Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 9.2.djvu/371

Cette page n’a pas encore été corrigée
2147
21
MARIAGE. LES PREMIERS SCOL ASTIQUES
48

double figure qu’il a plusieurs fois proposée : //) quo videlicet conjugio, sacramenium forts est indivis/' societas', Tes sacramentt intus u<i tnvicem flagrant perseveranter antmorum charitas. Sacramenium loris ml Christum et Ecclesiam, res sacramentt intus ad Deum et animant. Vt sicut in copula carnis Christt et Ecclesia sacramenium diximus, ita etiam in fœdere societatis ejusdem sacramenium ostendamus. De sacrum, c. vin. col. 195.

Le mariage appartient à tous les peuples, même infidèles. « Si un infidèle prend femme pour avoir une postérité, garde la foi conjugale, aime et protège ^a compagne, lui demeure associé jusqu'à la mort bien que, par ailleurs, il soit infidèle, puisqu’il n’est point croyant, sur le point du mariage, cependant, il ne va ni contre la loi ni contre l’institution divine. br sacrum., t. II, part. XI, c. xiii, col. 505. C’est que le mariage existait déjà dans le plan de la création, dans la loi de nature. Dieu l’a institué quand, ayant créé la première femme, il inspira ces paroles à Adam : Nunc us ex ossibas… Avant la chute, les relations conjugales étaient autorisées ad offtcium, ayant pour but seulement la multiplication de l’espèce. Depuis la chute, elles sont autorisées ad remedium. De B. M. virgin., c. i. col. 865 ; De sacram., t. II, part. XI, c. iii, col. 481.

Cette fonction médicinale était la seule que reconnût Abélard. Epit. iheol. christ., c. xxxi, P. L., t. CLXxviii, col. 1745. Hugues développe en outre des vues sur la fonction sociale et aussi la fonction surnaturelle du mariage. Le mariage des chrétiens, et lui seul, sanctifie ceux qui le contractent dignement. De sacram., t. II, part. XI, c. viii, P. L., t. clxxvi, col. 496. La vérité des sacrements est double : aliam sciliect in sanctifleatione sacramenti, aliam in effectu spiriluali. Dicitur enim veritas sacramentorum virtus cl i/ratia spiriluatis quæ in ipsis et per ipsa sacramenta percipitur, quam veritalem accipere non possunt qui sacramenta Dei indigne percipiunt, c. xiii, col. 505. Le mariage des infidèles peut être vrai, mais il ne sanctifie point, il ne confère point la grâce.

Hais sur la vérité du sacrement, Hugues professe une doctrine singulière, faute d’avoir compris la notion des empêchements dirimants. Le sacrement est vrai dès lors que les époux se sont, de bonne foi, promis de toujours vivre ensemble. S’ils ont ignoré un empêchement grave, cela ne met point obstacle à la vérité du sacrement. Quand leur erreur sera découverte, l'Église défera le lien. C. xi, col. 498. Et c’est, pour Hugues, la preuve que l’indissolubilité n’est pas essentielle au mariage. Voir sur ce point Mignon, op. cit., t. ii, p. 250 sq. L’unité est, par contre, un trait essentiel du mariage chrétien. La justification que propose Hugues de la polygamie pratiquée par le peuple d’Israël, c. x, reproduit les expressions traditionnelles, celles, notamment dont s’est servi Abélard. Epit. theol. christ., c. xxxi. L’une des conséquences logiques de la théorie d’Hugues serait la possibilité du mariage unisexuel. Pour se défendre contre cette déduction et maintenir la règle de la différence des sexes, il lui faut invoquer la Genèse qui envisage la seule association de l’homme et de la femme. De B. M. virgin., c. iv, col. 873 sq.

7. Conclusion.

Il nous est maintenant possible de tracer une esquisse du développement des idées pendant le siècle qui précède les synthèses classiques.

