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MALEBRANCHE, VUES THÉOLOGIQUES

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substances dont l’homme est composé : le corps exerce dorénavant sur l’esprit une domination Irrégulière et tyrannique.

Pour remédier à une situation si désastreuse, une restauration au moins partielle de la condition première de l’homme est nécessaire. Cette restauration esl procurée par le Christ, en qui nous n’avons présentement a considérer que l’auteur de la Rédemption du genre humain. La grâce du Rédempteur est une force nouvelle qui rend à l’esprit quelque chose de son empire sur les puissances révoltées de la chair. Elle apporte à la grâce de pure lumière du Créateur l’appoint décisif d’une délectation qui entraîne la sensibilité elle-même dans un mouvement de conversion victorieuse vers Dieu. Devenu esclave de ses passions par l’hérédité séculaire du péché spécifique de sa race, l’homme va en redevenir le maître par la vertu d’un attrait nouveau ou renouvelé qui a son principe dans la passion du Verbe incarné. Car, de la grâce réparatrice, qui est une grâce de sentiment, Jésus-Christ est à la fois la cause méritoire et la cause occasionnelle.

Comme cause méritoire de la grâce, il a obtenu de son Père, pour les hommes, ces grâces de plaisir prévenant qui déterminent la volonté sans éclairer proprement l’intelligence, ou encore ces grâces de joie qui, consécutives à l’illumination de l’esprit, rendent la volonté conforme aux décisions suggérées par la lumière. Le Rédempteur, en effet, a pour fonction de faire que la vérité et la vertu deviennent sensibles et aimables aux hommes. Il touche l’homme dans sa nature révoltée par des attraits qui en redressent l’orientation et qui la subordonnent de nouveau au règne de l’esprit.

Mais le Christ n’est pas seulement la cause méritoire, il est encore la cause occasionnelle de la grâce de sentiment. C’est lui qui, comme homme, préside à la distribution de cette grâce. Pourquoi ? Parce que Dieu est « empêché par sa sagesse » de « donner sa grâce par des volontés particulières ». Il faudra donc qu’il y ait, comme principe de distribution de la grâce, une cause naturelle ou occasionnelle. Cette cause, c’est Jésus-Christ. C’est lui qui maintient tout dans l’ordre impeccable de la parfaite uniformité législative.

Mais ici, dans cet occasionalisme de la répartition de la grâce, Malebranche a rencontré deux difficultés qui ont été malheureusement des pierres d’achoppement pour sa théologie. — D’abord il a été amené à diminuer le Christ comme homme. C’est la science humaine de Jésus qui doit pourvoir à la distribution de la grâce. Or, si Malebranche reconnaît que, même comme homme, Notre-Seigneur a une science sans limites assignables, il n’admet pas que cette science indéfinie lui procure une connaissance actuelle et habituelle de toutes choses. Il y a une grande différence entre tout savoir virtuellement et penser à tout explicitement et en même temps. Cette limitation pratique de la science du Christ, comme homme, constitue, chez Malebranche, un premier obstacle sérieux à la distribution vraiment universelle de la grâce de sentiment. En fait, il semble que le Sauveur soit impuissant à pourvoir à tout. — Ensuite, il est obligé de respecter le principe de la généralité des lois. Ce principe vaut, en effet, dans l’ordre de la grâce comme dans celui de la nature. Ainsi que l'Écriture nous l’enseigne, Dieu veut en droit que tous les hommes soient sauvés. Cependant, dans la pratique, la foi n’est pas donnée à tous les hommes et le nombre des damnés est supérieur à celui des élus. D’où vient cela ? De ce que ceux-là seuls peuvent réellement être sauvés que les circonstances font entrer dans le dessin du réseau

des voies simples, générales, uniformes et constantes. Il y a là une épure dont le tracé géométrique est l'œuvre du grand Architecte et dont la pureté de lignes exclut jusqu'à la possibilité d’une bavure ou d’un trait hors cadre. On en voit les conséquences..Jésu< Christ seul pouvant Fournir à Dieu les occasions ou les lois générales entrent en action pour que la grâce tombe sur les hommes comme une eau salutaire, il arrivera pour cette rosée céleste ce qui arrive pour la pluie terrestre qui descend sur les sables du déseii ou sur la surface de l’océan, aussi bien que sur les prairies ou sur les terres cultivées. Si le Rédempteur pense à un certain moment à une certaine catégi de pécheurs, les avares par exemple, tous les avares recevront à ce moment là une grâce de conversion, qu’ils soient d’ailleurs prêts ou non à en faire un bon usage. Il y aura donc fatalement des pécheurs impénitents dans l’ordre surnaturel, comme il y a de monstres dans l’ordre naturel. C’est le résultat du jeu des lois générales qui exclut tout particularisme. La symétrie de la nature et de la grâce est parfaite, fl est presque certain que c’est cette application a l’ordre surnaturel de la doctrine des causes occasionnelles qui a valu à notre philosophe la condamnation de son Traité de la nature et de la grâce. Car, ce traité semble, par ailleurs, tout à fait orthodoxe. Si les jansénistes se sont acharnés à obtenir qu’il fût l’objet d’une mesure de proscription, c’est précisément parce que l’analyse qu’il présentait des rapports de l’action divine avec la volonté humaine sauvegardait parfaitement les droits de la liberté. Nous répétons que c’est la philosophie de Malebranche qui ; i fait tort à sa théologie.

A son anthropologie religieuse il y a lieu de rattacher, comme une sorte d’annexé, la question du miracle. Car, cette question est inévitablement liée à l'établissement du christianisme dans le monde et à l’histoire de l’homme sur la terre. Les difficultés classiques soulevées par le miracle deviennent pour le philosophe oratorien un problème difficile à résoudre. On ne peut pas mettre l’accent comme il le fait sur l’immutabilité de l’ordre, sans être embarrassé par les faits extraordinaires qui constituent une illégalité et qui se rencontrent tout le long de l’histoire sainte dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament.

Commençons cependant par donner acte à Malebranche qu’il admet le principe du miracle. Il reconnaît que, en fait, l’avènement de la vraie religion repose sur des miracles, et que, en droit, les miracles sont toujours possibles absolument. Mais il a une tendance incontestable à en limiter le nombre. En présence des faits acquis, il s’emploie le plus qu’il peut à en procurer une explication naturelle. Volontiers, il fait appel aux industries merveilleuses, mais régulières de la Providence qui, par des combinaisons infiniment savantes, mais normales, prépare de loin des coïncidences déconcertantes pour l’intelligencihumaine. Il croit aussi, comme cause du miracle, à l’existence de lois qui ne nous sont pas connues. Et enfin, notamment, pour ce qui regarde l’Ancien Testament, il attribue un rôle très important à Fin tervention des anges. Sans doute, les anges sont des agents invisibles qui ne sont guère perçus que par l'œil de la foi. Mais ils ont le très grand avantage d'être, à un autre point de vue, des agents naturels, capables de maintenir le respect du formalisme légal. En effet, ils peuvent devenir les causes occasionnelles qui déterminent Dieu à agir d’une certaine façon qui n’est plus extraordinaire et surprenante que pour les témoins à courte vue que nous sommes. Malebranche va jusqu'à dire que saint Michel et ses anges étaient aux Juifs, comme causes occasionnelles des faits réputés miraculeux, ce que Jésus-Christ est aux