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LUTHER. LE NOUVEAU CULTE


réduction et transformation prudentes, timides, gardant beaucoup du passé.

Le centre du culte catholique, c’est Jésus-Christ. La grande prière de l’Église, le plus grand acte de son culte, c’est la messe, à la fois sacrifice et production d’un sacrement. Sacrifice, elle est avant tout un hommage de l’homme à Dieu ; production d’un sacrement, avant tout une source de sanctification pour l’homme. Ce sacrement, c’est le sacrement de l’eucharistie, ou plus simplement le Sacrement, comme on disait à l’époque de Luther.

De cette doctrine, Luther garda toujours la croyance à la présence réelle de Jésus-Christ dans l’eucharistie. C’est ce qui le distingue fortement de Zwingle, de Bucer, de Calvin, en un mot de ceux que, peut-être par une certaine ironie, on a appelés les sacramentaires.

Naturellement, toutefois, il fit subir à ce dogme des modifications profondes. D’abord, pas plus que les autres, ce sacrement ne produisait la grâce ; simplement il excitait en nous la confiance que nos péchés nous étaient remis. En outre, après la consécration, le pain et le vin demeuraient à côté du corps du Christ : il n’y avait pas changement de substance, pas transsubstantiation, mais impanation. D’ailleurs, comme homme aussi bien que comme Dieu, Jésus-Christ était partout présent : dès lors, quelle difficulté y avait-il à ce qu’il le fût dans l’eucharistie ? Puis quand Jésus-Christ est-il présent dans le pain et le vin ? D’ordinaire, Luther nous dit que c’est uniquement au moment de la consécration et de la communion. Mais sur ce point comme sur d’autres, il abonde en contradictions ; et l’on comprend assez qu’après lui cette croyance à la présence réelle ait quelque peu périclité parmi les siens.

Enfin, et par-dessus tout, Luther s’attaque à l’idée de sacrifice. L’idée de la messe le mettait proprement en furie ; avec la papauté, c’est la messe qui a reçu de lui le plus d’injures.

De retour à Wittenberg (6 mars 1522), tout en s’élevant contre Carlstadt, il pousse peu à peu à la suppression des messes basses, puis des messes solennelles. La messe était l’œuvre du diable. W., t. viii, p. 499, 13 (1521). C’était « la plus grande et la plus horrible des abominations papistes ; la queue du dragon de l’Apocalypse : elle avait déversé sur l’Église des impuretés et des ordures sans nombre. » W., t. l, p. 200, 8 ; p. 204, 15 (1537) ; en un mot, c’était l’injure la plus abominable, la honte la plus effroyable que l’on pût faire à Notre-Seigneur Jésus-Christ et à Dieu le Père lui-même. Erl., t. xii, p. 303 (1541). Bref, à Noël de 1524, on ne célébra plus une seule messe dans tout Wittenberg.

A l’aversion de Luther pour la messe, il y avait une raison de circonstance : l’abus de fondations et d’honoraires de messes servant a faire vivre quantité de prêtres dans l’oisiveté. A Wittenberg, en particulier, dans la collégiale dr tous tes Saints, il y avait encore, à la fin de 1523, « trois ou quatre cochons, trois ou quatre ventres » (c’est-à-dire trois ou quatre chanoines ) qui, par amour de l’argent, s’obstinaient encore

i dire la mei le. W., t. xii, p. 220, 7. En 1524, dans un

sermon, il représente « la prêtraille allant à la messe comme des cochons à leur auge ». Il concluait : Oui, je le dis ; toutes les maisons publiques, que pourtant Dieu a sévèrement condamnées, tous les homicides, meurtres, vols et adultères sont moins nuisibles que l’abomination de la messe papiste. » NV., t. xv, p. 773, 77t.

