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MARCION. DOCTRINh


leur carrière terrestre que le Christ a achetés ; des droits lui sont acquis sur tous ceux qui passeront encore ici-bas. Mais, naturellement, ceux-là seuls auront part au salut qui accepteront le message du Christ et mettront en lui leur confiance. C’est le petit nombre, semble-t-il, car il ne paraît pas à Marcion que la révélation de Jésus ait eu un succès triomphal. Après quelques timides essais pour échapper à l’emprise de la loi juive, les premiers fidèles sont retombés sous le joug. C’est alors que le Christ ressuscité s’est adressé à Paul et, l’ayant ravi au troisième ciel, lui a révélé le véritable Évangile, c’est à savoir l’annonce de la justification par la foi sans les œuvres de la Loi. Quiconque croit vraiment au Christ sera sauvé ; et la foi suffit, ce qui ne veut pas dire que l’on doive l’autoriser de cette maxime pour se livrer au désordre. Avec indignation, Marcion répudie toute conclusion immorale du principe qu’il pose à la suite de Paul. Il ne laisse pas d’insister néanmoins sur l’inutilité d’exciter dans les âmes la crainte des jugements du Dieu bon ; Dieu ne juge personne.

4. Eschatologie.

Un jour pourtant, qui sera la consommation des siècles, le bon Dieu fera le partage de ceux qui lui appartiennent par la foi et de ceux qui n’ont pas su mettre leur espérance en la croix du Sauveur. Pour les premiers c’est le salut éternel et définitif, salut de leurs âmes seules, bien entendu, car il ne saurait y avoir résurrection des corps ; celle-ci n’a pu être promise que par le Créateur, tout rivé à la matière. Sans doute la résurrection était clairement indiquée dans I Cor., xv, maintenu par Marcion ; mais une exégèse énergique donnait aux paroles de Paul un sens compatible avec la doctrine ; et plus tard, dans l’Église marconile, on modifiera le ꝟ. 38, qu’on lira : ôGecç SlSocuv aùiw 7rv£C[ia xa6à>ç r^sXr, uev. Restent les adhérents impénitents du Créateur, avec tous ceux qui, pour des raisons diverses, n’ont pas adhéré à Jésus ; ils retombent sous l’empire du Dieu juste, dont le feu les consume et les anéantit définitivement. Cette besogne terminée, il ne reste plus au Dieu créateur qu’à disparaître lui aussi. Venu l’on ne sait d’où, il replonge l’on ne sait où, au vrai il n’était Dieu qu’en apparence et non dans la réalité.

5. Morale. La loi de justice et la loi de charité. — Toute cette dogmatique prépare une morale qui sera aux antipodes de la morale juive. Marcion ne cherche pas à dissimuler son antinomisme ; mais il faut bien s’entendre sur ce que l’on désigne par là. A l’Ancienne Loi il reproche son point de départ et son principe aussi bien que ses règles. Elle est tout entière dominée par le sentiment de la terreur ; aux commandements du Créateur l’on doit se soumettre par la crainte des châtiments dont il menace les transgresseurs en cette vie et dans l’autre. L’obéissance, au contraire, garantit le bonheur ici-bas et par de la la tombe. L’Ancien Testament est tout plein de ces promesses de bonheur terrestre et de ces menaces de châtiments temporels. Par ailleurs les préceptes qu’il promulgue sont inspirés par le sentiment de la justice au sens le plus strict du mot. « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qui te soit fait à toi même. Œil pour œil ; dent pour dent, » telles sont les maximes qui dominent sa loi. Quant à l’attirail compliqué des prescriptions cérémonielles et des interdits légaux, il constitue pour les âmes un insupportable fardeau.

Comme le Dieu bon dont elle émane, la Loi nouvelle est essentiellement loi d’amour. Elle se fonde avant tout, comme nous l’avons vii, sur la foi au Christ, foi qui est en même temps confiance et charité. Le vrai chrétien obéit parce qu’il aime, et non par la considération des peines ou des récompenses. La considération même des châtiments est exclue,

puisque Dieu ne juge, ni ne punit. Et quant aux récompenses qu’il promet, elles ne sont point de cette terre ; bien plutôt, en ce monde, les vrais fidèles doivent s’attendre aux misères et aux souffrances. Les « béatitudes » sont réservées aux pauvres, à ceux qui ont faim, qui pleurent, qui sont persécutés. Cette loi, dont l’observation se fonde sur l’amour, fait rejaillir sur le prochain une partie de l’affection que le fidèle rapporte à Dieu ; la miséricorde, la compassion, la bonté, c’en est le premier et le dernier mot.

