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LUTHER. INFLUENCE DE L’AUGUSTI NISME


1° Luther et les augusliniens du XIII au XVe siècle.

— 1. Grégoire de Rimini († 1358). — Sur des points importants, Grégoire de Rimini a émis des idées similaires à celles de, Luther. Ainsi, tout en acceptant la théorie des habitus, il estime qu’en droit, grâce habituelle et état agréable à Dieu ne sont pas nécessairement liés ; pour surnaturaliser l’âme, Dieu pourrait s’unir immédiatement à elle, sans l’intermédiaire à’habilus. In / « < « Sent., dist. XVII, q. i, a. 1 et 2, Venise, 1503, ꝟ. 76 v°, col. 2, ligne 3 ; ꝟ. 78 r°, col. 2 ; ꝟ. 78 v°, col. 2. Autre point, de beaucoup plus de poids ici : il identifie le péché originel avec la concupiscence ; il fait même de la concupiscence une « qualité morbide dansl’âme ».7nJ r / « mSen^., dist.XXX-XXXIII q. i, a. 2, ꝟ. 101 v°. Dès lors, si l’on demande : le baptême efface-t-il vraiment le péché originel ? Il faut distinguer, répond Grégoire : « il en enlève la responsabilité, mais il n’en enlève pas l’essence. » In Hum Sent., dist. XXX-XXXIII, q. i, a. 4, ꝟ. 102 v°. Dans l’homme déchu, Grégoire semble maintenir la liberté. In It" » Sent., dist. XXXVIII, q. i, a. 3, conclus, princip., ꝟ. 136 r°, col. 1. Mais cette position est-elle bien logique ? Est-elle réelle ou simplement verbale ? Grégoire, va jusqu’à estimer que sans la grâce nous sommes incapables d’aucun acte véritablement bon. In Ilum Sent., dist. XXVI-XXVIII, q. i, a. 2. ꝟ. 84 v°94 ; de même, dist. XXIX, q. i, a. 2, ꝟ. 96 v°. Enfin, sur la faiblesse de la raison et autres points connexes, Grégoire joignait à son augustinisme des éléments nominalistes.

Or, de bonne heure, Luther connut la théorie de Grégoire sur notre prétendue incapacité de rien faire de bien sans la grâce ; dans le manuel de Gabriel, elle était très explicitement exposée. In II"’" Sent., dist. XXVIII, q. unica, Tubingue, 1501, t. ii, f° P ijr°. Pour ses conclusions formidables sur la corruption radicale de l’homme déchu et la perte complète de la liberté, elle a donc pu lui servir d’amorce.

Sans doute on ne voit pas qu’avant 1518 ou même 1519 il ait eu vraiment l’œil ouvert sur Grégoire. Cette année-là eut lieu à Leipzig sa dispute retentissante contre Jean Eck. dispute d’où, par parenthèse, il fut loin de sortir vainqueur. Alors, peut-être averti par Carlsladt. il se recommanda hautement de Grégoire de Rimini ; seuls en face de tous les scolastiques, Grégoire et Carlstadt avaient des idées justes sur ce qui regardait la grâce et le libre arbitre. Bnders, t. ii, p. 109 ; voir aussi p. 81. Mais le silence de Luther montre-t-il vraiment que, jusqu’alors, les idées de Grégoire n’avaient fait que glisser sur son âme ? On ne saurait l’affirmer sans réticence.

2. (iérarddr Zutphen (1367-1398). — Dans ses Dictées sur le Psautier et dans son Commentaire sur l’É pitre aux Romains, Luther rappelle avec grand éloge Gérard de Zutphen et son petit traité Des ascensions spirituelles. V., t. iii, p. 648, 25 ; l-’icker, Lu, p. 145, 3 ; le traité se trouve dans la Maxima Bibliotheca vrterum Pairum, t. xxvi, Lyon, 1677, p. 258-289. Dans ce traité, Gérard décrit trois chutes : le désordre causé par le péché originel, nos propres adhérences au bien sensible, le péché mortel. C. n-v. Contre ces trois chutes, nous devons opérer trois ascensions ; Gérard les décrit da, ns l’ordre inverse des chutes : ascension contre le péché mortel, ascension contre l’impureté du cœur, ascension contre le désordre des puissances ; du reste, dit-il, cette dernière ascension n’est pat au-dessus des précédentes, elle va de front avec elles. C. m. vu. C’esl dans les c. rj et m qu’il décrit les suit es eh’la chute originelle. La rectitude originelle, puis ledésordre qui suit la chute : toute sa description est

