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LUTHER. LE NOUVEAU CULTE


l’Écriture loue les œuvres du chrétien, c’est la foi qu’il faut entendre. Par cette substitution de croire à faire, dit-il, « tu pourras facilement fermer la bouche aux sophistes ». Finalement, si l’adversaire insiste sur les passages qui parlent des œuvres, qu’on lui réponde simplement : « Tu fais un grand fracas avec l’Écriture ; elle n’est que la servante, et tu ne la produis ni en entier, ni dans ce qu’elle a de meilleur, mais seulement dans quelques passages sur les œuvres. Je t’abandonne l’Écriture. Moi, je veux me prévaloir du Maître, qui est le Roi de l’Écriture ; il est mon mérite, la rançon de ma justice et de mon salut. » W., t. xl a, p. 457-459 (publié en 1535).

Le Il septembre 1535, il faisait soutenir les thèses suivantes par son cher disciple Jérôme Weller : « Que si nos adversaires veulent dresser la Bible en face de Jésus-Christ, nous, nous dresserons Jésus-Christ en face de la Bible. Nous avons le Maître, eux les serviteurs, nous la tête, eux les pieds ou autres membres ; c’est la tête qui doit commander et aller la première, Si du Christ ou de la Loi l’un doit être sacrifié, que ce soit la Loi et non le Christ. » P. Drews, Disputationen…, 1896, p. 12, th. 49-51.

Qu’on atténue ces textes autant qu’il plaira, on y verra toujours sourdre la tendance très nette à se mettre au-dessus de la Bible, après s’être mis au-dessus de l’Église.

Devant la brutalité des faits, ni les illusions de Luther sur la clarté de la Bible et des illuminations intérieures, ni son désir d’y persister ne purent se maintenir. Aussi, peu à peu, ses déclarations sur ces deux points devinrent-elles moins sonores. En 1525, tout en continuant d’affirmer bien haut que pour le fond la Bible est fort claire, il reconnaît qu’elle présente de nombreuses difficultés « de mots et de grammaire ». W., t. xviii, p. 606, 23. Six ans après, dans son second Commentaire sur l’Épître aux Galates, après avoir déclaré qu’il ne fallait « croire ni l’Église, ni les Pères, ni les Apôtres, sinon en tant qu’ils apportent et enseignent la pure parole de Dieu », il ajoute avec un désenchantement mal dissimulé : « Mais aujourd’hui cette affirmation nous nuit beaucoup et pèse lourdement sur nous. Car s’il ne faut croire ni au pape, ni aux Pères, ni à Luther, etc., à moins qu’ils n’enseignent la pure parole de Dieu, à qui faudra-t-il donc croire ? Est-ce qu’à n’importe quel fanatique il faudra permettre d’enseigner ce que bon lui plaira… » L’objection est précise et, cette fois, pertinemment présentée. Que répond Luther ? « Que chacun voie donc à être très certain de sa vocation et de sa doctrine, afin qu’avec Paul, en toute certitude et sécurité, il puisse oser dire : « Quand même un ange « venu du ciel vous annoncerait un autre Évangile que « celui que nous avons annoncé, qu’il soit anathème. ♦ W., t. xl a, p. 133, 6. « Que chacun voie ! … » Mais des moyens pour voir, Luther n’a pas le loisir d’en indiquer. Certitude de la foi, certitude de l’intelligence de la Bible, certitude de sa justification et de son salut, tout s’obtenait par l’illuminisme et l’autosuggestion.

Enfin, le 16 février 1546, l’avant-veille de sa mort, il écrivait : « Personne ne peut entendre les Bucoliques s’il n’a été cinq ans berger. Personne ne peut entendre les Géorgiques, s’il n’a été quinze ans cultivateur. Personne ne peut bien entendre les lettres de Cicéron s’il n’a été vingt ans mêlé aux affaires de quelque importante république. Personne ne doit oser croire qu’il a goûté suffisamment les saintes Écritures si en compagnie des prophètes, par exemple d’Élie et d’Elisée, en compagnie de Jean-Baptiste, du Christ et des Apôtres, il n’a cent ans durant gouverné les communautés chrétiennes. » T. R., t. v, n. 5468.

