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LUTHER. LA LOI ET L’EVANGILE


pose : en quel rapport exact nos œuvres sont-elles avec notre justification ? Quelles sont chez Luther les relations entre la religion et la morale ?

Nous aurons deux paragraphes : 1° La loi et l’Évangile ; — 2° Au-dessus de la morale. Dans le premier, en mettant la Loi en face de l’Évangile, les œuvres en face de la foi, nous achèverons de voir que pour notre vie religieuse les œuvres bonnes sont absolument inutiles. Dans le second, nous verrons que théorie et déclarations de Luther sur la foi et les œuvres ont une portée beaucoup plus redoutable : de même que nos œuvres bonnes ne servent en rien à notre justification, ainsi nos œuvres mauvaises ne vont pas nécessairement contre elle : justification et péché, péché même personnel, peuvent coexister en nous.

I. LA LOI et V évangile, — Entre la Loi et l’Évangile, Luther met une opposition irréductible.

Opposition entre la Loi et l’Évangile.

Le protestant

Loofs dit : « Dans l’opposition entre la Loi et l’Évangile se trouve la divergence fondamentale entre la conception luthérienne et la conception catholique du christianisme. » Leitfaden…, 1906, p. 722 ; cf. p. 770-773. C’est fort juste. Pour Luther, la Loi, c’est la directrice de notre activité, le frein de la concupiscence, d’une concupiscence invincible ; l’Évangile, c’est l’excitant de notre foi. Entre la Loi et l’Évan gile, l’opposition ne peut donc être qu’irréductible. Cette opposition à la main, Luther va faire détruire par Jésus-Christ toute la loi de Moïse, le Décalogue y compris. « L’Évangile n’enseigne pas ce que nous devons faire ; c’est là l’objet de la Loi. » W., t. xl b, p. 248, 14 (1532). Voilà ce que Luther enseigne en mille endroits de ses écrits. L’Évangile, dit-il, a rendu la liberté à l’homme. Assurément, mais quelle liberté ? Non pas le libre arbitre, la faculté de se décider entre le bien et le mal ; cette faculté, Luther, à partir de 1516, ne cessa de la dénier à l’homme avec violence. La nouvelle liberté du chrétien, c’était la liberté à l’endroit des prescriptions de la Loi.

2° De quelle loi s’agil-il ? — C’est peut-être ici le point où l’on voit le mieux combien Luther a malencontreusement dépassé l’augustinisme catholique. Impossibilité d’accomplir la Loi au point d’avoir « la justice parfaite *, opposition entre la Loi de Moïse et l’Évangile de Jésus-Christ, autres antithèses entre l’Ancien et le Nouveau Testament, ce ne sont guère là chez les augustiniens catholiques que des théories théologiques bizarres peut-être, mais grandioses, et en tout cas assez inofïensives. A la place, Luther a mis d’autres théories, qui vont à la destruction de toute morale. Quand il parle de l’impossibilité d’accomplir la Loi, il ne s’agit plus seulement d’une conception théologique sur la possibilité du parfait amour de Dieu ; il s’agit de l’Impuissance radicale ou est l’homme de faire le bien : quand, ailleurs, il parle de l’inutilité de la Loi, ce ne sont pas seulement les préceptes cérémoniels de l’An cien Testament qu’il a en vue. préceptes qui de fait sont abolis dans le Nouveau ; pour lui, la partie universelle de la Loi est abolie aussi bien que l’autre, c Ce ne sont pas seulement les préceptes cérémoniels qui ne sont pas une loi bonne et où ne se trouve pas la vie ; il en est ainsi du Décalogue lui-même, ri de tout ce qui peut s’enseigner et se prescrire au dedans et audehors. Une loi bonne et ou se trouve la vie, c’est la charité de Dieu répandue parle Saint-Esprit dans nos cœurs. , 1. 1, p. 228, thèses 82-84 (1517).

C’est déjà l’autonomie kantienne de la conscience morale. Il n’y a plus de loi qui l’Impose a nous, ni du

dehors, ni même du dedans : par la toi. nous devenons

la loi vivante, qui se dirige a son « ré, notre gré étant désormais toujours ce qu’il doit Être.