très bien ordonnée. Mais ein n’y trenive rien que ne pût

dire le thomiste I’- plus orthodoxe. < Par cette chute,

y lit-on, nous avons été grièvement blessés ; nos

forces ont été « diminuées et désordonnées, mais non complètement détruites » ; souvent, mais non pas toujours, « la volonté agit contre la raison ». « Après la justification, la loi de la chair n’est plus une faute ; pour ceux qui sont en Jésus-Christ, dit saint Paul, il n’y a aucune condamnation. » C. iii, p. 259 G H ; 260 A. La manière dont Luther entendait saint Paul allait directement contre celle de Gérard. Ci-après, col. 1253 vi. Il avait lu rapidement ce petit traité ; il ne savait même pas bien de qui il était ; dans l’un des deux endroits où il en parle, il l’attribue à son véritable auteur, dans l’autre à Gérard Groote. Mais les deux chapitres sur les conséquences de la chute originelle lui avaient plu ; c’était suffisant pour qu’il s’en emparât en faveur de ses vues.

3. Gerson J1368-1429). — Luther avait beaucoup pratiqué Gerson, surtout ses traités sur la vie spirituelle. Il avait lu ses deux petits traités Sur les pollutions de nuit et Sur les pollutions de jour ; W., t. xliii, p. 651, 29 (1542 ?) : In Gen., xxx, 1 ; dans Gerson, 1606, t. ii, p. 468-495. Il avait sans doute lu aussi les traités De la consolation de la théologie, De la vie spirituelle de l’âme, et surtout Des remèdes contre l’abattement et les scrupules. Comme il le dit souvent, il le goûtait surtout à cause de ses conseils contre cet abattement, contre les tentations spirituelles. T.R., t. i, n. 977, p. 495 ; n. 979 ; t. ii, n. 1263, p. 15, etc.

Or, en philosophie, Gerson était loin sans doute d’être un parfait augustinien. Mais dans ses traités spirituels, il a émis des idées dont, pour construire sa théorie théologique, Luther a pu s’emparer. Dans le dialogue Sur la consolation de la théologie, l’un des deux interlocuteurs, Monicus ou le Solitaire, exprime son effroi à la pensée de la prédestination et des jugements de Dieu. L’autre, Volucer ou l’Ailé, dit que sans doute ces pensées peuvent pousser au désespoir et au blasphème, mais que, méditées avec humilité, elles sont au contraire une source de consolations ; il faut n’avoir aucune confiance en soi ni en ses mérites, puis s’abandonner à Dieu, et tout espérer de sa bonté. Opéra, 1606, t. iii, p. 6-69, surtout p. 14-22. Dans La vie spirituelle de l’âme, et dans Les remèdes contre l’abattement, on retrouve le smêmes idées ; Gerson y parle de la certitude de notre espérance en la miséricorde de Dieu. Ibid., p. 173, 171. Pour les tentations, elles ne sont de soi jamais péché, fût-ce des pensées de haine de Dieu, ele colère et de blasphème à son endroit. Opéra, t. iii, p. 403, 404, etc.

2° L’école augustinienne du zv* et du XF/e siècle, — Mais Hugues de Saint-Victor, Pierre Lombard, Grégoire de Rimini et autres. Luis ee’s hommes étaient lointalns ; leur influence sur Luther, purement livresque, dut. être amorcée, complétée par d’autres plus prochaines. Pour émouvoir, elles auraient sans doute été trop froides ; sur des points importants elesa théorie, incapacité absolue ele l’homme pour le bien, justiceextrinsèque, elle ne lui auraient même pas donné des précisions suffisantes, Sur ces influences prochaines, la lumière commence à se faire.

1. Agostino Favaroni et eh’1 1 13 ; i 1 1 15). Dans la première moitié élu xv sièe-le-, l’ordre eics augustins cul comme théologien eh’renom, puis comme général,

tino Favaroni. Dans ses œuvres, il fait quelque peu pressentir les Idées et surtemt la terminologie de Luther. Ici-bas, l’homme est Incapable d’atteindre

In justice parfaite, La loi n’est pas pour le’s lions, mais

penir les mauvais Notre justice ne consiste’pas dans eles habitus infus e’H nems ; mais e’est Dieu epii est

notre justice formelle. Enfin, Dieu prédestine a » nfcr

aussi bien epfau ciel. A.-V. Millier. AgOSlilXO l’arnnmi r In TfOlogta di Luten, élans BllUChnlS, Home’.

juin 1914.

2. Jean DrtMo (1 180-1635).— Ce théologien flamand,