Mais contre la messe, Luther avait nncniison infiniment plus Importante : la messe allait contre sa conception de la religion. Autrefois, la centre de la religion

c’était Dieu..v : inl tout, le culte était donc un boni

mage rendu à Dieu ; le sacrifice en était l’acte par excellence. Avec Luther, le centre de la religion, ce n’est plus Dieu, c’est l’homme ; le but de la religion, c’est d’éclairer l’homme et plus encore de le consoler. Dès lors, à quoi bon une immolation faite à Dieu pour reconnaître son souverain domaine sur la créature ? Sans doute, il gardait bien encore le sacrifice de la croix ; mais il parvint à faire de ce sacrifice un stade ancien de la religion, et à le mettre en opposition avec notre vie religieuse d’aujourd’hui. D’un côté, dans le stade d’autrefois, il y avait le Christ et ses mérites ; de l’autre, dans le stade d’aujourd’hui, nous, qui n’avions plus à mériter, mais simplement à attirer sur nous les mérites de Jésus-Christ par notre confiance en lui. W. t. viii, p. 442, 28 sq. (1521) ; etc.

La messe n’est plus un sacrifice ; Luther va donc en enlever tout ce qui rappelait ce caractère. D’autres raisons contribueront aux modifications qu’il va introduire. Luther et Mélanchthon étaient professeurs ; l’enseignement va remplacer le sacrifice, la chaire remplacer l’autel. Le professeur n’aime pas les fastueux apparats ; le nouveau culte sera simple. Tous les chrétiens sont prêtres ; donc tous communieront sous les deux espèces. Dans l’eucharistie, Jésus-Christ n’est pas constamment présent : il ne l’est qu’au moment de la fonction et de la cène. Donc, en dehors de l’office, il n’y aura pas à venir prier dans le temple. Et pour couronner le tout, la langue vulgaire, comme du reste dans la primitive Église, sera introduite dans le culte et remplacera le latin, la langue officielle de l’Église d’Occident. Par là Luther se rapprochait du peuple et il l’intéressait à la cause de la Réforme. Finalement, au premier rang se tiendra le sermon ; au second, la prière ; au troisième seulement, la confession et la cène.

Toutefois, les changements se feront timidement ; ainsi le veulent un certain bon sens de Luther et la fausseté de ses allures. Il fallait endormir les populations ou, suivant son expression, « ménager les consciences des faibles ». W., t. xii, p. 48, 20 (1523). Dans les églises, le peuple trouvera à peu près les mêmes rites qu’autrefois ; le nom même de messe, ce nom qui venait de Maozim, idole décrite par Daniel, T. R., t. iv, n. 5037 (1540), ce nom affreux sera conservé. Aussi, de longues années après être devenues luthériennes, des communautés de chrétiens ignoreront qu’elles sont séparées de Rome et de l’Église catholique.

C’est avec ces préoccupations doctrinales et pratiques que Luther réforma la messe. A la fin de 1523, il écrit, encore en latin, son Court exposé de la messe et de la communion ; au commencement de 1520, en allemand, La Messe allemande et l’ordre du service de Dieu. W., t. xii, p. 205-220 ; t. xix, p. 71-113 ; voir L. Cristiani, Du luthéranisme au protestantisme, p. 313 sq.

La première messe allemande se célébra à Wittenbcrgle 29 octobre 1525. Dans le luthéranisme contemporain, cette messe s’est intégralement conservée. En règle générale, la messe luthérienne ou cène n’eut lieu que le dimanche. Toutefois, on maintint le culte quotidien ; à la place de la messe, on faisait une lecture de la Bible, suivie d’un sermon, de prières et de (liants de psaumes. Les fêtes des saints disparurent peu a peu. En tout cas. pour la Vierge et les autres saints, on

devait avoir simplement un culte d’honneur, évi tant de les prendre pour des intercesseurs auprès de Dieu. C’est en ce sens aussi qu’on pouvait garder leurs images.

A côté de la Cène, Luther ne reconnut comme sacrement que le baptême, n aurait dit rejeter le baptême <k>, enfants : c’était de la tradition et non de la Bible que l’Église le tenait. En outre, les sacrements n’étalent