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    1. LUTHER##


LUTHER. LA SOCIETE TEMPORELLE

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lectuelle de Luther : voilà non la cause de ses vues étranges sur le pouvoir temporel, mais du moins la condition qui a permis à cette théologie de se faire jour, la porte par où elle a pu passer. Les causes elles-mêmes viennent d’ailleurs : de dispositions de son âme ou de l’âme de ceux qui l’entouraient, par-dessus tout de sa théorie de la justification par la foi. De ce dualisme, il y a une cause lointaine et générale, une cause humaine. Tous, nous avons une tendance à ne pas rattacher notre activité à la religion, à estimer que pour communiquer pleinement avec Dieu il nous suffira d’une certaine religiosité, de quelques aspirations quiétistes ; finalement, nous aimerions à séparer la morale, et surtout la morale sociale, d’avec la religion.

2. Causes prochaines.

Mais de l’attitude de Luther il y avait des causes beaucoup plus précises. Il y avait d’abord les deux grandes tendances de sa théologie : tendance pessimiste et tendance individualiste.

a) La cause profonde de cette théorie, c’est son idée de la corruption radicale de la nature humaine et de la non-valeur de notre activité ; cette cause, en un mot, c’est sa théorie de la justification par la foi sans les œuvres.

L’humanité, pense-t-il, a connu deux grands états, l’état d’innocence et l’état de chute, amélioré par la rédemption ; elle a vécu dans deux grands plans, le plan de la création et celui de la rédemption. Le plan de la création, c’étaient les œuvres couronnées par la charité. Dans ce plan primitif, les œuvres avaient une valeur religieuse. Du reste, en homme tout obsédé par la pratique, Luther s’arrête fort peu à ce plan ; ce sera bien davantage l’œuvre de Jansénius. Ce dont il est préoccupé, c’est du plan présent de l’humanité, de l’état de l’homme déchu. La chute originelle nous a radicalement corrompus ; de chacun de nous elle a fait un mal vivant. Toute notre activité en est devenue mauvaise ; c’est une sève empoisonnée, une eau empestée ; elle est inguérissable. Dès lors, toutes nos œuvres, c’est-à-dire tout le développement de notre activité intérieure et extérieure, tout cela est sans valeur pour nous, sans valeur pour notre perfectionnement religieux et moral, sans valeur pour notre salut. Depuis la chute, le plan de la création est irrémédiablement ruiné.

Le plan de la rédemption, c’est la foi couronnée par la confiance. Le seul acte qui nous y soit profitable, c’est l’acte de foi, ou mieux de confiance en Dieu. C’est dans la foi, dans une confiante aspiration vers Dieu, que se résume pour nous la religion et la morale. Et cet acte de foi, ces aspirations, c’est Dieu seul qui les produit en nous. Dans notre activité, voilà donc-deux plans, le plan du vieil homme et celui du nou-Veau, le plan d’Adam et celui de Jésus-Christ. Mais celle activité « lu vieil homme, si noble dans l’ancien plan, si dépravée dans le plan de la chute, elle subsiste toujours. Qu’allons-nous faire’.’Luther, on l’a vii, en était fort embarrassé. Ci-dessus, col. 121 1 sq. D’ordinaire, (liez l’homme qui a la foi, il

aimait à montrer les uuvres toujours bonnes, parce que tanl vaul l’arbre, tanl vaut le fruit : la foi entraînait les Œuvres, enchaînées a son char. Mais affirmer que, dès qu’on a la foi, on fait infailliblement le bien, c’est se

heurter aux réalités les plus tangibles. Finalement, dans ses moments d’abandon, il avait des mots Formidables pour déclarer qu’à notre point de vue privé nos œuvres n’avaient aucune importance et qu’il s’en désintéressait ; les plus mauvaises elles-mêmes n’étaient pas capables de nuire au Justifié et de lui

enlever l’anut lé de I lieu.

