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qui lui impriment une certaine manière d’elle el « le se conduire. Les inclinations consistent dans l’amour qui

nous porte vers certains objets ; les passions sont les mouvements qui sont déterminés par cet amour. Les inclinations sont des impressions de l'âme qui n’ont pas de rapport avec le corps ; mais c’est d’elles que dérivent les passions qui nous disposent a aimer notre corps et ce qui peut être utile à sa conservation. Il y a trois sortes d’inclinations : 1. l’inclination pour le bien en général : 2. l’inclination pour la conservation de notre corps ;.'?. l’inclination pour les autres créatures qui peuvent nous être utiles.

En tant que fondées sur les inclinations, les passions sont aussi des mouvements de l'âme. Mais elles ont une répercussion sur le corps. C’est le corps qui en est le siège. Elles ont partie liée avec les sens et l’imagination. L’union du corps avec l'âme va donc désormais jouer un rôle prépondérant. Car l’homme n’est pas un esprit pur et il est impossible qu’il ait quelque inclination sans qu’il s’y mêle quelque passion, petite ou grande. L’analyse des passions est présentée par Malebranche avec une pénétration et une subtilité qu’il est difficile de dépasser. Au point de vue physiologique, elle offre des vues de génie. Ainsi, Malebranche a eu le pressentiment très net d’un fait qui devait être mis en lumière par les théories contemporaines. Il s’est rendu compte que les troubles circulatoires sont le plus essentiel des phénomènes physiques qui constituent l'émotion. Traduite en langage moderne, sa pensée signifie que toute impression émotionnelle forte détermine l’augmentation de l’innervation vaso-motrice et, par conséquent, la constriction de certaines artères.

La volonté.

Les inclinations et les passions nous

livrent en partie la connaissance de la volonté humaine. Mais il reste à définir cette volonté dans sa suprême essence. Et c’est ici que nous rencontrons la question de la liberté. Disons tout de suite, pour faire justice de certaines interprétations qui sont des calomnies, que Malebranche a affirmé la liberté humaine avec netteté, avec force, avec constance. Et la théorie qu’il en a proposée est profonde, originale, consistante. Pour lui, ramenée à son premier principe et à sa pure essence, la volonté est le mouvement qui nous porte vers le bien en général, vers le bien indéterminé, vers le bien suprême, c’est-à-dire vers Dieu. L’impression qui nous pousse dans ce sens est invincible. Nous ne pouvons pas ne pas rechercher le bien parce que nous ne pouvons pas ne pas désirer d'être heureux. Au fond, rechercher le bien en général ou poursuivre le bonheur, c’est tout un. Mais cette volonté qui aspire au bien en général, elle rencontre inévitablement sur sa route, comme objets définis, concrets et visibles de sollicitation, une multitude de biens particuliers. Or, invinciblement déterminée à la poursuite du bien en général, la volonté humaine n’est jamais nécessitée à l'égard d’aucun bien particulier. Elle n’est pas obligée de s’y arrêter comme à sa fin propre. Elle a toujours, si elle le veut, de la force pour s’en déprendre, parce qu’elle a toujours du mouvement pour aller plus loin. Car si, pour Malebranche, l’entendement, faculté de l'âme, est rigoureusement passif pour recevoir la vérité, la volonté, autre faculté de l'âme, retient le caractère d’une faculté active pour aspirer au bien. Évidemment cette activité s’exerce par la vertu d’une impulsion reçue de Dieu : mais elle est réelle.

Ainsi, l’adversaire acharné des causes secondes a respecté la notion et le fait de la causalité morale. Il insiste simplement sur ce que cette causalité, qui est l’essence même de la volonté, n’est pas de soi transsitive, mais immanente. Dans sa réponse à la troisième lettre d’Arnauld, il nous donne de sa pensée sur ce

point une formule capitale et décisive : Je crois que la volonté est une puissance active, qu’elle a un "s éri table pouvoir de se déterminer, mais son action est immanente ; c’est une action qui ne produit rien par son efficace propre, pas même le mouvement du bras.

Ce mot immanent revient souvent chez Malebranche. Mais il n’y a pas à s’inquiéter de ce qu’il l’emploie pour délinir le caractère de l’activité volontaire. Car, grâce à la loi invariable et au jeu infaillible des causes occasionnelles, cette activité est, par ailleurs, la maîtresse de l’univers. Dieu lui-même s’est mis à la disposition de la volonté humaine pour exécuter à l’instant même ses désirs, En résumé, la liberté réside tout entière dans le fait que l’esprit peut toujours suspendre son jugement et son amour à l'égard des biens particuliers. La volonté ne sera jamais captivée par aucun bien particulier que si, sans subir aucune contrainte nécessitante, elle s’en est rendue elle-même prisonnière. De cette vérité, nous avons une preuve suffisante dans le sentiment intérieur qui suffit à établir que nous sommes libres. Nous ne le sommes pas tous également. La mesure de la liberté varie d’individu à individu par rapport à un même objet. Mais en principe, tout homme est doué de liberté.

Il semble donc bien que Malebranche ait, sur cette grande question du libre arbitre, sauvegardé les droits de la conscience chrétienne. L'âme peut toujours repousser les faux biens et résister au mal avec la force qu’elle tire du mouvement naturel et invincible qu’elle a pour le bien universel et pour le vrai bonheur.

La morale.

Précisément, parce qu’elle est libre,

la volonté de l’homme a besoin d'être dirigée pour user selon la raison des biens particuliers et pour s’orienter, par la vertu, vers la conquête du bien suprême. De là la morale.

La morale demande à être organisée comme une science. C’est à quoi notre philosophe a pourvu dans son Traité de morale, dont nous avons présenté plus haut une courte analyse. Il a accompli là un remarquable effort d’unification de la morale. Il la ramène toute à la conformité à la raison et au respect de l’ordre. La vertu ne consiste proprement que dans l’amour dominant de l’ordre immuable. Certes, la recherche du bonheur est légitime et nécessaire, puisqu’elle fait partie de l’essence même de la volonté. Mais la conquête du bonheur n’est pas en notre pouvoir. Si la pratique de la vertu dépend de nous, la collation du bonheur dépend de Dieu. Il n’y a donc qu’un seul moyen de nous assurer la possession du bonheur : c’est de travailler à acquérir la perfection. En effet, bien que le rapport de la vertu au bonheur soit synthétique, et non analytique, Dieu ajoutera certainement le bonheur à la vertu comme une récompense qui lui est due. Malebranche est formel là-dessus : « Si l’homme fait ce qui dépend en quelque sorte de lui, c’est-à-dire, s’il mérite en se rendant parfait. Dieu fera en lui ce qui n’en dépend en aucune manière en le rendant heureux… Appliquons-nous donc à connaître, à aimer, à suivre l’ordre… Travaillons à notre perfection. A l'égard de notre bonheur, laissonsle entre les mains de Dieu, dont il dépend uniquement. Dieu est juste : il récompense nécessairement la vertu. Tout le bonheur que nous aurons mérité, n’en doutons point, nous ne manquerons pas de le recevoir. » Traité de morale, Ve partie, c. i. Pour remplir le programme de perfection qui est la condition du bonheur il faut par son âme être uni à la sagesse de Dieu, et rapporter tous les mouvements de son être à Dieu qui, en étant le principe, doit en être la fin.

6° Caractère général de la philosophie de Malebranche. — Telles sont les données essentielles du système philosophique de Malebranche.

Il ne saurait être question d’instituer ici une cri-