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LUTHER. LE SERF ARBITRE ET LA PRÉDESTINATION


liberté est une pure fiction. Tout arrive par une nécessité absolue. Ainsi l’a fort justement enseigné Wiclef, dans un article condamné à Constance. » C’est Satan qui a inventé le mot de libre arbitre. Infini, Dieu ne saurait se laisser influencer par les modifications de sa créature ; il doit donc tout décider et tout faire en elle, le mal comme le bien ; l’homme est contraint d’agir selon les décrets immuables de Dieu. W., t. vii, p. 145, 26 ; p. 146, 5, 35, etc. ; Érasme, Opéra, t. ix, col. 1224. Dès la fin de 1516, Luther avait quelque peu hasardé cette théorie ; même pour les actes inférieurs, ce n’était qu’un semblant de liberté que l’homme possédait. Cari Stange, Die àltesten ethischen Disputationen Luthers, 1904, p. 16, 2. Mais le mot était furtif, et d’ailleurs Érasme ne pouvait connaître un texte qui n’a été publié qu’en 1904.

Ainsi Luther trouve deux grandes causes du serf arbitre ; une cause théologique et une cause philosophique : être déchu, l’homme n’a pas de liberté pour le bien ; être fini, il n’a aucune liberté. En France, on a trop attribué à Calvin la paternité de cette seconde idée.

Dans son Assertion, Luther conclut : « Sur les autres articles, papauté, conciles, indulgences et autres balivernes sans grande importance, on pourrait encore tolérer la légèreté et la niaiserie du pape et de sa suite. Mais de toute ma doctrine, c’est ici le point le meilleur et le plus important. A voir ces malheureux ainsi déraisonner, on ne peut retenir un regret et quelques larmes. » W., t. vii, p. 148, 14.

En 1521 et 1522, Mélanchthon fit un cours sur VÉpître aux Romains et la Première épître aux Corinthiens. Luther se procura les notes d’un auditeur, et dès 1522 il les publia. Si ce commentaire lui avait tant plu, c’était que Mélanchthon, alors tout entier dans son orbite, y niait fougueusement le libre arbitre : « Dans toutes les créatures, y disait-il, tout se produit avec nécessité. Qu’il reste donc fermement établi que Dieu fait tout, le mal comme le bien. Aussi bien que la vocation de saint Paul, l’adultère de David est proprement son œuvre. » Pli. Melanchtonis Annotationes… (1522), dans Grisar, Luther, t. ii, p. 740, n. 4. A ce commentaire, Luther mit une préface : « Personne n’avait mieux écrit sur saint Paul. A côté de ce commentaire, ceux de Jérôme et d’Origène n’étaient que des plaisanteries et des inepties. » W., t. x b, p. 309, 13 ; p. 310, 5.

A côté de la négation de la liberté apparaît vite chez Luther l’idée de la prédestination au ciel ou à l’enfer. Au couvent, la prédestination avait été son grand souci. S’il y était entré, c’était peut-être déjà par une préoccupation angoissante à l’endroit de l’élection divine. De ces angoisses il crut sortir par l’affirmation d’un choix éternel, contre lequel l’homme aurait tort de vouloir se débattre. Op. lut. var. arg., t. i, p. 16 (1545) ; T. R., t. i, n. 1009, 1017 ; t. iii, n.3680 (1530-1540) ; ci-dessus Yiede Luther, col. 1151.

En face de sa double théorie contre le libre arbitre’. Luther a aussi sur la prédestination deux théories juxtaposées : l’une partant de la condition de l’homme déchu, l’autre des décrets éternels de Dieu. D’après la première, l’homme déchu est destiné > la réprobation étemelle ; ’-culs, ceux que Dieu consent à tirer de cet étang de perdition sont appelés au ciel. I)’aprcs la seconde, c’est de toute éternité que Dieu destine une créature intelligente toll au del, soit à l’enfer. v. t. xvitr. p. 7xt. i, p. 705, 706 ; Humbertclaude, p. 126, n. l. Mais cet deux théories mènent absolument à la même conclusion et Luther les distingue assez peu.

