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    1. LUTHER##


LUTHER. INFLUENCE DE L’AUG USTINISM E

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professeur à Louvain, avait clé élevé chez les auguslins. Adversaire de Luther, n’aurait-il pas toutefois appartenu à un courant augustinien, précurseur du Réformateur ? Dans l’ensemble, il faut répondre négativement. C’est surtout dans son traité De la grâce et du libre arbitre qu’il parle du péché originel et de la concupiscence. Opéra, Louvain, 1552, t. iii, ꝟ. 96 sq. Or, sa théologie y est très différente de celle de Luther : « Le péché originel, dit-il, comprend deux éléments : l’un, le manque de justice originelle, … l’autre, une inclination à convoiter selon la chair. » Ibid., î° 118 v° D. Toutefois, Driédo garde quelques expressions propres à l’augustinisme. Dans son traité de la Caplil’itéet de la rédemption du genre humain, il dit qu’après le baptême le péché habite encore dans notre chair, t. ii, ꝟ. 30 v° D. Assurément l’expression est de saint Paul, Rom., vii, 17, 20 ; mais l’interprétation qu’il en donne est augustinienne. En effet, saint Augustin, saint Thomas, qui en général n’osait le contredire, plusieurs exégètes à leur suite ont estimé qu’ici saint Paul parlait de l’homme régénéré. Mais les Pères, et avec eux l’exégèse moderne, estiment que c’est l’homme non encore régénéré qu’il a en vue. Finalement, surtout à cause de l’abus que Luther et Jansénius ont fait de cette expression, la langue catholique l’emploie moins qu’autrefois. Ailleurs, Driédo allant plus loin encore, répétera que la concupiscence est mauvaise. T. iii, ꝟ. 125r°, 161r°, 165v°. Enfin, copiant une déformation fréquente alors de textes d’Augustin, il y substituera le mot péché originel au mot concupiscence. Ibid., ꝟ. 119 r°A ; voir aussi R. Seeberg, Der Augustinimus des Johannes Driédo, dans Geschichtliche Studien Albert Hauck… 1916, p. 210-219.

3. Seripando (1493-1563). — Pour les courants théologiques de la fin du xve siècle et du commencement du xvie, la récente publication des actes du Concile de Trente est d’une importance capitale. On y voit, prises sur le vif, dans des discussions quelquefois très animées, les idées d’hommes qui avaient alors de quarante à soixante-dix ans. La formation théologique de ces hommes s’était donc faite de 1500 à 1520, alors que Luther était inconnu ; par leurs professeurs, nous remontons même vraisemblablement beaucoup plus haut, à tout le moins jusqu’au milieu du xve siècle.

Or, dans ces discussions, on voit comme sortir de terre des idées que l’on ne soupçonnait pas dans la théologie de cette époque ; et certaines de ces idées ont avec celles de Luther des ressemblances étranges. Ces ressemblances se remarquent tout spécialement chez Girolamo Seripando, général des augustins, et chez les augustins qui l’entourent. Le 25 juin 1546, dans une lettre au cardinal Alexandre Farnèse, Denis Zannettini, des Frères mineurs, évêque de Mylopotamos en Crète, le constatait avec amertume : « Tous les théologiens s’accordent à dire que, d’après l’ordre établi par Dieu, les œuvres sont une condition nécessaire de la justification. Seuls, les religieux de saint Augustin, je veux dire les grands ceinturés, disent que de notre côté il n’y a rien de requis ; nous nous y comporterions d’une manière complètement passive et réceptive, ce qui est une opinion hérétique et luthérienne. Il est de toute évidence que l’ordre entier est infecté. Si, en présence de tout le concile, ils ont l’audace de parler ainsi, jusqu’où ne vont-ils pas dans leurs prédications ? Mais leur général devait les connaître ; puisqu’il les a fait venir ici, il est manifeste que lui aussi il est de cette opinion. Et, dans leurs conversations, ceux qui ne prêchent pas répandent cette ivraie et autres poisons du même genre, marchant à la suite de leur défroqué sacrilège, Martin Luther. Voilà ce que, depuis nombre d’années, je ne cesse de crier, surtout contre

ces grands ceinturés, soi-disant héritiers d’Augustin.. Concilium Tridentinum, t. x, 1916, p. 539, 19 ; cl. p. 586, etc.