Le point qui a le plus constamment occupé canonistes et théologiens, entre l’an mille et l’année 1140, c’est la formation du lien, l’importance relative des divers éléments qui concourent à cette formation. Des solennités, on ne s’occupe guère : cependant, Pierre Damien leur assigne un rôle. La grande affaire, c’est de déterminer la part de la volonté et celle de la copula carnalis. Certains regardent la copula comme indispensable pour la perfection du mariage : l’expression I

se rencontre notamment dans Alger de Liège e( Anselme de l.aon. D’autres réservent à la copula une fonction mal définie (Yves de Chartres). Et quant au rôle de la volonté, il n’est pas toujours bien précisé. Dans la seconde moitié du xie siècle, certains papes et Yves de Chartres le considèrent comme déjà rempli au moment de la promesse jurée. Mais la distinction entre fiançailles et mariage est déjà bien marquée dans la première moitié du xir siècle, par Guillaume de Champeaux, par Innocent II. par Hugues de SaintVictor. Avec ce dernier, la réaction contre la théorie du concubitus est au paroxysme. Et déjà la notion du mariage purement consensuel et distinct des fiançailles atteint sa perfection. La confusion qui subsistera encore quelque temps, le vocabulaire en est dans une certaine mesure responsable, Pactum conjugale, desponsatio, nous avons vu quel emploi libéral est fait de ces mots. El l’on joue sur le sens de fides : fiance, bonne foi. fidélité comme on jouera sur le mot sucrumentum.

Tous considèrent le mariage comme un sacrement ; mais dans le sacrement, ils reconnaissent, avant tout, le signe d’une chose sacrée. lit l’union de Jésus-Christ et de l'Église n’apparaît à beaucoup symbolisée que par l’association charnelle. Cependant, le rôle de la volonté, de la charité, dans cette union, a déjà été remarqué par Yves de Chartres et Hugues de SaintVictor cjui aperçoivent un second sacrement dans l’accord des volontés des époux. L’ancienne notion, trop matérielle, du signe, est donc à demi écartée. Elle passera bientôt au second plan.

Moins claire est dans l’esprit des premiers scolastiques la notion de l’efficacité du signe. Ils s’arrêtent à l'énumération des biens du mariage, et ces biens ne sont pas médiocres. Mais la collation de la grâce, ils ne font plus que l’entrevoir, arrêtés par de secrets scrupules qui se dévoileront mieux un peu plus tard. L’ne négation résolue, Abélard est seul à l’exprimer : Anselme de Laon et Hugues de Saint-Victor en revanche, enseignent l’efficacité du sacrement.

De ces difficultés que rencontrent les théologiens, l’origine du mariage rend bien compte. Il est antérieur à la Loi Nouvelle : la part respective de la nature et celle de la grâce, de l'état et du sacrement, nos docteurs ne la savent point discriminer. L’institution divine, au Paradis, leur inspire des illusions, car ils ne voient point les changements introduits dans la nature même du mariage, si attentifs qu’ils soient, depuis la fin du xie siècle, aux variations du droit.

Telles sont les conclusions principales qu’autorise notre enquête. Si l’allure que nous avons dû lui donner paraît quelque peu lente, c’est que le progrès de la théologie et du droit s’est accompli sans révolution. Les noms de Gratien et de Pierre Lombard couvrent tout un ensemble d’idées dont la publication des œuvres du xie siècle et du début du xiie dévoile les inventeurs ou, plus souvent, les transmetteurs. La série des textes s’accroît de façon continue à partir du xi siècle et de même le trésor des idées. Peu de grands noms illustrent la série : Y’ves de Chartres, Anselme de Laon, Hugues de Saint-Victor : encore Hugues ne fait-il, sur bien des points, qu’amplifier les idées d’Anselme de Laon, qui lui-même doit aux florilèges sa science patristique et n’applique pas une autre méthode que celle proposée par Yves de Chartres - et Bernold de Constance.

Le progrès consiste donc dans la perception assez claire du problème primordial : comment se forme le mariage'? Les divers actes de la volonté (fiançailles, serment, consentement actuel), sont distingués avec plus de soin et leur valeur est soumise à examen. La notion du signe s’affine. Le sentiment des variations historiques devient plus vif.