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LUTHER. LA GRACE


liante, l’illumination intérieure et la certitude du salut. L’idée directrice, c’est l’absence d’activité personnelle pour s’abîmer en Dieu. Sans doute l’acte d’adhésion à la certitude de son salut (comme du reste l’acte de foi ou de confiance en Dieu) est un acte d’activité et même d’énergie. Mais cette contradiction une fois admise, la certitude du salut achève merveilleusement de nous jeter, enfants inertes et confiants, dans les bras de notre Dieu.

Accueil fait par la Réforme à ta théorie.

Mais,

à des degrés divers, le même désarroi va s’emparer de l’âme des partisans de Luther ; maintenant qu’ils ont quitté l’Église, sur quel esquif vont-ils traverser la mer de la vie ? Les chefs de la nouvelle religion devaient être d’autant plus pris de vertige et d’effroi que la veille ils étaient plus dirigés, plus garantis ; la plupart avaient appartenu à la cléricature ; plusieurs même étaient d’anciens moines. A ces hommes, hier si fortement encadrés, jetés aujourd’hui dans un isolement affreux, quel réconfort restera-t-il donc ? Ce sera de se persuader qu’ils ne s’appartiennent pas, que dans cette extrême solitude, ce ne sont pas eux qui se dirigent, qu’ils sont tout passifs entre les mains de Dieu. La prédestination et la certitude du salut remplacèrent l’Église ; ce fut le port où l’âme du Réformé put venir s’abriter.

De là, l’étrange faveur de la théorie dans le protestantisme du xvie siècle. On la trouve chez Luther et les réformés allemands ; on la trouve chez Mélanchthon dans la première édition de ses Lieux théologiques, de 1521 ; on la trouve chez Zwingle, Bucer et les sacramentaires ; avec plus de vigueur, on la trouve chez Calvin et les siens. « Aucune fleur de nos herbiers dogmatiques n’est plus fanée, ridée, noircie, » dit E. Doumergue, Calvin, t. iv, 1910, p. 412. Les premiers protestants, au contraire, saisirent cette prétendue certitude comme la planche de salut, comme la grande consolation de leurs âmes désemparées. Ainsi encore, SUT son lit de mort. Olivier C.romwell fera appeler Goodwin, un de ses prédicateurs, et il lui demandera s’il était bien vrai que les élus ne pouvaient jamais tomber ni encourir la réprobation finale. — « Rien de plus certain, répondit le ministre. — Je suis donc sans crainte, repartit le Protecteur, car je suis sûr d’avoir été autrefois en état de grâce. » D. Hume, Hislory of England, c. i.xi, année 1658 ; tr. Campenon, 182°), t. ix, p. 165. Du reste, pour notre époque même, l’assertion de M. Doumcrgue est peut-être plus vraie de la France que des pays anglo-saxons ; dans plusieurs sectes américaines, chaque fidèle commémore son grand jour de conversion ; ce jour-là, Dieu lui est apparu, lui certifiant son pardon et son salut.

Avant tout, la certitude du salut est un produit do la Réforme allemande, un produit de l’âme allemande. L’une des caractéristiques de l’Allemand, nous dit Fustel de Coulangos. c’esl de se surexciter, de se suggestionner, de manière à prendre pour vrai l’objet de ses complaisances. En histoire, il saura se rendre merveiHeusemenI apte a voir le même fait, la même institution admirable sur les bords de l’Elbe et de la Sprée, détestable sur ceux de la Seine et de la Loire. Puis ces suggestions seront accommodées d’une foule de renvois aux sources : I illuminisnio et le parti pris seront devenus scientifiques. Revue’1rs Deux Momies, l" r sept. 1872 ; reproduit dans Question » rontemporuinrs, 1893, 1916. Ainsi, ayant besoin de la certitude du salut, Luther sut bien la trouver dans l’Écriture :

Jésus-Christ avait promis de garder ses élus ; il nous

avait dit que Dieu (’-tait notre feuaussi bien que le

sien. (in a quelque raison de nous le répéter : pour comprendre Luther, il faut être né Allemand.

1. 1 le. Idées de Luthei sur la grâce

viennent de nombreux points de l’horizon, du nomi nalisme, de l’augustinisme, d’ailleurs encore ; seul, le thomisme était le terrain pestilentiel qu’il importait d’éviter.

