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MAlKiMKTISME, SOUiNNIS.MK. DOCTEURS PRINCIPA1

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exacte, c’est la doctrine des docteurs sommités qui est désignée.

Mais il y a une autre tradition fort différente et qui es1 née d’une explication d’un passage ^u Coran i Lvn, 27), cequiesl la caractéristique des plus anciennes, et, dans le cas particulier, elle paraît fort admissible. La voici, telle qu’elle nous est donnée dans le grand Commentaire du Coran de Tabari (commencement du iv° siècle). C’esl à propos du monacliisme chrétien, ta rahbâniga, pour laquelle Mahomet a toujours professé le plus grand respect. J.e Prophète aurait dit : « Ceux qui furent avant nous se sont séparés en soixante et onze sectes, dont trois lurent sauvées, toutes les autres ont été damnées. Une de. ces trois sectes a fait lace aux rois et les a combattus pour défendre la religion d’Allah et de Jésus, fils de Marie, qu’Allah le bénisse 1 Les rois l’ont massacrée. Une deuxième secte ne pouvant faire face aux rois est restée au milieu des hommes, les exhortant à la religion d’Allah cl de Jésus, fils de Marie, que Dieu le bénisse 1 Les rois l’ont massacrée et livrée à d’affreux supplices. Une troisième ne pouvant ni faire face aux rois, ni rester au milieu des hommes en les exhortant à la religion d’Allah et de Jésus, que Dieu le bénisse 1 ont gagné les déserts et les montagnes et y ont pratiqué le monacliisme ; de là cette parole de Dieu dans le Coran : la rahbâniga. » Cette explication a été reproduite par un commentateur du viie siècle donc bien postérieur et il l’a légèrement altérée. Il y est question des juifs divisés en soixante-dix sectes dont trois sont sauvées ; la description des trois est un peu différente, mais le fond reste identique. Il n’est donc ici question que de juifs et de chrétiens, nullement de musulmans.

Pourquoi soixante-dix ou soixante et onze ? On pourrait penser qu’il y a là une vague réminiscence des Septante ; mais il est plus probable qu’il faut y voir une manière de parler pour indiquer un grand nombre non déterminé. Ibn Khaldoûn, à propos d’une tradition où il est parlé des 46, 43, 50 ou 70 parties de la prophétie, nous apprend que les Arabes emploient 70 pour dire beaucoup. Nous employons, nous, le nombre 36 en ce sens, dans le langage de la conversation.

Steinschneider étudiant cette tradition a recherché ce chiffre 70 dans la Bible hébraïque et dans d’autres textes arabes. Il lui assigne une origine astronomique : c’est le cinquième de l’année lunaire, comme 72 l’est de l’année solaire. C’est possible. Mais le caractère conventionnel du nombre nous paraît certain, quelle qu’en soit l’origine. Il en est de même d’une autre tradition qui se trouve dans les plus anciens recueils disant que la foi contient 71 ou 61 branches. Goldziher a proposé de voir dans ces derniers mots mal interprétés l’origine de la tradition des sectes. Mais la forme primitive paraît être celle du commentaire : elle contient l'élément essentiel : les sectes (ou la secte) sauvées, que ne contient pas la tradition sur la foi, où toutes les branches sont bonnes, quoique de valeur différente. Cette idée du privilège se retrouve sous une forme plus vague, il est vrai, dans un vers d’un poète de la fin du I er siècle de l’hégire. « Au jour de la Résurrection tu verras les hommes en cinq groupes dont quatre sont damnés. »

C’est une variante de l'Évangile : « il y aura beaucoup d’appelés et peu d'élus » et, en somme, dépouillée de son apparence mathématique, c’est à cela que revient la tradition. Telle qu’elle nous est présentée par le sounnisme, nous la jugeons incompatible avec la pensée de Mahomet. Elle semble marquer une hiérarchie des diverses religions et ce caractère est plus accentuée dans une variante qui donne la série complète : mages 70. juifs, 71, chrétiens 72, musulmans 73. Or nous avons vu que Mahomet reprochait

loul spécialement aux juifs et aux chrétiens leurs nombreuses divisions, et il n’aurait certes pas songé a y voir un signe de supériorité, à plus forte raison à la conférer, en L’augmentant, à son propre peuple. Il est vrai qu’on lui attribue encore cette parole : J.e désaccord de mon peuple est une bénédiction. >.Mais, s’il en est ainsi, la division en 73 sectes serait aussi une bénédiction et foutes, sans exception, devraient être sauvées.

