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LUTHER. CONCLUSION : ORIGINE DE SA DOCTRINE


rappelé la nécessité de faire de Jésus-Christ le centre de sa piété. Si, par exemple, elle a condamné le mysticisme de Malaval, de Molinos, de Mme Guyon et de Fénelon, c’est en partie parce qu’elle a estimé q ; e ce mouvement s’écartait de Jésus-Christ pour aller à une sorte de religiosité sans précision. Et elle avait raison : dans la Salente de Fénelon, tout est parfait sans avoir besoin de Jésus-Christ.

Luther n’a pas trouvé Jésus-Christ. Mais il est très certain qu’il a trouvé une nouvelle manière d’aller à Jésus-Christ : la théorie de la justification par la foi sans les œuvres. Quels sont les liens par lesquels cette théorie nous rattache à Jésus-Christ ? Dans l’ancienne religion, ces liens étaient nombreux et puissants : sacrifice de la messe, présence réelle de Jésus-Christ dans l’eucharistie, foi en Jésus-Christ, amour pour Jésus-Christ, œuvres en union avec Jésus-Christ. De ces liens, qu’est-il demeuré ? Une vague présence de Jésus-Christ dans l’eucharistie, et par-dessus tout la confiance en Jésus-Christ, une confiance vague et sentimentale. Jésus-Christ a tout accompli ; inutile de nous préoccuper du mot de saint Paul : < J’accomplis dans ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ. » Pour nous unir à Jésus-Christ, le sentiment suffira ; notre activité n’aura aucune valeur religieuse ; l’activité publique recevra même une direction absolument différente de celle de l’Évangile !

L’union du catholique avec Jésus-Christ, c’est une union faite de toute son activité consciente ; l’union du luthérien, c’est une union par le sentiment, avec une activité qui demeure corrompue, étrangère ou même hostile à Jésus-Christ.

Origine de la doctrine de Luther.

Le credo de

Luther n’est pas le credo catholique ; de cette divergence, lui-même, du reste, se faisait hautement gloire, mais naturellement sans la présenter sous le jour que l’on vient de voir.

1. Origine non chrétienne.

Son credo, où Luther l’a-t-il donc pris ? Dans l’Evangile, ou chez les premiers siècles chrétiens’? Non. De l’Évangile, il a faussé la lettre et l’esprit. Sans cesse, l’Évangile recommande les œuvres ; Jésus a maudit le figuier stérile, il a condamné le serviteur qui avait enfoui son talent sans le faire fructifier. Luther, au contraire, rejette toute notre activité comme mauvaise ; avant tout, c’est à nos œuvres et au mérite de nos œuvres qu’il s’en prend. Col. 1212 et 1218. Jésus a dit au jeune homme riche : « Garde les commandements. » Or, entre l’Évangile et la Loi, Luther met une opposition irréductible. Col. 12 11. L’Évangile nous parle d’une religion collective, ayant à sa tête un pouvoir enseignant et dirigeant. Or, pour diriger le chrétien, Luther ne connaît que la Bible et les illuminations privées. Col. 1301. Pour la société temporelle, il le dit expressément : il faut soigneusement se garder de s’y comporter d’après l’Évangile. Col. 1310.

Très fréquemment, Luther s’est réclamé de saint Paul et de saint Augustin. Or. il a faussé le sens de saint Paul. notamment le sens de l’Épttre aux Romains. En public, il a attribué à suint Augustin sa théorie de la Justification par la foi ; en particulier, il a reconnu que c’était là un mensonge. Col. 1256.

Ce n’est donc pas seulement du credo cal holique que le credo de Luther es 1 une réducl Ion et une déformation ; c’est aussi de l’Évangile, de saint Paul et de saint August in. Ce credo est un résidu de christ lanisme.

2. Les vraies sources de la d rlrinr de l.ullnr. —— La

i néologie de Luther a deux grandes Inspiral rices : l’âme de Luther e( l’âme de l’Allemagne. Elle est luthérienne et allemande.

a>. Luther ri w théologie La théologie de Luther <st un produit de l’âme de Luther, el de ses expériences pei tonnelles.