On le verra fréquemment par la suite : dans le fond et peut-être plus encore dans la forme, dans les idées et la terminologie, les ressemblances de cet augustinisme avec la théologie de Luther sont évidentes. D’où venaient-elles ? — De l’influence de Luther ? Ou, comme l’insinue Zannettini, d’un reste d’attachement pour l’ancien confrère ? Plus simplement encore du désir de faire la part du feu ? Dans ces ressemblances, ce désir d’aller jusqu’au bout des concessions permises a pu s’exercer. Mais qu’on lise les dissertations et observations de ces théologiens ; on verra que leurs idées et moins encore leur terminologie ne purent leur venir ainsi d’une manière tout adventice, alors que leur formation théologique aurait été déjà terminée. L’influence directe de Luther, l’attachement à l’ancien confrère sont encore moins acceptables ; le seul fait qu’une idée avait été émise par Luther devait plutôt les porter à la regarder avec suspicion.

Sur ce terrain, le rôle de Seripando doit retenir tout particulièrement l’attention. Dans son ordre et dans l’Église elle-même, ce personnage occupa alors une place considérable. Le 24 mai 1539, le chapitre général réuni à Naples l’avait placé à la tête de l’ordre. Quatre jours après, contre quiconque pourrait être légitimement soupçonné d’incliner vers Luther, on avait édicté des peines formidables. Le 12 juillet suivant, Seripando écrivait aux augustins : « Si de près ou de loin certains ont été contaminés par la dépravation luthérienne, ce qu’à Dieu ne plaise, qu’ils s’en aillent. Qu’avec eux les livres de cette hérésie, s’il s’en rencontre, « soient jetés dehors pour être foulés aux pieds. » Si l’on sait ou que l’on soupçonne que quelqu’un est infecté de ce venin, qu’on se garde de le lui reprocher ou de l’injurier, mais qu’on nous en avertisse aussitôt. » Lettre ms. à la fin de l’exemplaire des constitutions de l’ordre, Paris, Bibl. nat., vélins, n. 395. Défait, Seripando s’appliqua aussitôt à purifier l’ordre des augustins de toute infiltration luthérienne. Fr. Lauchert, Die italianischen literarischen Gegner Luthers, 1912, p. 538. Il resta général jusqu’au printemps de 1551. Le 26 février 1561, il fut nommé cardinal, et de 1561 à sa mort, survenue deux ans après (17 mars 1563), il fut l’un des légats de Pie IV au concile. Or, à ce concile, Seripando avait soutenu des théories parentes de celles de Luther, notamment sur la double justice, et il les avait soutenues avec une opiniâtre énergie. Voir ci-après ; et ci-dessus, art. Justification, t. viii, col. 2166 sq. C’est précisément à cause de ces idées que Philippe II s’était opposé à sa promotion au cardinalat. Conc. Trid., t. ii, p. lxx, note 10.

La vraie raison de ces idées, ce n’était donc pas une influence quelconque de Luther, c’était que dans certains milieux et notamment chez les augustins, les idées et la terminologie de saint Augustin et des augustiniens du xiie siècle étaient plus ou moins demeurées. En défendant cette théologie, Seripando défendait une tradition de son ordre. Cette tradition devait être assez intime ; au concile de Trente, Salméron et autres, comme on le verra ci-après, diront que la théorie de la double justice était toute nouvelle et qu’elle venait de Luther (16 oct. 1546).

La parenté des idées de Seripando avec celles de Luther n’a donc rien qui doive surprendre. Mais la manière fort opposée dont l’Église a traité ces idées et ces hommes ne doit pas non plus scandaliser. A toutes les époques de la vie de l’Église, certaines théories se côtoyant ont éprouvé ainsi des traitements fort divers. Maître Eckhart au xiv c siècle, les jansénistes et les quiétistes au xvii c ont été condamnés. Au contraire,