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fait remonter ; c’est plus haut, à noire condition même d’êtres créés et liais. De là, dans notre être el dans tios actes, des restrictions ou défectuosités congénitales ; de là aussi, dans notre développement, des difformités ou maux : maux physiques, Intellec tuels, moraux : un être fini ne se développe pas toujours en conformité avec sa loi, avec les besoins profonds de sa nature.

C’est là la pure doctrine thomiste. Seulement l’exposé d’une nouvelle théorie rappellera toujours la langue qu’employait l’époque précédente. En décrivant ses idées innées, Descartes fera souvent penser à la théorie des idées acquises, et Kant supposera souvent la connaissance du noumêne comme un point qui va de soi. Ainsi, en décrivant la nécessité de la motion divine, saint Thomas et Tauler, son disciple, pourront rappeler les sombres exposés par lesquels les augustiniens peignaient les suites de la chute originelle. Toutefois, de cet augustinisme l’un et l’autre n’ont gardé que des échos lointains.

b. Sur l’activité nécessaire au salut. — Enfin et surtout, de la chute originelle Tauler est loin de conclure au rejet de notre activité dans l’œuvre de notre salut. Dans de nombreux passages, au contraire, il dit expressément que nous devons coopérer à l’action de Dieu en nous. Fréquemment et avec instance, il recommande la pratique des vertus.

Le premier dimanche eje carême, il parle de l’erreur qui pousse à « s’affaisser dans un repos naturel », au lieu de « chercher Dieu par le désir », à « jouir de ce repos… sans pratiquer les vertus ». S’en prenant directement aux Frères du libre esprit, il ajoute : « Personne ne peut être affranchi de l’observance des commandements de Dieu, ni de la pratique des vertus. Personne ne peut être uni à Dieu dans le repos sans amour ni désir de Dieu. Personne ne peut être saint ou devenir saint sans bonnes œuvres. » Bâle, ꝟ. 183r°-v°, 185 r° ; N., t. ii, p. 141, 142, 152.

Le jour de l’Ascension, il parle à l’avance directement contre Luther : « Il y a des religieux, dit-il, à qui Notre-Seigneur reproche leur incrédulité et la dureté de leur cœur. Mais ils se raidissent contre ces réprimandes. Il leur serait pourtant bon de reconnaître cette dureté et cette incrédulité ; alors, on pourrait venir à leur secours. Saint Jacques dit : « La foi sans « les œuvres est morte. » Xotre-Seigneur dit : « Celui « qui croira et sera baptisé sera sauvé. » Nous n’avons la foi que de bouche. Saint Paul dit : « Nous tous qui « avons été baptisés dans le Christ Jésus, nous avons « été baptisés en sa mort. » Saint Augustin dit : « Si l’on « ne va pas à Dieu par un vivant amour et par les « œuvres, il n’y a pas de foi véritable, mais une simple « foi des lèvres. » A., ꝟ. 51 r° ; V., p. 285, 19 ; N., t. ii, p. 402.

Le jour de la fête du Saint-Sacrement : « Gardez-vous de croire avec un grand nombre que pour s’unir au Sacrement (de l’eucharistie) on doit tout laisser de côté, être affranchi (de toute œuvre), et avoir un genre de vie complètement à part. » A., ꝟ. 84 r° ; V., p. 119, 36 ; N., t. iii, p. 169.

Le Xe dimanche après la Trinité : « N’attends pas que Dieu t’infuse la vertu sans travail de ta part. » A., ꝟ. 120r° ; V., p. 179, 11 : N., t. iii, p. 460. Le XII » dimanche, il explique comment pourra s’opérer en nous la venue de Dieu, la nativité de Dieu ; ce sera, dit-il, par notre abandon à Dieu et à sa volonté, un abandon absolu. Mais comment entend-il cet abandon ? « Tu n’as pas besoin de t’engager dans des pratiques spéciales ; garde seulement avec soin et ardeur les commandements de Dieu et les articles de la foi chrétienne. » A., ꝟ. 127 v » ; V., p. 397, 8 ; N., t. iv, p. 23. Luther a annoté ce sermon. W„ t. ix, p. 96, 103, n. 51.