Le second Commentaire sur l’Épttre mn Oalatei rempli de passages de ce genre. Voici en ce

sens l’un des plus caractéristiques. Comment la loi a-t-elle été abrogée, se demande Luther ? Il répond : Elle l’a été tout entière, sans réserve, de sorte qu’elle ne peut plus ni accuser, ni tourmenter le fidèle ; doctrine de la plus haute importance, qu’il faut prêcher sur les toits ; « car elle porte la consolation dans les consciences, surtout aux heures où l’effroi nous oppresse. Je l’ai dit souvent, et je le répète encore, car on ne le dira jamais assez : le chrétien qui saisit par la foi le bienfait du Christ est absolument au-dessus de toute loi ; il est affranchi de toute obligation à l’endroit de la loi… » Et Luther précise : Lorsque Thomas et les autres théologiens de l’École parlent de l’abrogation de la loi de Moïse, ils disent que ce sont les lois judiciaires et cérémonielles des Juifs qui ont été abrogées, mais qu’il n’en est pas ainsi des lois morales. Ils ne savent pas ce qu’ils disent. Pour toi, quand tu traites de l’abolition de la loi, pense avant tout à la loi proprement dite, à la loi spirituelle ; prends la loi dans toute son étendue ; ne distingue pas entre lois judiciaires, lois cérémonielles et lois morales. Lorsque saint Paul dit que par Jésus-Christ nous sommes délivrés de la malédiction de la Loi, évidemment il entend toute la loi, et avant tout la loi morale ; car c’est même elle seule (et non les deux autres catégories) qui accuse, maudit et condamne la conscience. Nous disons doncque là où le Christ règne par sa grâce, le Décalogue n’a plus aucun droit d’accuser et d’effrayer la conscience. » W., t. xl, a, p. 670, 15-672.

Qu’à l’envolée de l’âme vers Dieu, la loi naturelle elle-même soit un obstacle fort dangereux, c’est ce que l’on peut déjà conclure de ce que Luther nous a dit du Décalogue. Mais ailleurs il le proclame plus directement encore. Sans doute la loi naturelle est écrite en nous, et la raison suffit à nous la faire connaître : Luther aime à citer sur ce point le mot de saint Paul. Toutefois, il n’est pas difficile de trouver chez lui en sens contraire des déclarations d’un nominalisme et d’un pessimisme menant également au scepticisme. On y apprend que le bien et le mal dépendent uniquement de la volonté de Dieu. Pour savoir ce qui est bien ou mal, il nous faut donc une révélation, soit par la Bible, soit par des illuminations intérieures. W., 1. 1. p. 229, 2 (1520) ; t. xxiv, p. 258, 14 (1527) ; W. Walt lier. Die christliche Sittlichkcit nacli Luther, 1909, p. 3, 4. D’ailleurs, pour l’homme déchu, la loi naturelle est devenue un fardeau trop lourd ; même après la justification, l’homme demeure radicalement Incapabl l’accomplir.

Bref, tout ce qui s’impose à nous, tout ce qui a un caractère de coercition, tout cela est haïssable. Aus^ :. sans distinguer entre loi de Moïse, loi de l’Évangile, loi naturelle, Luther éprouve-t-il une joie débordante, un plaisir sauvage à frapper sur « la Loi », à la faire voler en morceaux. « La Loi ne peut que donner la mort. Elle n’est ni bonne ni utile, mais simplement nuisible… Dans son fond, elle n’est que mort et poison. » Erl., t. ix, p. 238, 239 (1527).

Dans la vie de l’âme, il est un acte d’une grandeur absolument à part, c’est l’acte d’amour de Dieu. Pas plus que les autres, cet acte n’échappera aux attaques de Luther. D’abord, c’est un acte qui regarde le Dieu caché, le Dieu avec qui la révélation n’a rien a voir :

Ume Dieu dans ses créatures, dit-il en chaire en

1523 ; il ne veut pas que tu l’aimes dans sa majesté

W.. t. i. p. 189, ’!  : voir aussi, t. u. p, 111.. : t i I Puis c’est un acte, un acte vicié, et la foi suffit ; c’est un acte commande, et la loi est opposée a l’Kvan - Nos sophistes, dit-il, enseignent que pour justifier, la fol doit être formée pur Ut chtwtti, <.e n’est pas la la

vérité, mais une fausse apparence, nue falsification de ii véritable Évangile, c’est que les œuvres

ni la charité ne sont l’ornement ou la perfection de la