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LUT II Kit KT SAINT AUGUSTIN


fondamentale, la théorie de la justification par la foi sans les œuvres.

1. Affirmations d’Augustin.

Pour Augustin, le péché originel est véritablement enlevé par le baptême : « Nous disons que le baptême donne la rémission de tous les péchés, qu’il arrache les fautes sans se borner à les couper. Non, pour nous, il n’y a pas de racines de péiiés pareilles aux racines de cheveux coupés ; les péchés ne demeurent pas dans la chair corrompue, pour repousser, et avoir besoin d’être coupés de nouveau. » Contra duas epist. Pelag., t. I, xiii, 26.

La justice qui vient après le péché n’est pas une justice extérieure à l’homme : elle habite réellement en lui : « Lorsque notre nature est justifiée de son impiété par son Créateur, elle est changée d’une forme déformée en une forme harmonieuse. » De Trinitate, t. XV, viii, 14. « De même que l’âme est la vie du corps, ainsi, quand Dieu a ressuscité une âme de la mort du péché, il est la vie de cette âme. » In psalm. lxx, serm. ii, 3.

Dans son épître, saint Jacques a exalté les oeuvres : « Vous voyez, dit-il, que l’homme est justifié par les œuvres et non par la foi seule. » Jac, ii, 24. A cause de ces paroles et autres semblables, l’épître de Jacques n’était pour Luther qu’une « épître de paille », indigne de figurer dans l’Écriture. Erl., t. lxiii, p. 115 (1532). Or, pour prouver le mérite de nos œuvres, de celles que nous accomplissons en union avec Dieu, c’est précisément à ces paroles de saint Jacques qu’Augustin aime à en appeler. Il dit même expressément que par là saint Jacques voulait aller contre la fausse interprétation des passages où saint Paul enseigne que l’homme est justifié par la foi sans les œuvres. Qwest, lxxxiii, q. lxxvi ; In psalm. xxxi, serm. II, 3 ; De fide et operibus, xiv, 21.

Nos œuvres sont méritoires et nécessaires : c’est à le prouver que saint Augustin a consacré tout son traité Sur la foi et les œuvres, et de longs chapitres » de son Enchiridion. Dans le premier de ces écrits, il rappelle le mot de Jésus-Christ : « Retirez-vous de moi, maudits ; car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger… » Ainsi, dit Augustin, « Jésus-Christ leur reproche non pas d’avoir manqué de foi, mais de n’avoir pas fait le bien. Par là, il voulait nous enseigner que la foi sans les œuvres était morte et ne suffisait pas à nous mener à la vie éternelle. Il nous annonce donc qu’il rassemblera toutes les nations, qui paissaient dans les mêmes pâturages. Il y en a qui lui diront : « Seigneur, quand est-ce que nous vous « avons vu souffrir, et que nous avons manqué de vous « secourir ? » Voilà précisément ceux qui croyaient en lui, mais qui n’avaient aucun souci de faire des bonnes œuvres, comme si la foi morte suffisait à mener à la vie éternelle. » De fide et operibus, xv, 25.

2. Évolution de l’attitude de Luther à l’endroit d’Augustin. — A l’origine, Luther se réclamait d’Augustin. Le 18 mai 1517, il écrivait à Jean Lang : « Notre théologie et saint Augustin font des progrès et régnent dans notre Université. » Enders, t. i, p. 100. Pour Luther, Augustin se dressait alors en face de Thomas, de Scot, de Gabriel, de toute l’année des sententiaires : ce Père devait remporter la victoire, parce que lui-même s’appuyait sur le pur Évangile et sur saint Paul. Alors, Luther prétend appuyer sur Augustin l’identification du péché originel et de la concupiscence, la permanence du péché originel dans le baptisé, l’identification du péché mortel et du péché véniel, l’incapacité totale de l’homme déchu pour le bien. D. P., t. iii, p. 6-31, 45-47 ; ci-dessus, col. 1210 sq.

