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MAISTRE JOSEPH DE


critique des procédés de sa méthode ; il ne justifie pas l’accusation d’avoir voulu par un dessein réfléchi et caché faire servir sa méthode et sa science à la destruction du christianisme. Mais, d’autre part, il établit victorieusement : 1° que Bacon n’est nullement, comme on l’a dit, le père de la méthode et de la science expérimentales ; 2° que sa méthode, soit par ses procédés, soit par son but, est impropre aux découvertes et n’en a causé aucune ; 3° que sa conception de la science, enferme l’expérience humaine dans la sphère du sensible et, supprimant la métaphysique, conduit à nier ou éliminer toutes les vérités de l’ordre moral. »


III. Idées et influences. —

1° Avec Chateaubriand et Bonald, de Maistre prit l’initiative d’une réaction à l'égard du xviiie siècle.

Il s’oppose aux philosophes du xviiie siècle, non seulement par sa foi et par le rôle civilisateur et social qu’il reconnaît au catholicisme, mais par sa philosophie et sa conception de l’homme. De Maistre n’entend point « insulter la raison », ibid., p. 213, ni en diminuer le pouvoir, mais il n’accepte pas que la raison individuelle soit la source et la règle unique et dernière de la vérité. Elle est une « lumière tremblotante ». Considérations, c. viii. Au-dessus d’elle, il y a la foi d’abord, mais aussi la raison générale, le sens commun, toutes les vérités apprises de Dieu à l’origine, transmises par le langage et dont l’humanité dans son ensemble est la gardienne et la dispensatrice, car l’homme est avant tout un être social et enseigné ; il faut la contrôler aussi et la compléter par l’expérience, par l’utilité, l’utilité est une garantie de vérité, et plus encore par le sentiment, « l’intuition de la conscience intellectuelle, » qu’il juge, « à peu près infaillible lorsqu’il s’agit de philosophie rationnelle, de morale, de métaphysique et de théologie naturelle, » Soirées, I er entretien, t. iv, p. 18 ; « il est des vérités que l’homme ne peut saisir qu’avec l’esprit de son cœur ». VIIIe entretien, loc. cit., t. v, p. 128.

Science et religion ne sont nullement condamnées, comme l’a faussement affirmé Bacon, ni à s’opposer, ni même à ne pas s’entendre. Entre elles, il y a une « alliance naturelle et fondamentale ». « Plus la théologie est parfaite dans un pays, plus il est fécond en une véritable science. « Comme Bacon l’a dit : « la religion est l’aromate qui empêche la science de se corrompre. » D’autre part limiter les connaissances humaines à des inductions purement expérimentales, à une conception purement mécanique du monde, c’est vraiment trop peu. Pour avoir, une explication complète des choses, il faut faire appel à toutes les forces de l'âme, à l’intuition comme à la raison discursive, faire appel à la métaphysique et fondre le tout dans l’unité de la théologie. Examen, c. xix ; Soirées, II e entretien, t. iv, p. 70-80, Xe entretien, t. v, p. 85188. Sur le danger moral de la science séparée de la théologie et par conséquent de Dieu, cf. Quatre chapitres sur la Russie, t. viii, c. ii, p. 297-300. *

2° Le trait le plus caractéristique de la pensés de Joseph de Maistre est d'être religieuse et même mystique. Cela tient d’abord à sa théorie de la Providence, sa philosophie de l’histoire est celle deBossuet. Il croit à la Providence générale : le monde traduit des intentions d’ordre et d’harmonie et de Maistre ne pardonne pas à Bacon d'écarter les causes finales. Il n’y a point de hasard. Cela est vrai du monde physique ; cela est vrai du monde moral ; l’homme est ordonné par exemple, à vivre en société ; toute nation a sa constitution naturelle, c’est-à-dire, une constitution à laquelle elle est ordonnée et son bonheur attaché ; l’histoire « lui apparaît comme l’allure de la volonté divine cheminant à travers les siècles humains. » Goyau, La modernité de Joseph de Maistre dans Catholicisme et

