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MANICHÉISME, ORIGINES


reproduire. La première prière a lieu quand le soleil a dépassé son plein midi, la seconde entre ce moment et celui où il se couche, la troisième le soir après le coucher du soleil, la quatrième dans le milieu de la nuit trois heures après le coucher du soleil. A chacune, dans ses prostrations, le fidèle se comporte comme dans la première, dite au Messager du Salut. » Flûgel, Mani, p. 96, 97. « Nous ne possédons plus ce livre des Prières, dont parle Timothée de Constantinople, De recepl. hæret., P. ( !., t. lxxxvi, col. 21, et qui devait contenir les principales formules de la liturgie manichéenne ; mais nous avons encore, dans des manuscrits de Tourfan, des fragments et des titres d’hymnes du plus haut intérêt. Nous savions, depuis longtemps, et particulièrement par saint Augustin, que les manichéens aimaient beaucoup la musique dans laquelle ils voyaient comme un écho venu du ciel. Les textes récemment découverts nous permettent désormais de nous faire une idée plus exacte de ces hymnes et de ces cantiques : Une longue table des matières nous donne les premiers mots de près de deux cents de ces morceaux. Voici un fragment de cette table :

Souviens-toi des bienfaiteurs… Je veux te louer Yazd Bag Mani… Je veux te louer et t’invoquer… Je veux te louer, lumière inviolée… Je veux t’invoquer, Dieu, lumière… Je veux t’invoquer, toi qui m’as… Je veux t’invoquer, ô mon Dieu, sauve-moi… Je veux t’invoquer, ô mon Dieu, toi… Je veux te louer, 6 mon Dieu… Gloire à toi, ô mon Dieu, par… Bienfaiteurs, élus, nous voulons te bénir…

F. W. K. Mûller, Ein Doppelblalt aus cincm manichàischen Hymnenbuch (Mahrnamag), dans les Abhandlungen de l’Académie des sciences de Berlin, 1913, p. 20. Cf. W. Bang, Manichàische Hymnen, dans le Museon, t. xxxviii, 1925, p. 1-55.

D’autres manuscrits de Tourfan complètent cette table des matières. « Ils contiennent des fragments nombreux et parfois importants d’hymnes manichéennes… Plusieurs se rapportent aux derniers temps, au départ, à la séparation du corps et de l'âme. D’autres formulent des vœux pour de grands personnages. La plupart adressent des louanges variées au Père de la lumière, aux grandeurs qui entourent son trône, aux Esprits qui l’assistent, aux deux luminaires, aux anges qui recueillent les âmes sur les barques célestes, et surtout au sage, au brillant, au divin Mani. Enfin, quelques-unes demandent pardon à Dieu pour les péchés commis. « Certains de ces textes liturgiques portent encore leur notation musicale. Ils étaient destinés à être chantés. Sans doute, le chant se faisait-il avec accompagnement. D’après l’historien Ibn Shinah, Mani aurait inventé le luth. » P. Alfaric, Les écritures manichéennes, t. ii, p. 133.

Aux prières et aux hymnes, il faut joindre certaines pratiques de confession des péchés sur lesquelles nous n’avons que des renseignements incomplets. Une lettre de saint Augustin nous montre les auditeurs s’agenouillant devant les élus, dans l’attitude de la prière, pour recevoir l’imposition des mains, signe sensible du pardon de leurs fautes. Epist., ccxxxvi, 2, P. L., t. xxxiii, col. 1033 ; cf. Acla Archel., 10, p. 16, 1. 15. Mais nous ignorons quelle était au juste la valeur de cette absolution. Un texte retrouvé à Tourfan et à Touen-houang, le Kouaslouanift, est une sorte de pénitentiel : on y voit l’auditeur manichéen passer ses fautes en revue, et finalement en demander pardon à Dieu ; nous avons déjà indiqué les quinze catégories' entre lesquelles sont réparties,

d’une manière qui semble d’ailleurs assez arbitraire, les fautes commises et accusées. Voir col 1851.

Les jeûnes des manichéens sont une de leurs pratiques de pénitence les plus caractéristiques. Nous n’avons plus à y revenir, ayant déjà eu l’occasion de les mentionner. Col. 1880. Il suffit de rappeler que le plus long et le plus important d’entre eux précédait la grande fête de la secte, celle du liêma. Cette fête était célébrée chaque années au printemps, pour commémorer l’anniversaire de la mort de Mani. Elle tombait donc à peu près à la même époque que Pâques, et le jeûne qui en était la préparation pouvait être plus ou moins confondu avec le carême.

Lorsqu'était arrivé le jour de la solennité, on dressait en évidence une estrade funéraire, munie de cinq degrés, et ornée de linges précieux : c'était ; i cette estrade, qui rappelait le souvenir du Maître que s’adressaient les prières des fidèles. S. Augustin, Contra epist. Man., 9, t. xlii, col. 178.

A côté de la fête du Bêma, les manichéens durent adopter l’une ou l’autre des solennités chrétiennes. C’est ainsi qu’au temps de saint Léon le Grand les adeptes de la secte célébraient à Rome le jour de Noël, mais le pape leur reproche d’honorer beaucoup plutôt le sol novus que Notre-Seigneur lui-même. Sermo xxii, G, P. L., t. liv, col. 198. Il est évident que de telles fêtes sont sans signification pour l’intelligence du manichéisme.

Il est possible qu'à l’origine les manichéens n’aient eu ni temples, ni images, ni autels ; et Fauste de Milève expliquait, dans son ouvrage, que le seul temple de ses coreligionnaires est l'âme du juste, leur seul autel un esprit cultivé ; S. Augustin, Contra Faust., xx, 3, P. L., t. xlii, col. 370. Cependant cette absence de temples, de représentations figurées et d’encens liturgique, dont se glorifiait Fauste, doit tenir simplement aux conditions très dures faites au manichéisme africain par les autorités civiles. Nous savons l’importance que Mani donnait au dessin et à la peinture, et qu’il avait cherché, par la décoration de ses ouvrages, à attirer les yeux autant que les esprits. Les manichéens d’Orient avaient, au dire d’An-Nadim, des églises ornées de fresques, Flûgel, Mani, p. 98 ; et ils faisaient une grande consommation d’encens. L’absence d’autels peut par contre tenir à des causes plus générales. Les disciples de Mani avaient en horreur le sang versé et le meurtre des animaux ; il n’admettaient d’ailleurs pas que le Christ fut réellement mort et ne concevaient pas un sacrifice non sanglant, tel qu’est celui de la messe. N’offrant pas de sacrifices, ils n’avaient pas besoin d’autels, dans leurs lieux de prières.

Il est à peine besoin d’ajouter que les renseignements qui viennent d'être donnés sur la liturgie manichéenne sont loin d'être complets ; les prières les chants, les rites, en usage dans la secte ont varié suivant les lieux et suivant les époques. Si l’on met à part le commandement de la prière, imposé par Mani, et la grande fête du Bêma qui semble bien avoir été très ancienne et universellement célébrée, on n’a pas le droit de généraliser telle ou telle donnée particulière, qui ne vaut que pour l'époque et le temps où elle a été constatée.

V. Origines du manichéisme. — Nous avons dans les pages qui précèdent, essayé de décrire le manichéisme, tel que nous pouvons le connaître d’après les fragments de Mani ou les ouvrages de ses disciples, sans nous demander d’où viennent les doctrines enseignées par Mani, et quelle place il faut donner, dans l’histoire des religions au fondateur de la secte. Il est du moins nécessaire de poser la question, et surtout de marquer, dans la mesure du possible, les relations entre le manichéisme et le christianisme.