Sii’habile qu’il fût à s’illusionner et à se sugges tionner, il lui fut pourtant impossible de ne pas en arriver à voir le fossé qui le séparait d’Augustin. Dans un Commentaire sur la première épître de saint Jean, il disait en 1527 : « Dans Augustin, on trouve peu de chose sur la foi ; dans Jérôme, rien. Aucun des anci docteurs n’a cette limpidité de doctrine qui ens> la foi pure. Ils recommandent souvent les vertus et les bonnes œuvres, plus rarement la foi. Y., t. x., p. 770, 22.

Mais ce Commentaire n’était destiné qu’à un auditoire d’élèves, auditoire que la peste avait même considérablement réduit. Pour le grand public, ces confidences eussent pu être dangereuses. Aussi, dans la Confession d’Augsbourg, revue par Luther, quand Mélanchthon en vient à exposer la théorie de la justification par la foi, il se recommande hautement d’Augustin : « Cette doctrine sur la foi se trouve partout dans saint Paul. Et que l’on n’aille pas ergoter et prétendre que c’est là une interprétation nouvelle de Paul : toute cette doctrine a le témoignage des Pères. Dans de nombreux volumes, Augustin défend la grâce et la justice de la foi contre le mérite des œuvres. Dans son ouvrage Sur la vocation des Gentil* et ailleurs, Ambroise enseigne la même doctrine. Assurément, cette doctrine est méprisée par ceux qui ne l’ont pas expérimentée ; mais les consciences pieuses et craintives y trouvent de très grandes consolations. » J.-T. Miiller-T. Kolde, Die symbolischen Bûcher, 1912, p. 45. Dans l’Apologie de la Confession. Mélanchthon insiste davantage encore sur l’autorité d’Augustin : chez ce Père, dit-il, les témoignages en faveur de la fameuse théorie « sont si clairs, que, pour les comprendre, il n’est pas nécessaire d’être fort intelligent ; il suffit d’être attentif ». MillierKolde. p. 92 ; voir aussi, p. 104, 106, 107, 151, 218.

En avril ou au commencement de mai 1531, la Confession et Y Apologie de la Confession furent éditées ensemble à Wittenberg, par les soins de Mélanchthon. Or, à la fin de mai, le même Mélanchthon écrivait à son ami Jean Brenz, le grand propagateur de la Réforme en Souabe : « Sur la foi, je vois ce qui t’embarrasse. Tu restes encore attaché aux fantaisies d’Augustin. Tandis qu’il nie que la justice naturelle soit réputée par Dieu comme une justice vraie, en quoi il a parfairement raison, il en vient ensuite à imaginer que c’est à cause de l’accomplissement de la loi, opéré en nous par l’Esprit-Saint, que nous sommes réputés justes… Augustin ne répond pas assez à la pensée de Paul, quoiqu’il s’en approche plus que les scolastiques. Moi aussi sans doute je dis qu’Augustin est complètement de notre avis ; mais c’est à cause de la persuasion générale ; en réalité, il ne met pas assez en lumière la justice de la foi. » Cette justice de la foi. voilà au contraire, ce que, dans son Apologie, lui. Mélanchthon, avait travaillé à mettre en pleine lumière. « Toutefois, ajoute-t-il, à cause des calomnies des adversaires, il ne m’a pas été loisible d’y parler comme je le fais avec toi en ce moment, quoique, en réalité, ici et là, ce soient les mêmes pensées que j’exprime. » Enders, t. ix, p. 18, 19.

Cette lettre fut soumise à Luther. Il la trouva fort correcte. Il y ajouta toutefois un post-scriptum, mais à quelle fin’? Afin de mieux expliquer encore le caractère extérieur de la justice de la foi. c’est-à-dire afin de se séparer encore plus nettement d’Augustin.

Et voilà la loyauté que dans l’exposé solennel de leur doctrine, dans l’exposé du point central de cette doctrine, apportaient les deux chefs de la Réforme allemande ! En public, il était clair comme le jour qu’Augustin était un préluthérien ; qui prétendait le contraire était un misérable ergoteur. En particulier, on se confiait que, si l’on parlait ainsi, c’était à cause de « la persuasion générale ». Mais le rôle d’un défen-