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MALABARES (RITES), EXÉCUTION DES DÉCHETS


lcuee et de la bassesse des parias. Lille rétablissait ainsi dans tonte sa force cette répulsion des diverses castes, que les missionnaires s’efforçaient de détruire insensiblement par l’esprit du christianisme. On vit, en effet, de nobles Indiens tressaillir de joie à la lecture de cette prescription, proclamer qu’elle avait été faite en leur faveur, qu’on avait enfin reconnu les prérogatives de leur noblesse, qu’on les délivrait de l’humiliation que leur causaient les rapports cl les points de contact avec les parias qu’ils avaient jusqu’alors subis dans les choses de la religion. > La mission' du Maduré, t. iv, p. 441-443. La combinaison imaginée par le général des jésuites, acceptée comme un pis-aller par Benoît XIV, se révéla finalement grosse d’inconvénients sérieux. La distinction entre missionnaires parias et missionnaires nrahmes finit par s’atténuer ; elle disparut complètement avec la suppression de la Compagnie.

2. Les résultais de l’exécution des décrets.

Il était naturel que la publication et la mise en pratique de la constitution de Benoît XIV rencontrât dans les populations de l’Inde une certaine résistance. Si l’on songe qu'à la fin du xixe siècle, après un long siècle de pénétration européenne, les moindres atteintes portées aux privilèges ou aux usages des castes ont amené, même dans des chrétientés anciennes, de véritables rébellions contre les missionnaires, on ne s'étonnera pas que, se produisant dans les circonstances que nous essayions tout à l’heure de définir, les graves innovations de la bulle Omnium sollicitudinum n’aient engendré çà et là de très graves et très réelles difficultés. Ces difficultés sont-elles allées jusqu'à provoquer de nombreuses défections parmi les chrétiens de l’Inde '?

On l’a prétendu. Se faisant l'écho de traditions plus ou moins sûres, Bertrand écrit : « Le nombre des défections fut incalculable, surtout dans la mission du Carnate, plus récente et, par conséquent, moins consolidée dans les principes de la foi. A notre arrivée dans l’Inde (en 1837, quand la mission du Maduré fut de nouveau confiée aux jésuites), les missionnaires successeurs des jésuites dans ces missions, et témoins des anciennes traditions, nous disaient que dans cette seule partie le nombre des apostasies, occasionnées par la publication du décret, s'éleva à 50 000. » Loc. cit., p. 447. Ceci s'écrivait en 1854. Plus récemment, le B. P. Jean, S. J., dans un livre sur le Maduré, cite un extrait d’une lettre contemporaine de la mise en pratique de la bulle, écrite par un jésuite portugais, le P. Lichetta : « Depuis douze ans, écrivait ce missionnaire, nous vivons dans une guerre continuelle avec nos néophytes. C’est une tempête qui secoue et bouleverse toutes nos chrétientés. C’est aux missionnaires qu’ils s’en prennent. Ils les accusent d’avoir apporté ces brefs pour les tourmenter. Ils sont soutenus dans leur rébellion par quelques prêtres venus de Goa, lesquels n’admettent pas les brefs, et proclament partout que l’on peut sans scrupule observer les pratiques qu’ils condamnent, o Et le P. Jean fait suivre cette citation de réflexions pathétiques sur les sacrifices que l'Église crut devoir faire pour conserver intacte sa doctrine. « Plutôt que de sacrifier un iota du dépôt divin, l'Église verra avec des déchirements ineffables des nations entières s'éloigner d’elle, mais elle gardera le dépôt intact jusqu’au jour où elle le rendra à son céleste Époux, tel qu’il lui a été commis. » Le Maduré, t. i, p. 215-217, cité par A. Launay, Histoire des missions de l’Inde, t. i, p. cix, ex.

Or, une étude très consciencieuse de Mgr Laouënan, premier archevêque de Pondichéry, esprit très ouvert et largement favorable à tous les principes de l’accommodation, remet toutes choses au point,

en essayant une comparaison entre le nombre des chrétiens dans les missions visées par la bulle, d’une part, au moment de la publication de celle-ci, d’autre part, cent ans après. La diminution, prétend cette étude, est à peine sensible. Vers 1740, les trois missions visées par le décret, Maduré, Maïssour, Carnate, comptaient entre trois cent et quatre cent mille chrétiens ; « le total des chrétiens, cent ans après la bulle contre les rites, était de trois cent quarante mille ». Il faut ajouter immédiatement que, si l’on tient compte de l’accroissement naturel de la population chrétienne et des conversions qui auraient dû normalement se produire, ces chiffres stationnaires ne laissent pas de donner l’impression d’un recul très sérieux dans l'évangélisation de l’Inde méridionale. A suivre la courbe qui retraçait les progrès du christianisme dans cette région au. début du xviiie siècle, on aurait dû arriver, au début du xixe, à un chiffre d’adeptes beaucoup plus considérable.

Mais quelles sont les causes qui amenèrent au dernier tiers du xviii 6 siècle un fléchissement très accusé de cette courbe ? Avec beaucoup de modération, Mgr Laouënan reconnaît qu’il y eut des défections, et il ajoute : « Nous n’avons jamais eu la pensée de prétendre que la publication définitive des décrets du cardinal de Tournon a été sans influence sur ces défections. Il est dans l’ordre naturel des choses qu’un christianisme plus ou moins brahmanisé, comme l'était devenu celui des chrétientés du Maduré, du Tanjore et du Carnate, du jour où il ne pouvait plus garder ses livrées, cessât également de retenir ses adeptes : c’est principalement pour plaire aux brahmes, pour donner satisfaction à leurs prétentions, que leur avaient été faites la plupart des concessions blâmées pr.r le Saint-Siège. Aussi, pensons-nous que les nouveaux brahmes chrétiens, sauf un certain nombre d’exceptions, voyant qu’on supprimait ces pratiques, auxquelles ils attachaient peut-être plus d’importance qu'à la doctrine elle-même, se soient hâtés de quitter une religion qui ne rendait pas une justice suffisante à leur vanité, et qu’ils aient entraîné après eux une partie de ceux qui dépendaient de leur influence… Cependant, il ne paraît pas que les défections causées parmi les brahmes chrétiens euxmêmes par la condamnation des rites aient produit immédiatement les effets désastreux que l’on prétend. Bien, parmi les documents qui nous restent de cette époque, n’indique que des défections considérables aient eu lieu pendant que les missionnaires jésuites demeurèrent au milieu de leurs néophytes. > Cité par Launay, op. laud., p. cxm-cxvi.

Non seulement, faut-il ajouter, il n’y eut pas de défections en masse, mais, dans les années qui suivirent la bulle, le mouvement de conversion continua de manière satisfaisante. C’est ce qui résulte des statistiques établies par le P. Castets, S. J. Selon lui, de 1732 à 1744, la moyenne des conversions est au Maduré de 1 000 à 1 500 par an ; or, en 1745, au lendemain de la bulle, le chiffre est de 1745 supérieur à la moyenne ; de 1746 à 1748, on compte 4.098 conversions, c’est-à-dire que l’on reste très approximativement dans la moyenne antérieure. Il est bien vrai encore que ces chiffres bruts n’expriment que très imparfaitement la réalité : il faudrait savoir encore si ces conversions sont de parias ou de gens des castes, préciser l’influence qu’a pu avoir l’augmentation du nombre des missionnaires. Tout cela est impossible à réaliser ; il faut donc se contenter de cette conclusion approximative : la diminution du nombre des chrétiens dans l’Hindoustan méridional n’a pas eu pour cause immédiate la promulgation et la mise en pratique de la bulle sur les rites.