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MALABARES (HlïKSi, DKCHKT DE Toi MNU.N


les idées que nous inspire à nous-mêmes une si choquante inégalité de traitement..Même avec toutes les restrictions que nous avons dites, le paria entrait en rapport avec le missionnaire, avec un gourou d’une caste supérieure ; quel honneur pour lui ! Il s’associait à un culte auquel participaient les gens des castes, et il en était flatté. Le danger du système, à vrai dire, n'était pas en ce qu’il humiliait sans raison le paria. Ce dernier, en somme, n’en retirait guère que des avantages. En réalité, et toute paradoxale que l’affirmation puisse sembler, c’est aux gens des castes qu’il portait le plus redoutable préjudice religieux. Jalousement maintenue par eux, la séparation absolue des castes les cantonne, quoi qu’ils en aient, dans une religion médiocre. Quand Rome, comme nous le dirons plus loin, fera tous les efforts possibles pour abaisser les barrières, c’est encore plus à l’amélioration de la religion dans les castes qu’elle songera qu’au relèvement social des parias.

Pour l’instant, en cette fin de xviie siècle il n’en était pas question ; il n'était bruit dans la Compagnie que des succès très réels remportés au Maduré, nul ne voulait voir certains inconvénients d’une méthode un peu trop exclusive. Les jeunes missionnaires, avant même que de pénétrer dans l’hinterland, répétaient, comme une leçon apprise, les tirades déjà vieillies sur les inconvénients du pranguinisme et les merveilles de « l’accommodation ». Voir dans les Lettres édifiantes, t. vi, p. 23-80 : la lettre est du P. Martin, un des jésuites français de Pondichéry, lequel n’a pas encore mis le pied dans l’intérieur (1699). De rudes combats pourtant se préparaient qui allaient amener dans les pratiques jusque-là suivies au Maduré des modifications considérables

II. La querelle des rites.

Les premières difficultés faites à Nobili lui étaient venues de confrères ; dans les dernières années du xviie siècle, des questions personnelles vont amener des religieux d’un autre ordre à regarder d’un peu plus près ce qui se passe au Maduré. A des yeux prévenus, les pratiques de l’accommodation vont révéler de graves abus, qui seront signalés à Rome. Le Saint-Siège envoie sur place un délégué apostolique, chargé de porter en pleine connaissance de cause un jugement équitable. Mais la sentence de Tournon est contestée et tenue pour non-avenue. Des discussions s’engagent où Rome est obligée d’intervenir à plusieurs reprises ; linalement Renoît XIV mettra dans sa décision tant de netteté et un si péremptoire appel à l’obéissance que tout le monde s’inclinera. Tels sont les événements auxquels on a donné le nom de querelle des rites malabares.

Dénonciations à Rome et légation de Tournon.


1. Discussions entre jésuites et capucins.

Il n’entre pas dans notre plan d'étudier par le détail les circonstances qui amenèrent les capucins français de Pondichéry, à signaler à Rome les abus, prétendus ou réels, dont les missions jésuites du Maduré étaient le théâtre. Les capucins étaient arrivés à Pondichéry vers 1640, et, depuis cette époque, ils donnaient leur soin tant à la population blanche qu’aux indigènes. Arrivés dans la même ville en 1688, les jésuites avaient d’abord exercé leur ministère dans l'église des capucins et avec leur agrément. Finalement, vers 1693, ils obtinrent de l'évêque de San-Thomé (Méliapoure) la cure des Malabares, en d’autres termes le soin de la population indigène, les capucins ne gardant que la ville blanche. Cette division de juridiction (qui s’est d’ailleurs perpétuée sous une autre forme jusqu’au dernier tiers du xixe siècle), amena, comme il est assez naturel, des tiraillements entre les deux ordres religieux. C'était le moment où les jésuites