Le XIIIe dimanche, il explique le texte : « Tu aime ras Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute tes forces, de tout ton être. Faisant sien un exposé d’Albert le Grand, il dit : « De tout ton cœur, c’est-udlre s’exercer dans toutes les vertus, sans arrière-pensée ni entraves, avec son cœur, et son âme, et toutes ses forces, p A., f » 133r° ; V., p. 349, 18 ; N., t.rv, p. : >1. Le XVe dimanche : Ne t’imagine pas que ta nature est vaincue ; il faut continuer de lutter contre elle. La grâce ne tombera pas toute seule du ciel dans ton cœur. » A., ꝟ. 138 r » ; V., p. 210, 35 ; N., t. iv. p. 82.

C’est évidemment en tenant compte de ces textes qu’il faut interpréter les passages de Tauler qui parlent de la passivité où nous devons être par rapport à Dieu. Comme chez tous les mystiques, plus peut-être que chez certains d’entre eux, des passages de ce genre se rencontrent fréquemment chez lui. Il rend en termes énergiques la nécessité d’une donation complète, d’un pieux abandonnement de soi à Dieu. Il faut se séparer de soi, perdre toute confiance en soi, accepter complètement, avec joie, enthousiasme et passion, l’action toute-puissante de Dieu sur nous : voilà pour Tauler la condition fondamentale de l’union intime avec l’Être parfait par le moyen de l’amour. A.. M5r « ; V., p. 24, 10 ; N.. 1. 1, p. 410 ; — A., ꝟ. 31 v : V., p. 43, 8 : X., t. ii, p. 167 ; — A., ꝟ. 65v° ; V., p. 305, 15 ; N., t. iii, p. 32. Mais Tauler fait-il ici exception ? C’est là, au contraire, la doctrine de tous les vrais mystiques.

Sans doute, il répète souvent que dans le moment du ravissement, où a lieu la ligature des puissances, il n’y a pas à agir par soi-même ; ce moment passé, il faut se remettre à pratiquer les œuvres. Bâle. ꝟ. 170 v° ; N., 1. 1, p. 315 ; — A., f°15r° : V., p. 24, 23 : N., t. i, p. 414. —Bâle, f°15, 16 ; N., t. i, p. 418-421 :

— A., f°105r° ; Y., p. 337, 34 ; N., t. iii, p. 306 ; — A., ꝟ. 200 r° ; Y., p. 432, 18 ; N., t. iv, p. 204. Mais là non plus il n’y a rien que tous les mystiques n’aient dit avec lui.

Sans doute encore, Tauler goûtait peu les austères mortifications auxquelles çà et là on se livrait dans son ordre ; sa santé, comme nos santés modernes, les lui interdisait. A., ꝟ. 124 r° ; V., p. 268, 21 ; N., t. iv, p. 6 ; du reste, en général, vers la fin du Moyen Age commençait à se dessiner ce mouvement qui, dans les ordres modernes et notamment dans la compagnie de Jésus, attribue plus d’importance aux mortifications spirituelles. Il aimait aussi à censurer l’orgueil, l’hypocrisie, la tendance à mal juger autrui, le pharisaïsme, en un mot, qui parfois s’attache aux pratiques extérieures. A., f » 31 r° ; V., p. 41, 17 ; N., t. ii, p. 162-164 ; — A., f » 124r° ; V., p. 268, 14 ; N., t.iv, p.5, 6. Mais rien de tout cela n’est le quiétisme, et par ailleurs que de recommandations en faveur des prières canoniales et des vertus monastiques ! Sans doute, il dit que « la vraie prière ce n’est pas la prière vocale, » c’est la prière mentale. Par là il ne fait que rappeler l’Évangile et le bon sens ; et il ajoute : « Mais les clercs et les religieux sont spécialement astreints à leurs heures canoniales et à des prières vocales. » Puis il dit, dans une sorte de parenthèse : « Aucune prière vocale n’est aussi pieuse, aussi tendre que le saint Notre Père ; elle nous vient du Christ, notre Maître suprême : c’est lui-même qui l’a dite. Elle sert éminemment à la prière essentielle et véritable. » A., ꝟ. 64v° ; Y., p ; 101, 22 ; N.. t. iii, p. 11, etc. Pour les prières vocales auxquelles on n’est pas astreint, elles peuvent disparaître devant l’union intérieure avec Dieu : toutefois, même alors, des âmes « vraiment illuminées » savent associer la prière extérieure à la prière intérieure. A., ꝟ. 108 r° ; V., p 156, 13 : N., t. iii, p. 321, etc.

Bref. Tauler rappelle constamment la pratique des