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122’LUTHER. LA JUSTICE IMPUTÉE

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dont lu pourras l’embellir, non seulement tu ne découvriras en lui aucune trace de purification, mais tu n’y trouveras qu’une noirceur diabolique. » W., t. XL b, p 352, 36-354 ; p. 407, 31. Et à table, en 1533 : « Pour notre justification, nous demeurons dans la catégorie de la relation et non dans celle de la qualité ; Dieu nous tient pour justes et pieux. » T. R., t. iii, n. 4933 a. Sans doute, la foi elle aussi était une qualité ; mais ce n’était pas comme qualité qu’elle justifiait, « c’était par sa relation avec les mérites de Jésus-Christ et la miséricorde de Dieu. » T. R., t. iii, n. 3734 (1538).

En 1536, Mélanchthon avait avec Luther un entretien théologique extrêmement sérieux ; il lui demandait de préciser la nature de notre justification. Pour la question qui nous occupe, c’est évidemment là un document capital : l’âge de Luther, l’importance de son interlocuteur, tout nous autorise à voir là sa pensée dernière. Or il s’y déclare résolument contre une double justice, et pour une justice complètement imputée, c’est-à-dire complètement extérieure : Mélanchthon : « Estimez-vous que l’homme est justifié par un renouvellement intérieur, comme Augustin paraît l’admettre ; ou au contraire par une imputation gratuite, extérieure à nous, et par la foi c’est-à-dire par une ferme confiance, qui naît de la parole de Dieu ? » — Luther : « Je suis intimement persuadé et certain que c’est uniquement par une imputation gratuite que nous sommes justes auprès de Dieu. » — Mélanchthon : « Du moins, ne concédez-vous pas que, justifié avant tout par la foi, l’homme l’est secondairement par les œuvres ? Sans doute, pour que notre foi ou confiance demeure certaine. Dieu ne requerra pas l’exécution parfaite de la Loi ; mais la foi suppléera à ce qui manquera aux œuvres de la Loi ? Vous concédez une double justice, la justice de la foi et celle d’une bonne conscience, où néanmoins la foi vient suppléer à ce qui manque à l’accomplissement de la loi. L’une et l’autre, vous les reconnaissez comme nécessaires devant Dieu. Mais cela qu’est-ce autre chose que de dire que l’homme n’est pas justifié uniquement par la foi ? » — Luther : « J’estime que l’homme devient, est et demeure juste uniquement par la miséricorde de Dieu. C’est là la justice parfaite, qui absorbe tout mal et rend l’homme simplement saint et innocent. » Erl., t. Lvm, p. 347-349 ; T. R., t. vi, n. 6727

Toute sa vie, Luther resta fidèle à sa théorie de la foi justifiante : « Dans mon cœur, écrivait-il en 1535, règne cet unique article de la foi au Christ. » W., t. xi. a, p. 33, 7 (1535). Et au milieu de 1537 : « L’article de la justification est le maître et prince, le seigneur, directeur et juge de tout genre de doctrine ; c’est lui qui donne vie et direction à toute la doctrine de l’Église, et qui élève notre conscience à sa vraie place en face de Dieu. » P. Drews, p. 119 (1 er juin 1537) ; voir aussi Erl., t. ii, p. 157 (vers 1525 ?) ; W., t. xl, p. 352, 353 fl532), t. l. p. 250, 21 (1537), etc.

Les fâcheuses conséquences qu’à partir de la fin de 1537 Jean Agricola tira de cette tnéorie ne firent pas revenir Luther en arrière. Au colloque de Ratisbonne, en 1541, des théologiens catholiques, Jean Eck, Jules Pflug, Jean Gropper, présentèrent une formule de conciliation : le pécheur était justifié par la foi vivante ; par elle il saisissait la miséricorde promise dans le Christ, recevait de Dieu la charité, accomplissait la loi, et finalement, toujours à cause du Christ, possédait « une justice inhérente ». Vain palliatif, écrivait Luther à l’électeur Jean Frédéric ; de « la fourberie des papistes » il n’y avait rien de convenable à attendre ; ils entendaient bien toujours que la justification ne se produisait pas seulement par la foi, mais encore « par les œuvres, par une

charité et une grâce qu’ils appelaient inhérente. Pour lui, au contraire, « il n’y avait rien à valoir devant Dieu que son Fils Jésus-Christ ». Enders, t. xiii, p. 342 (10-Il mai 1541 ;.