Nous avons vu et nous verrons encore plus loin les points de contact de la théorie de Luther avec le scepticisme nominaliste et le pessimisme augustinien. Poulie fond de sa théorie sur la justification, il ne reste plus guère à étudier que la manière dont il a conçu la grâce, grâce actuelle et grâce habituelle. C’est ici surtout qu’il ne faut pas être exigeant, en lui demandant des précisions dont sa nature et son manque de formation théologique le rendaient également incapable. La grâce, c’était de la métaphysique ; or, dans l’union de l’âme avec Dieu, il ne voulait s’occuper que du sentiment. Un kantien dirait : au lieu de la chose en soi, il ne voulait regarder que le phénomène. Par ex. W., t. iv, p. 665, 18 (27 déc. 1514 ou plutôt 1515).

Un point à letenir, le seul peut-être que Luther ait constamment maintenu, c’est que dans toutes ses vues sur la justification, la foi remplace la grâce ; tout ce que les théologiens précédents ont pu dire soit de la grâce, soit de la charité, c’est de la foi qu’il l’entendra. Mais cette foi elle-même, comment lui l’entendait-il en nous ?

La grâce actuelle.

Les nominalistes ne s’occupaient

pas de la grâce actuelle ; ils en admettaient l’existence, mais en aucun cas ils ne semblent l’avoir jugée nécessaire. Gabriel Biel, II, dist. XXVII q. unica, a. 2, concl. 4 ; a. 3, dub. 4 ; II, dist. XXVIII, q. unica, a. 1, note 2 ; a. 3, dub. 1 et 2 ; Tubingue, t. ii, 1501, ꝟ. 6, p*. R. Seeberg, Lehrbuch…, t. iii, 1913, p. 482, 845. De prime abord, Luther semble avoir eu ici une opinion toute différente ; il parle souvent « d’une direction de Dieu en nous » ; « d’une opération continuelle de l’Esprit-Saint dans notre âme ». W, t. ii, p. 98, 35(1519) ; t.xxiii.p. 523(1527) ; t. XLfc, p. 422, 28 (1532) ; voir aussi J. Ficker, t. ii, p. 22, 225, etc. Mais c’était Dieu lui-même qu’il voyait ainsi agissant en nous. R. Seeberg, Die Lehre Luthers, 1917, p. 99, 100. Au côté créé de la grâce actuelle, il semble n’avoir jamais pensé qu’avec répulsion. Cette motion créée était quelque chose de trop humain et de trop froid ; elle enlevait le contact immédiat avec Dieu.

2° La grâce habituelle. — Sur la grâce habituelle, il s’est un peu plus expliqué. Du reste, dans l’Église les discussions sur ce point étaient plus anciennes et plus précises.

1. Les diverses conceptions de la grâce habituelle jusqu’à Luther. - Comment entendre notre participation surnaturelle à la nature, divine ? S’inspirant spécialement de l’évangile selon saint Jean, les Pères grecs, et surtout saint Cyrille d’Alexandrie, avaient représenté la vie surnaturelle comme une habitation de la Trinité, cl notamment de l’Esprit-Saint en nous. Dans leurs descriptions, la partie créée de cette union trouve peu ou pas de place ; en général, ils se la représentent comme un cachet, comme une empreinte du Saint Fsprit sur l’âme.

Dans les diseussions aVCC Pelage et ses successeurs, si.ii. t Augustin et les Pères latins, au contraire, s’habituèrent de plus en plus à considérer dans la grâce les secours transitoires de Dieu, la grâce actuelle. Pour notre union habituelle avec Dieu, ils semblent avoir pensé comme les Pères gri

Au xiie siècle, Pierre Lombard demeure dans cette manière de voir, en l’exagérant même. Dans la vie surnaturelle, il semble ne considérer que l’élément

Incréé, c’est a dire l’Esprit-Saint : la grâce sanctl Hante, c’est la charité, et la chante (est l’Esprit saint. Sent., l. I. dist. u. i u. dist. i. u ii xm’siècle, au contraire, chercha a préciser le mode

de l’habitation du Saint Esprit dans l’Ame. Sous l’influence d’Aristote, Alexandre d< Halès, saint Hona-