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MARIAGE DANS LES PÈRES. VALEUR MORALE

femme, c’est soi-même que l’en aime. Jamais personne n’a haï sa propre chair… » Cf. Col., iii, 19. La femme, de son côté, doit à son mari respect et soumission. Eph., v, 22-24 Col., iii, 18.

Un passage de la Ire Épitre de saint Pierre montre comment les femmes chrétiennes savaient dans cette subordination garder une belle dignité et même y trouver un puissant moyen de gagner l’âme de leur mari. Rien ne saurait nous donner une image plus saisissante de ce que doit être un foyer chrétien où la femme apporte sa grâce et ses vertus, son obéissance et sa puissance de persuasion pour le bien, où le mari n’use de son pouvoir que pour protéger, aimer et respecter sa compagne : « Vous, femmes, soyez soumises à vos maris, afin que, s’il en est qui n’obéissent pas à la prédication, ils soient gagnés, sans la prédication, par la conduite de leurs femmes, rien qu’en voyant votre vie chaste et pleine de respect. Que votre parure ne soit pas celle du dehors, les cheveux tressés avec art, les ornements d’or et l’ajustement des habits : mais parez l’homme caché du cœur par la pureté incorruptible d’un esprit doux et paisible : telle est la vraie richesse devant Dieu. C’est ainsi qu’autrefois se paraient les saintes femmes qui espéraient en Dieu, étant soumises à leurs maris. Vous de votre côte, maris, conduisez-vous avec sagesse à l’égard de vos femmes, comme avec des êtres plus faibles, les traitant avec honneur, puisqu’elles sont avec vous héritières de la grâce qui donne la vie. » I Petr., iii, 1-7.

L. Godefroy.

II. LE MARIAGE AU TEMPS DES PÈRES

Il convient de distinguer :
I. La période qui va jusqu’à saint Augustin.
II. Celle qui va de saint Augustin à la renaissance carolingienne(col. 2115).

I. Jusqu'à saint Augustin

Les questions morales sur le mariage sont d’ordre tellement pratique que les Pères ont dû nécessairement y revenir avec insistance. À propos de son unité et de son indissolubilité, des devoirs réciproques des époux, de la chasteté qu’ils ont à garder même dans les relations conjugales, de la vie religieuse qu’ils doivent mener pour obtenir les grâces de Dieu, etc., les fidèles avaient besoin d’être fréquemment instruits et exhortés. Mais à côté de ces idées où, en somme, les Pères n’ont rien dit de plus que Jésus et les apôtres, il y a trois sujets sur lesquels leur doctrine semble mériter une étude plus attentive :
1. la Valeur morale du mariage comparé à la virginité, ou des secondes noces comparées au veuvage, une des questions qui ont le plus préoccupé les esprits aux premiers siècles :
2. la doctrine sacramentaire du mariage qui marque un progrès sensible sur les indications scripturaires ;
3. les premiers éléments de la législation ecclésiastique qui aboutiront à l’affirmation du pouvoir de l’Église en matière matrimoniale.

Nous arrêtons à saint Augustin la première partie de notre enquête parce que, sur bien des points, il donne la solution la plus exacte et la plus complète, en attendant les nouveaux progrès que la théologie scolastique rendra possibles.

1. VALEUR MORALE DU MARIAGE. MARIAGE ET VIRGINITÉ. SECONDES NOCES ET VEUVAGE.

Avant toutes les autres, cette question s’est imposée à l’attention des Pères et elle est demeurée à l’ordre du jour jusqu’à saint Augustin. Les solutions ont été diverses : c’est un des côtés du grand problème moral qui sépare les esprits selon leurs tendances à la sévérité ou à l’indulgence. Mais à travers les réponses extrêmes, l’Église a toujours gardé le juste milieu. Il est nécessaire de le prouver avec quelque détail afin de justifier les Pères du reproche de rigorisme exagéré ; car trop nombreux sont ceux qui, par une généralisation hative, les représentent sans nuances comme les ennemis du mariage ou, au moins, des secondes noces.

L’Évangile et les épîtres de saint Paul avaient fait entrevoir, au-dessus de la condition commune, une voie plus parfaite, offerte aux âmes d’élite capables de la suivre, voie de renoncement aux divers biens terrestres que l’homme souhaite normalement. Parmi ces biens, les joies de la vie de famille, le plaisir des sens tiennent le premier rang, et c’est pourquoi le renoncement chrétien s’offre d’ordinaire sous la forme de la continence, du célibat, de la virginité. Les invitations chrétiennes à la vie parfaite devaient d’autant plus tenter les âmes nobles qu’elles contrastaient plus violemment avec la vie ou les aspirations du paganisme. Mais, d’autre part, pour que l’idéal évangélique ne fût pas effacé par la contagion païenne chez les fidèles encore insuffisamment imprégnés de christianisme et vivant au milieu des païens, il était nécessaire que les pasteurs de l’Église le présentassent dans toute sa beauté, et y revinssent avec insistance. Que, dans cet effort de réaction, il dût se produire quelques exagérations de parole ou même de pensée, qu’à force de vanter la virginité ou le veuvage acceptés pour Dieu on en vint parfois à paraître sous-estimer le mariage et à le représenter comme un état imparfait, peu conforme à l’idéal chrétien, au-dessus duquel un vrai disciple du Christ devait s’élever, c’était inévitable. Mais par de la ces exagérations, dans les rares cas où elles se produisent, il s’agit de rechercher la vraie pensée des Pères ; et on la trouve là où ils ne songent plus à la polémique, ou bien quand ils doivent eux-mêmes se défendre de l’accusation de rigorisme qu’ils avaient encourue. —— Et ces exagérations mêmes, doit-on les leur reprocher sans indulgence ? C’est grâce à leurs efforts que l’esprit chrétien s’est conservé dans toute son élévation, que les mœurs se sont purifiées et que s’est produite cette admirable floraison d’âmes vierges et dévouées qui ont été le plus bel ornement de l’Église. En regard de ce résultat, les quelques outrances d’expression que nous pourrons relever pésent bien peu.

Pour bien comprendre la pensée des Pères, il faut étudier d’abord les erreurs qu’ils eurent à combattre. Elles se ramènent en somme à deux tendances excessives au sujet du mariage : la tendance rigoriste qui considérait l’état de mariage comme un état de péché et l’acte du mariage comme une faute, qui imposait donc aux chrétiens de ne pas se marier, de rester dans la continence s’ils étaient mariés, ou dans le veuvage quand leur mariage était rompu ; la tendance laxiste, plus tardive que la première, qui méconnaissait au contraire la grandeur et la perfection de la continence et ne mettait aucune différence de valeur entre le mariage ce la virginité.

Les erreurs.

1. L’erreurs rigoristes, exaltant la continence au détriment du mariage.

Elles sont le fait, en général, d’hérétiques plus ou moins qualifiés, passés en revue ailleurs, mais dont on notera ici les tendances particulières sur la question qui nous occupe.

a) Les encratites.

Voir t. v, col. 4 sq. On désigne du nom d’encratisme, non pas une hérésie constituée en société religieuse séparée de l’Église, mais plutôt une tendance pratique qui portait certains chrétiens à un rigorisme exagéré. D’après eux, les règles de renoncement énoncées dans l’Évangile, s’adressant à tous et non seulement à une élite, doivent être entendues comme des lois ce non seulement comme des conseils. Tout chrétien est nécessairement un ascète et garde la continence, τὴν ἐγκράτειαν.

Cette tendance, déjà signalée ce réprouvée par saint Paul, Col., ii, 21 ; I Tim., iv, 3, s’exprime dans un cet-