C’était une sorte de testament religieux. Après sa mort, Aurifaber le trouvait sur sa table. Ce testament ne ressemblait guère aux proclamations sonores des environs de 1520, sur la clarté éblouissante de la Bible et la sûreté des illuminations intérieures. Est-il même en concordance avec le Oui final que dans son agonie, un jour et demi après, ses disciples auraient obtenu de lui ? Mais Luther était l’homme des contradictions ; jusqu’au bout, à côté d’incertitudes intimes, il a peut-être su jouer son personnage et maintenir ses certitudes officielles.

Cà et là, enfin, il semble distinguer entre la science et la sagesse, ou pour mieux dire le goût des choses de Dieu. La science de la Bible était difficile ; mais le goût de la Bible, voilà qui était accordé à toute âme de bonne volonté. Mais cette distinction allait à ruiner la nécessité d’une doctrine ; une sentimentalité religieuse suffisait. C’est bien, là en effet, que le protestantisme a abouti. Mais Luther était fort loin de vouloir vraiment aller jusque-là ; il garda toujours fortement la nécessité d’adhérer à une doctrine, d’adhérer à la révélation tout entière. En 1530, par exemple, il disait en chaire contre les sacramentaires : « Si on lâche un article de la foi, si petit qu’on le suppose aux yeux de la raison, par là même on les lâche tous ; il n’y en a plus un seul auquel on tienne comme il convient. Nos visionnaires d’aujourd’hui, par exemple, qui nient le Sacrement, nient certainement aussi la divinité de Jésus-Christ et tout ce qui est du domaine de la foi. Motif : à une chaîne enlevez un seul chaînon ; toute la chaîne est défaite. » W., t. xxxii, p. 59, 17 ; de même Erl., t. uv, p. 190, à Jean de Saxe (26 août 1530). Il aime à revenir sur cette idée ; en 1535 et en 1544, il la répète contre les sacramentaires ; en 1535 contre l’Église catholique. « Un peu de ferment corrompt toute la pâte, » dit-il aux sacramentaires. Rejeter sur un seul point la parole de Dieu, c’est dire à Dieu qu’il peut se tromper et qu’on prend sa parole pour « celle d’un homme ou d’un fou. » W., t. xl b, p. 45, 23 (1535) : Erl., t. xxxi, p. 409 (1535) ; Erl., t. xxxii, p. 419 (1544).

Au sein du nouvel Évangile, il fallait donc empêcher les divergences doctrinales ou du moins les atténuer. A cette fin, Luther mit en avant sa mission reçue de Dieu. Mais à supposer que ce remède fût efficace, il ne pouvait être que temporaire. En outre, on aura recours à des professions de foi, à la contrainte des États temporels, et finalement à une gauche reconstruction de l’Église. Mais cette reconstruction était difficile et elle renfermait un pénible aveu d’impuissance : elle fut précédée de la reconstruction du culte.

IV. LE nouveau culte.

1° Le culte en général.

— En 1522, Luther s’est opposé aux innovations de Carlstadt et de Zwilling. Mais les deux grands défauts de ces innovations, c’était qu’elles s’étaient faites trop tumultueusement et qu’elles n’étaient pas venues de lui. Carlstadt écarté, Zwilling assagi, il va reprendre leur programme pour son propre compte, abolir l’ancien culte et en établir un nouveau. D’ailleurs, ici surtout, il faut se rappeler ce que les récents écrivains protestants ne cessent d’affirmer très haut : c’est que Luther n’a pas eu de système, mais des tendances ; ce que nous trouvons chez lui, « c’est un monde d’idées fermentant dans une grande âme religieuse ». A. Harnack, Dogmengeschichle, t. iii, p. 733.

Logiquement, la nouvelle religion aurait peut-être dû n’avoir qu’un culte, le culte intérieur de la foi ; pour exciter ce culte intérieur, il aurait pu s’y adjoindre un sacrement, la Parole. Mais le passé catholique de Luther, son bon sens l’empêchèrent d’aller à la logique de ses idées. Le nouveau culte sera une réduction et une transformation du culte catholique,