politique, ln-16, Paris, s. d. (1923). Il croit à la Providence particulière : son interprétation de la Révolution le prouve. Le inonde lui apparaît même suivant le mot de saint Paul « comme un système de choses invisibles manifestées visiblement. » Soirées, Xe entretien, t. v, [>. 178. il n’y a aucune loi sensible qui n’ait derrière elle une loi spirituelle dont la première n’est que l’expression visible. » Ibid., p. 180. Si Kepler découvrit ses fameuses lois, particulièrement la troisième, ce ne fut « qu’en suivant je ne sais quelles idées mystiques de nombres et d’harmonies céleste…, qui ne sont pour la froide raison que de purs rêves. » Ibid., p. 182. Les mystères de la religion ont tous une valeur symbolique. Ibid., p. 173-175. Par ces théories, de Maistre, s’opposait davantage encore au philosophisme du xviiie siècle ; mais, à cause d’elles aussi ; on a voulu faire de lui un simple disciple des fouilleurs d’au-delà que multipliera son temps et dont il parlera lui-même longuement. Soirées, XIe entretien, t. v, p. 227-229 et Quatre chapitres sur la Russie, c. iv, De iilluminisme, t. viii, p. 328-347. Mais s’il avait fréquenté certains groupes martinistes et lu les écrits de Saint-Martin, il n’avait reçu d’eux aucune de ses idées essentielles. Cf. Cf. Goyau, loc. cit., Revue des Deux Mondes, 1 « mars 1921, p. 167, 168.

3° Pour lui, « il faut une religion au peuple » et « tout le monde est peuple », Quatre chapitres sur la Russie, c. ni ; De la religion, t. viii, p. 309. Mais pas de religion sans christianisme. Le christiansime ne date pas de dix-huit siècles. Ses racines plongent dans le passé, dans cette révélation primitive dont les fausses religions elles-mêmes ont gardé ce qu’elles ont de vrai. Considérations, c. x. Il y a donc harmonie entre le christianisme et l’homme ou la société. Du Pape, III part., c. iii, § 1. Le christianisme immuable en son essence est cependant soumis comme toute société « à la loi universelle de développement ». Prenez, par exemple, le pouvoir pontifical : il a grandi et vécu ; mais « la plante est une image naturelle des pouvoirs légitimes. Tout pouvoir constitué immédiatement dans toute la plénitude de ses forces et de ses attributs, est, par cela même, faux, éphémère et ridicule ». Ibid., II part., c. x. Il faut bien, d’ailleurs, que le christianisme suive le mouvement naturel et par conséquent divin des sociétés. « Les lois générales seules sont éternelles. Tout le reste varie et jamais un temps ne ressemble à un autre. » Ibid., c. ix ; cf. Brunetière, loc. cit., p. 34.

Mais « point de christianisme sans le catholicisme. » De Maistre attaque donc toute forme dissidente du christianisme, mais le protestantisme avant tout. Celui-ci a n’est point seulement une hérésie religieuse, mais une hérésie civile. » N’est-il pas « l’insurrection de la raison individuelle contre la raison générale et par conséquent ce qu’on peut imaginer de plus mauvais ? » Réflexions sur le protestantisme, Turin, 1798, Œuvres, t. vii, p. 63-97. Cf. Du Pape, passim. Il approuve Louis XIV d’avoir révoqué l'édit de Nantes ; le roi obéit en cela à un « instinct royal » qui ne le pouvait tromper. Ibid., p. 79.

Son catholicisme est donc intolérant. Il approuve non seulement la révocation de l'édit de Nantes, mais l’Inquisition et il donne comme préface à des Lettres sur l’inquisition d’Espagne, qu’il écrit à Moscou en 1815, Œuvres, t. iii, p. 241 sq., ces paroles de Grimm, Correspondance, Ie part., t. ii, p. 242, 243 « Tous les grands hommes ont été intolérants et il faut l'être. Si l’on rencontre sur son chemin un prince débonnaire, il faut lui prêcher la tolérance, afin qu’il donne dans le piège, et que le parti écrasé ait le temps de se relever par la tolérance qu’on lui accorde et d'écraser son adversaire à son tour. C’est que souveraineté et religion, par conséquent, christianisme et Église sont