Des les Dlctiet sur lr Psautiei apparat ! l’idée d’un nombre restreint de prédestine (’-lus

que le Mirist a lui lr calice d’ami-rtume ; ce n’est pal

I pour tous les hommes. » W., t. iv, p. 227, 32. Dès lors, Luther était préparé à mal comprendre les fortes expressions de saint Paul sur la liberté de Dieu et son indépendance dans la distribution de la grâce. Dans son Épître aux Romains, saint Paul dit des païens qui ont méconnu Dieu : « C’est pourquoi Dieu les a livrés aux désirs de leur cœur. » Ce n’est pas là seulement, dit Luther, un abandon du coupable, une permission de Dieu, c’est un commandement et un ordre. J. Ficker, t. ii, p. 21, 14 ; sur Rom., i, 24. Tout au long de son Commentaire sur l’Épttre aux Romains, il parle de la prédestination, et il y rattache ses attaques contre le libre arbitre. J. Ficker, t. ii, p. 22-23, 208-210, 225, etc. Dans un passage alambiqué, il semble même parler d’une justice inamissible et éternelle. J. Fickert, t. ii, p. 153, 11. Le réprouvé peut faire ce qu’il veut, il péchera : Dieu enserre dans son décret tous les détails de sa conduite. Il ne s’ensuit pas que Dieu veuille le péché ; s’il le veut, c’est pour montrer dans l’homme la grandeur de sa colère à l’endroit du péché… « Ce n’est qu’à Dieu qu’il est permis d’avoir une volonté de ce genre. » J. Ficker, t. ii, p. 22, 1. 4, 17. Ainsi, Dieu ne se borne pas à permettre le péché et la damnation ; il prédestine à l’enfer ; puis il fait que le réprouvé « veuille spontanément être dans le péché et y demeurer ». J. Ficker, t. ii, p. 213, 17. « Que personne ne se plonge dans ces spéculations, dit Luther, sans avoir l’âme purifiée ; il tomberait dans l’abîme de l’horreur et du désespoir. » J. Ficker, t. ii, p. 226, 6.

En 1521 parurent les Lieux théologiques de Mélanchthon. De cette première édition, tout inspirée de Luther, la prédestination est l’âme. Édit. Th. Kolde 1900, p. 67, 74, etc. Or, pour Luther, c’était là « un livre invincible, digne non seulement de parvenir à l’immortalité, mais de figurer dans le canon des Écritures ». W., t. xviii, p. 601, 5 (1525).

2. Origine de la théorie.

D’où venait à Luther la théorie du serf arbitre et de la prédestination ? Comme prédécesseurs dans le monde catholique, on lui a donné saint Augustin, plusieurs augustiniens et saint Thomas. A.-V. Muller, Luthers theologische Quellen, 1912, p. 117-145, et dans Theologische Studicn und Kritiken, 1915, fasc. 2, p. 161…

Saint Augustin aurait nié la liberté. La vérité, c’est que de 388 à 395 il a écrit Sur le libre arbitre un ouvrage où tous sont unanimes à reconnaître qu’il le défend énergiquement contre les manichéens. En 412, il écrit une longue lettre sur ce traité (la 143e), et, dans ses Rétractations, de 426-427, c’est-à-dire trois ans avant sa mort, il y consacre un long chapitre. L. I, c. ix. Dans les deux cas, est-ce pour dire qu’il a changé d’avis ? Tout au contraire : ce que dans ce traité il a écrit autrefois contre les manichéens il le maintient et il l’explique contre les pélagiens. Dans les Rétractations, il a fait mainte réserve sur certains de ses ouvrages, sur ceux-là spécialement qui avaient précédé son épiscopat (396) ; sur son traité du Librcarbitrc.m contraire, il n’a rien trouvé à reprendre. Alors que Luther parlera du serf arbitre, saint Augustin ne cesse de répéter qu’il entend maintenir le libre arbitre. Sans doute, il dit que le hou usage de ce libre arbitre vient de Dieu. t. I, ix, 6, mais les molinistes eux mêmes le disent ; les thomistes l’affirment encore plus énergiquement, et pourtant ils ne laissent pas que d’affirmer la libelle de l’homme, même sous l’influence de la grvoe eftV Enfin, on connaît le tnol célèbre d’Augustin :

Dieu t’a créé sans toi, mais il ne veut pas le justlfii i sans toi. Serm., I i.xix, 13, J’. /… t. xxxvin. col. 923.

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si, ri.. certains augustiniens auraient nié la libelle : Robert Pulleyn, Pierre Lombard. Pierre je Poitiers, P. I. i 1 1 wm. coi. v.i i ; w.. t. xviii, . 21 se). ; P. L.i.< ( m. c, .i. 1037 ; au siècle suivant, saint i humas lui-même en aurait fait autant et