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MARIAGE. DOCTRINE CLASSIQUE, LE CONTRAT


a en faire un contrat indissoluble. Celle permanence du contrat est un des points essentiels de la différence entre le droit romain et le droit chrétien. Los théologiens y insistent volontiers : Ma autan confunctto quæ respicit tolum confunctum et est matrimonium essentialitcr, non est affeclio animorum, vcl approximatio corporum, sed quoddam vinculum obltgatorium, quod non perimitur, sive afjeelu sive. corpore separentur, dit saint Bonaventure, In /V™, Sent, dist. XXVII, a. 1, q. i, ad 4mn et 5um.

g) La formation du contrat. - - lui principe, le mariage est contracté par les époux eux-mêmes..Mais il peut aussi se former entre absents, être contracté par lettre, cf. Glose in c. 8, caus. XXX, q. v, ou par un procureur qui doit être pourvu de mandat spécial, ne peut déléguer, et dont la révocation entraîne nullité des engagements pris par lui, alors même qu’il l’aurait ignorée. Sexte, I, xix, c. 9 ; cf. J. Bancarel, Le mariage entre absents endroit canonique, thèse, Toulouse, 1919, spécialement p. 24 sq. ; E. Blum, art. cit.

Le consentement doit être exprimé in facie Ecclesiæ. Les époux se présentent devant la porte de l'église. C’est là que le prêtre les interroge sur les divers empêchements et, d’après Etienne de Bourbon († 1262), que se fait l'échange des verba de præsenli. C’est là que, dans les pays soumis aux usages germaniques, se font, dès le xie siècle, la desponsatio, la dotatio. Postquam fuerit millier viro desponsata et legaliter dotata, introeat cum marito ecc’esiam (Cologne, xie siècle, dans Hittorp, col. 177). Beaucoup de grandes églises du Moyen Age ont ainsi une « porte du mariage », qui est souvent ornée de sculptures symboliques : Dieu bénissant Adam et Eve, le Mariage du Christ et de l'Église, les vierges sages et les vierges folles. Falk, op. cit., p. 3 sq., signale plusieurs de ces portes en Allemagne, et notamment celle de Saint-Sebald à Nuremberg (fin XIVe siècle).

La forme même du consentement donna lieu à controverse. D’abord, le consentement peut-il être tacite ? Les casuistes ne manquaient point de mauvais arguments pour le prouver. On peut le voir dans la discussion que consacrent les commentateurs des Sentences au consentement tacite, v. g. saint Bonaventure, t. IV, dist. XXVIII, a. un., q. iv. Mais déjà Huguccio explique bien la nécessité de paroles ou de signes per quæ Ecclesiæ fiât fuies de matrimonio coniracto, op. cit., p. 804. Il se contente, à la vérité, de signes très modestes. Pone quod puella verecundia erubescit loqui, et tamen paiitur subarrari et dotari. Nonne ipsa patientia et taciturnitate consensus e.rprimitur, quamvis lingua nichil dicat ? Op. cit., p. 805. Jusqu’au milieu du xme siècle, cependant, l’opinion commune exigeait des paroles de ceux qui pouvaient parler. Hostiensis le constate avant de défendre l’opinion contraire qui, à la fin du Moyen Age, est dominante.

Les verba varient d’une Église à l’autre. La coutume locale les arrête ou permet de les interpréter. Ce qui fut le sujet de toute une littérature exégétique au Moyen Age. Voir les textes du Liber praclicus de consuetudine Remensi, n° 157, p. 151 et n° 25(5, p. 204, cités par Esmein, t. i, p. 109.

Mais il ne faudrait pas imaginer que la pratique du contrat consensuel s'établit d’un seul coup avec toute sa simplicité dans la chrétienté pénétrée d’usages germaniques. Le chapitre le plus intéressant et le plus délicat d’une histoire du contrat de mariage pendant la période du xie au xv° siècle aurait pour sujet la transformation de ces anciens usages et le rôle qu’y joua l'Église. En voici les données essentielles.

