raison, dans ses biens. Le maléfice est donc, au moins dans l’intention de son auteur, contraire à la charité et à la justice. Par conséquent, si, dans un cas, on était certain qu’un maléfice a été efficace, il faudrait obliger le sorcier à réparer, à restituer. Évidemment, il ne devrait, pour ce faire, recourir qu'à des moyens permis : ainsi, il ne pourrait recourir de nouveau à la magie. Mais ce n’est nullement de la magie de faire disparaître un objet dont la présence a provoqué l’intervention du démon ; il semble licite aussi de commander au démon, pourvu que l’autorité de ce commandement ne vienne pas d’un pacte. S’il n’y avait pas moyen de faire cesser le maléfice d’une façon licite, le sorcier n’en serait pas moins tenu, comme l’auteur formellement injuste d’un dommage, à restituer dans la mesure du possible. Car de faire retomber l’obligation, au moins premièrement, sur le démon, ce serait une mauvaise plaisanterie. Seulement, il sera le plus souvent bien difficile d’obtenir la certitude de l’efficacité du maléfice. L T n cas très net, au point de vue justice, est celui qui a été constaté bien des fois, et qui a dû se vérifier plus souvent encore, le cas où le maléfice est énergiquement appuyé par quelque drogue ou quelque poison. « Il est probable qu’au fond de plus d’une affaire de sorcellerie, il y avait un affaire d’empoisonnement ou d’avortement très réelle. > E. Jordan, dans Rev. des Quest. hist., 1901,