français projetaient de fonder dans l’arrière-pays (royaume du Camatc) une mission conçue sur le type de celle du Maduré. Il est inévitable qu’on ait beaucoup parlé à Pondichéry des anciens succès de Nobili, des grands espoirs que l’on fondait sur la mise en œuvre de ses idées. Les Lettres édifiantes, qui débutent justement à cette époque, sont pleines d’enthousiasme pour la méthode d’accommodation, d’un dédain mal dissimulé pour les vieux errements des missionnaires de la côte. Plusieurs jésuites français s’en allèrent au Maduré pour étudier sur place l’apostolat qui s’y pratiquait. On les voit très bien rentrant à Pondichéry et ne ménageant pas les critiques à leurs frères rivaux. Un jour devait venir où ceux-ci, piqués au vif, voudraient se rendre un compte exact des pratiques de l’accommodation. Celles-ci, forcément, allaient refluer de l’intérieur vers la côte ; ce n'était plus seulement par ouï-dire qu’on en pourrait juger. Insuffisamment renseignés peut-être, vivant en des milieux où la raison d'être des pratiques apparaissait moins clairement, les capucins se scandalisèrent. La constitution de Grégoire XV ne semble leur avoir été connue qu’assez tard ; quand ils l’eurent en main, ils ne purent s’empêcher de penser que la bonne foi du Saint-Siège avait été surprise. Des rapports partirent pour Rome, récriminant sans beaucoup de justice sur les concessions provisoires qui avaient été faites, en signalant les dangers, insistant enfin sur le fait que l’esprit de la constitution n'était pas respecté. Finalement, un des pères fut, en 1703, envoyé à Rome pour y poser la question en toute netteté. Au moment où il y arrivait, Mgr de Tournon, patriarche d’Antioche, venait de partir chargé par le Saint-Siège d’une inspection dans les Indes orientales et la Chine.

2. Légation de Tournon.

Le patriarche d’Antioche, Mgr de Tournon, qui sera plus tard élevé au cardinalat, n’avait pas pour mission principale de s’occuper de l’Inde. La querelle des rites chinois, bien autrement grave, préoccupait surtout le SaintSiège. Toutefois, légat a lalere, muni de pleins pouvoirs, Tournon avait été prié de voir, en passant, aux affaires de l’Inde. Il jouissait, pour les trancher, des facultés les plus étendues, de celle, en particulier, de modérer ou de révoquer les privilèges de quelque nature qu’ils fussent, jadis accordés par le SaintSiège. Texte de ces pouvoirs dans Platel, Mémoires, t. i, p. 82-102. Parti de Rome en février 1703, le légat arrivait à Pondichéry le 6 novembre de la même année ; il y séjournerait jusqu’en juillet 1704, où il s’embarquerait pour la Chine. Ce séjour de huit mois fut fertile en incidents divers et en conflits de juridiction sur lesquels nous n’avons pas à insister. Notons seulement que l'évêque de San-Thomé, Alvarez, S. J., prévenu par le P. Général, ne suivit pas l’archevêque de Goa dans son refus d’obéir au légat, et, par circulaire, ordonna de le reconnaître. Celui-ci, d’ailleurs, à Pondichéry, alla loger chez les jésuites.

La querelle des rites se greffait sur les conflits de juridiction. Tournon fit son enquête, du mieux qu’il put, mais en d’assez mauvaises conditions. Retenu au lit par la maladie, il lui fut impossible de rien voir par ses yeux ; il fit surtout causer les pères jésuites qui l’approchaient, et spécialement les PP. Rouchet et Rartold : il obtint d’eux des renseignements qui le surprirent ; par ailleurs, il interrogea des Indiens qu’on lui avait amenés : en recueillant les divers témoignages, il se fit une conviction. L’enquête, sans aucun doute, aurait gagné à être contradictoire. Quoi qu’il en soit, le 23 juin 1704, il signait un décret qu’il publiera quinze jours plus tard. Comme ce décret, après bien des débats, a