Tout ceci ne serait pas très nouveau, et l’Église catholique avait perçu dès longtemps la supériorité des préceptes de Jésus sur les prescriptions judaïques. Voir surtout en ce sens la Lettre de Barnabe. Elle avait préconisé également la pratique des « conseils » évangéliques ; l’ascétisme était chose courante à l’époque de Marcion. Cf. Justin, Apol., i, 29 : r, ty ; v àp/T, v oùx. èyxJ.oJij.ei et p. y) èrci TraiScov àva-rpoç.^, Y) 7rapaiToûp.evo’. tô yy ; p.aaOoa téàsov éve-fxpa-reuôusôa, voir aussi la fin de ce même chapitre. P. G., t. vi, col. 373. L’originalité de l’hérésiarque consiste à imposera tous, comme précepte, ce que le Christ avait conseillé à quelques-uns, ce que Paul avait aussi regardé comme facultatif. I Cor., vii, 25 sq. Marcion lisait en effet dans ce même chapitre, ꝟ. 1 : Bonum est homini mulierem non tangere ; ꝟ. 7 : Yolo omnes vos esse sicut meipsum ; et surtoutꝟ. 29 : Quia tempus brève est, reliquum est ut et qui habent uxores tanquam non habentes sint. Insistant sur ces passages, sans tenir compte de tout ce qui les expliquait, il faisait de la continence absolue un devoir pour tous les fidèles. En quoi il est guidé beaucoup moins par la considération des textes évangéliques ou pauliniens que par ces considérations d’ordre métaphysique, qu’il semblait s’être appliqué à bannir de son système. La matière préexistante est, pour lui, le principe de tout mal : cf. ci-dessus, col. 2020 ; la chair est mauvaise et source de tout péché. Ce qui la multiplie ne saurait être bon ; et l’œuvre de chair ne sert qu’à perpétuer le monde mauvais du démiurge. S’abstenir du mariage, c’est mettre celui-ci en échec. Voir l’argument expressément indiqué, dans Hippolyte, Philos., x, 19, P. G., t. xvi c, col. 3438 ; dans Clément d’Alexandrie, Slrom., III, iii, t. viii, col. 1113. Le mariage est un viol et une fornication, 960pà xott 7ropv£ta, et dans l’Église marcionite on r.e confère le baptême qu’aux célibataires ou aux personnes mariées séparées de leurs conjoints. Voir le détail des textes dans Harnack, p. 277*. Au point de vuealimentaire, Marcion prescrivait l’abstinence perpétuelle ; la viande était interdite, mais non le poisson. Cf. Tertull., Adv. Marc, I, xiv, P. L., t. ii, col. 262 B. Beprobas et mare, sed usque ad copias ejus, quas sanctiorem cibum députas. L’on jeûnait absolument le samedi. Ainsi le marcionisme aboutit à ce que l’on est convenu d’appeler l’encratisme absolu ; son influence à ce point de vue sera très considérable dans tout le monde chrétien dès la fin du iie siècle.

6. L’Église marcionite.’— Ce dogme, cette morale se perpétuent dans une communauté qui semble bien s’être attachée à imiter de très près la grande Église. Alors que les gnostiques de toutes nuances » n’aboutissaient, comme dit L. Duchesne, qu’à fonder des loges d’initiés, de haut ou de bas étage, il se trouva un homme qui entreprit de dégager de tout ce fatras quelques idées simples…, de fonder là-dessus une religion, et de lui donner comme expression non plus une confrérie secrète, mais une Église. » Histoire ancienne de l’Église, t. i, 3e édit., p. 182.

Ici encore il va au plus pressé, sans s’embarrasser de relier autrement l’établissement ecclésiastique qu’il fonde avec l’institution inaugurée par Jésus, continuée par les premiers apôtres, reprise en sous-œuvre par saint Paul. Qu’est devenue ensuite cette Église