On peut donc dire que l’argument sounnite manque de solidité et que la tradition paraît avoir été accommodée dans le courant du m c siècle avec la constitution du sounnisme.

Ajoutons en terminant qu’une autre secte dont nous parlerons après le sounnisme, s’est servi à son profit de la tradition, sans lui donner toutefois une forme aussi tranchante et aussi anathématiste. Cette secte se donne le nom de mou’tazilisme parce que, dit-elle, on attribue à Mahomet ces paroles : » Mon peuple se divisera en sectes dont la meilleure et la plus pieuse sera celle des mou’tazilites. » Il ne nous appartient pas de trancher le débat ; il nous suffit d’avoir mis en lumière la véritable physionomie de sounnisme. 2° Les docteurs principaux du sounnisme.

Par

quelles doctrines se distingue : t-il ? Le premier auteur cité plus haut nous dit qu’il accepte, comme vraies, malgré quelques divergences sur des points secondaires ne touchant point au dogme, celles des docteurs suivants : Mâlik, ach Châfi'î, al Aouzâ'î, ath Thaurî, Aboû Hanîfa, Ibn Abî Leîlâ, les disciples d’Ahmad ibn Hanbal, les partisans du dhâhir (sens extérieur). Nous allons résumer leurs doctrines en insistant sur celles qui ont subsisté jusqu'à nos jours.

1. Mâlik (94-179), le grand jurisconsulte de Médine, l’auteur du Mouwatiâ, fondateur du rite malékite suivi parles musulmans de l’Afrique du Nord(l'Égypte exceptée) fut l'élève d’az Zouhrî qui, le premier, fil un recueil écrit des hadîths, et qui fut son prédécesseur à Médine comme traditionniste et comme jurisconsulte. Le rôle de Mâlik à Médine fut surtout celui de moufti, c’est-à-dire juriste consultant. C’est une des caractéristiques de l’islam que cette fonction, bénévole au début, devenue plus tard une dignité officielle, au moins dans l’Empire ottoman. Elle consiste à se prononcer par sentence généralement écrite ou fatwd sur les questions de tout ordre, religieuses, juridiques politiques, etc. que lui posent des musulmans. Lorsque T’alide Mouhammad se révolta à Médine contre les ' Abbàssides en se déclarant le Mahdî, beaucoup, avant de le suivre, voulurent avoir l’opinion de Mâlik. a Pouvons-nous le suivre, demandèrent-ils, alors que nous avons prêté serment d’obéissance au khalife 'abbâsside ? » Mâlik leur répondit que le serment, leur ayant été imposé par la force, n'était pas valable. Les Médinois rassurés par ce fatwd participèrent à la révolte, dont l’issue, nous l’avons vii, fut malheureuse. Le gouverneur de Médine, oncle du khalife, fit saisir Mâlik et on lui appliqua soixante-dix coups de fouet. On rapporte que Mâlik, à son lit de mort, déclarait qu’on aurait dû lui infliger la peine du fouet, toutes les fois qu’il avait prononcé un fatwâ, en se fondant sur le jugement naturel, râi. Cette anecdote paraît suspecte ; elle a probablement été inventée par l'école mâlikite, lorsqu’elle se trouva en controverse avec l'école rivale d’Aboû Hanîfa, laquelle fut qualifiée d'école du râi, par opposition à celle du hadith, dont Mâlik est un des principaux représentants.

Si l’on étudie le livre appelé le Mouwalia « l’aplani ». œuvre de Mâlik, qui nous est parvenue sous la forme de recensions dues à ses disciples immédiats, il faut reconnaître, avec Goldziher, que le hadîth est loin d’y occuper toute la place. Bien souvent, ce qui est énoncé, c’est une opinion de Mâlik, fondée, soit sur un hadîth