La doctrine canonique du mariage per verba de prœsenti confirmait simplement la pratique courante dans les pays où s'était maintenue l’application du droit romain. Dans les régions de l’Italie où régnait

le droit lombard, elle contribua très fortement a la dégradation des formes anciennes : d’après Brandileone, la femme, devenue sujet de droit, se substitue a son mundoald, dont la desponsatio devient une simple promesse du fait d’aulrui ; la transmission du mundium finit par ne plus être un élément essentiel dans la formation du mariage. Brandileone, op. cit., p. 246 sq. ; Calisse, Diritlo ecclesiastico c diritto longobardo, Home, 1888. A partir du xiie siècle, la datio parentum est en voie de disparition, non seulement en Italie, mais dans toute la chrétienté. Les rituels d’Auxerre (xiv c s.), de Paris Cxv s.) ne la mentionnent plus. Martène, op. cit., p. 131 sq., 134 sq.

Le fait qui nous intéresse spécialement ici, c’est qu’au moment où s’effacent les antiques solennités, grandit le rôle du prêtre dans la cérémonie. Les historiens ne s’accordent point pour l’attribution de ce rôle. Selon Friedbcrg, op. cit., p. 93 sq., le prêtre aurait remplacé l’orateur de la datio germanique, cet orateur qui constate la réunion des conditions nécessaires et règle les formalités ;.'elon Sohm, op. cit., p. 164, il remplacerait le tuteur. Des ouvrages, qui ne s’accordent guère, ont été consacrés partiellement à ce sujet : H. Cremer, Die kirchliche Trauung historisch. ethisch und liturgisch, ein Yersuch zur Orentierung. Berlin, 1875 ; voir un art. de Dieckhoff sur ce livre, dans Gottingische gelehrte Anzeigen, 1876, p. 801-829 ; A. Y. Dieckhoff, Die kirchliche Trauung…, Rostock. 1878. Notre collègue, M. Champeaux, qui étudie la question et à qui nous avons emprunté les conclusions et la plupart des exemples qui vont suivre, est enclin à admettre qu'à partir du xie siècle la tradition de la sponsa fut généralement faite au prêtre en vue de la translation à l'époux.

Des textes nous montrent la substitution du prêtre aux parents pour le transfert du mundium. Ainsi, le Liber ordinum publié par dom Férotin, d’après quatre mss. du xie siècle, et qui était en usage dans l'Église wisigothique et mozarabe, contient un ordo ad benedicendum eos qui noviter nubunt qui montre la traditio faite parles parents au prêtre lequel transfère lui-même la femme à l'époux. Quum venerint hii qui conjungendi sunt, expliciter secundum morem missa antequam absolvat diaconus, accedunt ad sacerdotem juxta cancellas. Et venientes parentes puellee aut aliquis ex propinquis, si parentes non habueril, tradit puellam sacerdoti. A la fin de la cérémonie tradit sacerdos itellam viro. Monumenta Ecclesiæ liturgica, Paris 1901 : cf. Freisen, Eheschliessung in Spanien, 1918. Le rituel d’Arles (xme siècle), prescrit la même traditio. Les parents antequam dicatur Pax Domini… tradant eam sacerdoti. Martène, op. cit., p. 130. A Rouen, au xiv c siècle, le prêtre renouvelle les bans devant la porte de l'église : Et si tune aliquod impedimentum non intervenerit, det eam marito. Il demande à l’homme : N. veux-tu avoir N. à femme et épouse, et la garder saine et inferme, et lui faire loyale partie de ton corjis et de tes biens, ne pour pire ne pour meilleure tu ne lu changeras tout le temps de sa vis. Tune vir respondeal : Volo, aut Ouyl. Postea dicat viro : Que lui baillctu ? Vir respondeat : Ma foy. Même interrogatoire de la femme. Tune sacerdos det eam viro, dicens verbis latinis : Et ego conjungo vos, etc. Martène, op. cit.. p. 132.

D’autres textes montrent le prêtre donnant les époux l’un à l’autre : c’est le cas des rituels d’Amiens, de Limoges, de Liège. Martène, p. 134, 136, 138.

Le rôle du prêtre est, parfois, celui d’un instigateur : faciat parentes sicuti mos est dure eam, dit un rituel de Rennes (xr s.). A Lyre (xiie s.), la dation n’est faite pai les parents qu’après que le prêtre a requis le consentement des deux époux. Ailleurs, le prêtre est collaborateur et garant. En même temps que le sponsus, il passe l’anneau au doigt de la sponsa,