A partir de 1510, et spécialement aux environs de 1515, il se fit chez Luther un mélange d’éléments très divers : nominalisme, Bible, saint Augustin et augustiniens d’extrême gauche, vague platonisme ou néoplatonisme, enfin mystiques allemands du xive siècle. Ces éléments entrèrent tumultueusement dans une nature surexcitée ; ils y devinrent une lave en fusion, mixture chaotique, où la contradiction règne en permanence, une contradiction candide, insolente, exaspérante. L’état d’âme de Luther dans ces années-là, c’est une sorte de regard indécis, sombre et vague, dans l’infini.

Dès lors, il va tout voir au travers de son nominalisme et de son augustinisme, de son pessimisme philosophique et théologique ; plus encore, il va tout considérer au travers de son moi, c’est-à-dire au travers de courtes vues intellectuelles, de préoccupations personnelles. De cet état d’âme sortit, de 1510 à 1518, la théorie de la justification par la foi ; de 1517 à 1521, la destruction de l’Église ; de 1523 à 1530 et même au delà, l’exaltation du prince allemand.

Dans cette théologie, inutile de se mettre en quête d’unité : raison pratique, volonté, mysticisme, impulsions s’y mélangent d’une manière étrange. Du moins, dans cet amas d’alluvions, dans cette collection de sentiments, d’impressions, collection heurtée, hâtée, Luther eût pu travailler à introduire quelque tenue, quelque apparence d’ordre logique. Ce sera là, en effet, l’effort de la génération qui le suivra : de 1540 à 1580. Mais, de cet effort, lui-même était incapable. Dans sa théclogie, il y a toutefois une logique, celle du sentiment. Malgré des courants contraires, certaines tendances finissent toujours par y réapparaître.

Tendance à la contradiction, à la réaction contre tout ce qu’avait dit et fait l’époque précédente, et par-dessus tout, contre « cet idiot de Thomas ». La réaction est la grande loi de l’histoire ; chez Luther, la tendance à contredire va jusqu’à la manie.

Tendance à l’insincérité. Luther avait le mensonge et la duplicité dans le sang. Par sa théorie de la justice imputée, il en arriva à créer Dieu à son image. Les mérites de Jésus-Christ ne pénètrent pas l’homme, ils ne le changent pas dans son fond. D’où une expression fort imagée ; ces mérites sont le manteau qui recouvre notre ignominie, un manteau qui cache notre honte. C’est à ce manteau que Dieu arrête son regard. Et ainsi, il se ment à lui-même. Il nous regarde comme ses amis ; mais, en réalité, nous ne le sommes pas. Cette étrange théorie rappelle le mot de. Cicéron sur Homère : « Il a transporté chez les dieux les défauts des humains ; que n’a-t-il plutôt donné aux hommes les qualités divines 1° Tusc, i, 26, 65. Luther a attribué à Dieu ses allures tortueuses, ses dispositions à la fausseté. Que n’a-t-il plutôt travaillé à s’assimiler la doctrine de Celui qui a dit de lui-même : Je suis la vérité, » et qui nous a dit à nous : « C’est la vérité qui vous délivrera.

Pardessus tout, tendance à se sentir poussé par des forces mystérieuses et invincibles, d’un côté par la nature, de l’autre par Dieu. Rapidement, les impulsions de Luther l’entraînèrent à deux conclusions très accentuées : passivité do l’homme, soit à l’égard de la nature, soit à l’égard de Dieu, rejet de la direction de l’Église. Passivité, c’est-à-dire corruption radicale et Invincible de l’homme déchu, prédestination et sert arbitre. Rejet de la direction de l’Église : tout passifs sous L’action de la nature ou sous l’action de Dieu. qu’avons-nous besoin de recevoii de l’extérieur une

direction doctrinale et moral’I I p : ir des expé

riences vécues, c’est en mourant, en condamnant

lotit, que l’on devient théologien, non p : ir des connaissances livresques ou des spéculations Intellectuelles. W. t v. p 163, 28 I 1619 1521).