Mais enfin, on ne pouvait pourtant pas laisser notre activité errer au vent du premier caprice, ou de la première passion, ou du premier calcul. Puisque poui

DICT. DI. I Kl "|., i moi.

l’utiliser et la réglementer on ne pouvait trouver aucune raison dans la foi de l’homme privé, Luther en trouva une dans la réglementation de l’homme social. Là où cessait le domaine de l’Évangile, l’État devait intervenir ; de ce vieux matériel, il sera le maître absolu. Finalement, avec plus ou moins de logique, toute notre activité extérieure pourra être placée sous l’étiquette d’activité sociale, et, comme telle, réglementée par l’État.

Mais cette activité, l’État n’aura-t-il pas du moins à la traiter avec justice et équité ? Il n’y sera pas obligé. Car cette activité est un mal, et le mal n’a pas de droits ; il n’a que le droit d’être supprimé ou tout au plus toléré. De cette activité, l’État aura donc droit de se servir uniquement en vue du développement de sa puissance. Dans cette recherche de puissance, n’aura-t-il pas, lui du moins, à s’inspirer de l’esprit de l’Évangile ? Non : dans l’État, on vient de le voir, cet esprit ne saurait exister ; les règles du développement de sa puissance, l’État n’aura donc à les rechercher que dans les maximes du royaume du monde, maximes radicalement mauvaises ; par la violence et la fourberie, ce sera son droit de chercher à atteindre des buts d’orgueil, de volupté et d’accaparement de la terre. Dans l’exercice de ce droit, il n’aura du reste aucun contrepoids social ; l’Église détruite, il sera sur la terre la seule autorité constituée.

Enfin, on l’a déjà vii, les vagues tendances de Luther vers le platonisme ont encore accentué son mépris de notre activité extérieure : ’e corps gêne l’âme ; elle n’a que faire de lui et de tout ce qui le concerne. Tout cela est donc dans un plan inférieur, le plan terrestre de l’autorité temporelle.

b) La seconde grande cause de la disjonction introduite par Luther entre la vie privée et la vie publique, c’est sa conception individualiste de l’Évangile. A ses yeux, l’Évangile n’est que pour notre direction privée ; encore ne contient-il même pas de commandements, mais seulement une espérance. Ci-dessus, col. 1240. L’esprit de l’Évangile va donc contre l’organisation d’une société temporelle : le prince ne porte-t-il pas le glaiye et Jésus-Christ n’a-t-il pas défendu de frapper par l’épéel W., t. xi, p. 251 (1523).

Or, sans doute, l’Évangile est avant tout un livre d’amour. Puis, le catholique sait que toute la doctrine de Jésus-Christ n’y est pas contenue ; ce livre ne contiendrait-il pas d’enseignement sur la direction d’une société, les Apôtres, l’Église, l’Esprit-Saint auraient pu y suppléer au nom de Jésus-Christ. Mais cet enseignement, on l’y trouve ; l’Évangile parle de justice, de charité ; il enseigne la distinction du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. Aux directions de bonté que donne l’Évangile, il a plu à Luther de donner un caractère d’opposition aux dures nécessites qu’entraîne le gouvernement d’un État : pour être vraiment chrétien, il était défendu de tirer le glaive et d’exercer la justice. Mais alors Paul lui-même, Paul le précurseur de Luther, et dans fies l-’.pîtres que Luther reconnais sait hautement comme Inspirées, Paul a montré qu’il

ne comprenait pas l’Évangile I N’a-t-il pas écrit au Romains : « Si tu fais le mal, crains : ce n’est pas en vain que le prince porte l’cpée. étant ministre de Dieu pour tirer vengeance de celui qui f.iil le mal et pour le punir. Rom., x u i. I.

t n restaurateur de l’Évangile en arriver à soustraire

à l’Évangile toute notre activité, et notamment toute notre activité civile ci politique, en arriver a abandonner toute cette activité au caprice du prince I

Comment Luther n’a-t-il pas senti Ce qu’il axait la

de monstrueux’C) (.’est que celle disjonction répondait an len (lances de laine allemande Le même Allemand SCTO 1 tOUl épris d’une sent iment alile pleine d’idéal et de

i. a