Enfin, en 1579-1580, la Formule de concorde codifia la justice purement extérieure et imputée : « Notre justice tout entière est en dehors de nous ; elle réside uniquement en Notre-Seigneur Jésus-Christ. » Pars II, c. iii, n. 55 ; Miiller-Kolde, 1912, p. 623.

Voilà donc en nous la lèpre inguérissable du péché. En regard, et d’une manière fort conséquente, Luther met le Christ comme notre justice formelle. Voir Enders, t. ix, p. 20 (1531) ; cf. D. P., t. iii, p. 287294. Seripando lui-même rejetait cette expression comme une monstruosité. Conc. Trid., t. v, p. 487, 9 ; p. 672, 9. Mais on en voit assez bien la genèse. Constamment, Luther est hanté par le souvenir de Yhabitus de la grâce sanctifiante, cette forme infuse dans notre âme. Ci-après, col. 1237 sq. Il riposte : « Non, il n’y a rien d’infus en nous. Notre justification, c’est le Christ, extérieur à nous. Le Christ est la forme extérieure qui nous justifie. » Formelle, réelle, notre justification l’est assurément. Seeberg, 1917, p. 241 n. 1 ; mais d’une forme, d’une réalité extérieure à nous. Ce qui nous est intérieur, c’est la concupiscence, et la concupiscence, c’est nous-mêmes : êtres corrompus travaillant pour le fini, nous ne pourrions nous en débarrasser qu’en nous anéantissant. « Tu es ma justice ; je suis ton péché, dit Luther à Jésus-Christ ; pour exprimer notre justification, ce fut là pour lui l’antithèse définitive. Ficker, t. ii, p. 334, 33 ; Enders, t. i, p. 29 (8 avril 1516) ; p. 60 (5 oct. 1516) ; W., t. i, p. 593, 25 (1518) ; t. iii, p. 145, 16 ; 147, 24 (1519). Plus tard, il écrira sur la première page d’un psautier : Tu justilia mea, ego peccatum tuum. O. Albrecht, dans Theol. Studien und Kritiken, 1920-1921, p. 276. Notre foi ou confiance se tournera vers le Christ, elle le saisira et c’est ainsi qu’elle aussi elle pourra s’appeler notre « justice formelle ».W., t. xl a, p. 364, 12 (1535).

Comme on le verra plus loin, la théorie de la prémotion physique a pu contribuer à conduire Luther à la négation de la liberté ; de même, celle de certains augustiniens sur la double justice l’a conduit à la justice tout imputative. Ainsi le voulait cette nature fruste, ignorante des nuances et de la complexité de la vie, cette nature fougueuse et violente, brisant toutes les barrières et n’aimant à se reposer que dans les extrêmes. Ainsi, enfin, le voulait son intérieur bouleversé. Le voilà à Wittenberg, dans son cabinet de travail, moine encore aux environs de 1516 ; plus tard, ers 1523, sentant non loin de lui sept religieuses échappées de leur couvent, et à qui, pour quelque temps, il a donné refuge dans le sien ; à partir de 1525, devenu le mari de l’une d’elles, Catherine Bora. De son organisme en ébullition montent, montent tumultueusement vers son cerveau les matières en fusion : pensées d’orgueil et de complaisance, à l’idée, si souvent et si crûment exprimée, qu’il est un grand théologien ; pensées de domination, à l’idée que là-bas, plus loin et plus loin encore, son nom retentit bruyamment, renvoyé des collines à la plaine ; poussées de colère contre les papistes, masse abjecte, et qui pourtant veut encore lui résister ; contre un Carlstadt, un Zwingle, un Agricola, qui ne veulent pas reconnaître sa mission ; poussées de la chair, qui demande ses assouvissements. Mais, se dit Luther, toutes ces pensées, toutes ces impulsions viennent de la concupiscence ; toutes, elles sont donc des péchés. Et pourtant, moi, le grand Envoyé de Dieu, il y a longtemps que je suis justifié. Il est haletant, les traits crispés, comme dans ce tableau de Charles Bauer, alors qu’au milieu de la nuit, un éclair zigzague à sa fenêtre, et