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    1. LUTHER##


LUTHER. INFLUENCE DE L’AUGUSTI M S M E

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seurs contemporains. Toutefois, du xiie siècle, il connut deux théologiens de tendance auguslinienne très accentuée : Hugues de SaintVictor et Pierre Lombard : du xi e., du xiie et du xiii", trois autres écrivains religieux qui, sans être aussi pleinement de l’école augustinienne, y appartiennent par plus d’un côté : saint Anselme, saint Hernard et Guillaume de Paris.

1. Hugues de Saint-Victor définit le péché originel « une corruption ou un vice que par l’ignorance dans l’esprit et la concupiscence dans la chair nous apportons en naissant ». De Sacramentis (œuvre authentique), t. I, part, vii, c. xxvi’ii, xxxi, xxxii, P. L., t. clxxvi, col. 299-302. Ailleurs, il en arrive à dire simplement que « la concupiscence est le péché originel » ; indifféremment, il écrit donc péché originel ou concupiscence. P. L., ibid., col. 107. Sans doute, on conteste de plus en plus l’authenticité de la Somme des Sentences, d’où ce dernier texte est tiré ; ci-dessus, t. viii, col. 2031 ; mais à l’époque de Luther on ne doutait aucunement qu’elle fût l’œuvre de Hugues. Du reste, que cet ouvrage et autres attribués à Hugues soient de qui l’on voudra, il restera toujours qu’ils sont du xiie siècle, et qu’à cette époque il y avait un fort courant pour identifier péché originel et concupiscence. De cette identification vont découler des conséquences fort inquiétantes, mais fort logiques. Hugues laisse entendre que le péché originel demeure en nous après le baptême, mais qu’il ne nous est pas imputé. Ibid. Dans le traité Des sacrements, son œuvre capitale, il expose que de soi l’ardeur de la concupiscence est mauvaise. A cause du mariage, ce mal ne nous est pas imputé, du moins comme une faute grave ; mortelle en soi, la faute n’est alors que vénielle. Id., ibid., col. 494. Enfin, dans « on Commentaire sur l’Épitre aux Romains, Hugues esquisse ou plutôt décrit clairement la justification extrinsèque. La concupiscence demeure en nous ; nous ne pouvons donc pas aimer Dieu de tout notre cœur. Mais, par bonté, Dieu nous donne la foi ; dès lors, et par un nouvel acte de bonté, il nous traite comme si nous avions la justice parfaite. Le justifié demeure un âne ; mais à cause de sa foi Dieu le répute un cheval. T. clxxv, col. 459 C. Jésus-Christ supplée à ce que nous ne pouvons faire, et il répond pour nous, Ibid., col. 477, 478. Voir aussi, ci-dessus, t. viii, col. 211 !.

Or, au commencement du xie siècle, les principales œuvres d’Hugues de Saint-Victor étaient imprimées. Cf. Hain, Repertorium, t. ii, n. 9022-9028 ; Copinger, Supplément to Hain, t. i, n. 9022-9028 ; t. il a, n. 3193 ; t. ub, n. 9023 ; K. Biirger, Beilrage… zu Hain und Panzer, 1908, p. 351, 352, n. 9022-9028 ; Histoire littéraire de la France, t. xii, p. 51-53 ; Panzer, Annales typographici, t. V, p. 109 (au mot W. Brack) ; p. 256 (Hugo) ; t. x, p. 188 (W. Brack) ; p. 424 (Hugo) ; les catalogues du British Muséum, de la Bib. nat. de Paris, de la Bib. de la Sorbonne. Les Questions et solutions sur les Épîlres de saint Paul l’avaient été à Louvain en 1512, le traité Des sacrements de la foi chrétienne, à Strasbourg en 1485 et en 1495, à Venise en 1506 ; l’Exposé de la règle de saint Augustin, à Haguenau en 1506 et à Venise en 1508 ; enfin, çà et là, plusieurs autres œuvres. Luther avait lu ces ouvrages. Sans doute, il pouvait connaître certaines citations d’Hugues par Pierre Lombard. Toutefois, il y a des cas où cette explication ne paraît pas possible. Ainsi, dans ses notes sur les Sentences, de 1509 à 1511, il renvoie à un chapitre du traité des Sacrements, sans aucune citation précise. W., t. ix, p. 60, 20. Dans ses notes sur saint Augustin, de 1509-1510, il cite YExposé de la règle de saint Augustin, W., t. ix, p. 1212 ; voir P. L., t. clxxvi, col. 897 B. Quelques années après, dans son Con : m ?nlair^ sur l’Épitre aux Romains, il fait d ?ux courtes citations

du même Imité, J, I-icker, t. ii, p. 312, 2 : voir P. L, I. ci. xxvi, col. 893A. Dans ses notes sur saint Anselme, des environs de 1513, il cite le Didascation. W.. t. ix, p. 107, 36 ; voir P. L., t. clxxvi, col. 796 D. Aucune de ces citations ne se trouve dans Pierre Lombard. Luther ne semble pas avoir cité les Questions sur Ut É pitres de saint Paul ; mais, à voir l’empressement du jeune professeur à se procurer les œuvres qui s’éditaient, il est invraisemblable qu’il les ait ignorées.

2. Par plusieurs côtés, Pierre Lombard est simplement un disciple d’Hugues de Saint-Victor, lui tout cas, lui aussi, il admet les thèses de l’école augustinienne d’alors. Le péché originel est la concupiscence. Il demeure en nous après le baptême, mais il ne nous est plus imputé à péché. La concupiscence est coupable, ainsi que les mouvements involontaires qu’elle produit en nous. Ces premiers mouvements sont invincibles. Il nous est impossible d’accomplir la Loi, impossible d’avoir la justice parfaite ; la concupiscence se glisse dans toute œuvre bonne ; nous sommes donc à la fois justes et pécheurs. La Loi a été abolie par l’Évangile. C’est la foi qui nous justifie. P. L., t. cxci, col. 1369 ; — t. exa, col. 317, 318, 1369 ;

— t. exen, col. 722 ; — t. exen, col. 84. 726 ; — t. cxci, col. 1428 ; — t. exa, col. 86 ; — t. cxci, col. 1127, 1432 ; — t. exen. col. 115 ; — t. cxci. col. 652, 1260.1365, 1398, 1401 ; — l. exa, col. 1311. 1365, 1368 ; — t. cxcii, col. 115. Certaines de ces thèses sont formellement exprimées. D’autres sont loin d’être présentées dans le sens de Luther ; Pierre Lombard, par exemple, parle très explicitement de « la loi de l’Évangile », et des œuvres que l’Évangile commande. P. L., t. exa, col. 1364. Il reste toutefois que l’on a là une terminologie et même des idées qu’à partir du xiiie siècle on ne trouvera guère dans la théologie catholique.

Pierre Lombard nous a laissé trois œuvres principales : ses fameuses Sentences, un Commentaire sur les Psaumes, un autre sur les Épitres de saint Paul. Au commencement du xvie siècle, les Sentences avaient été maintes fois imprimées. Hain, t. n b, n. 10 18310 201 ; Panzer, t. v, p. 286, t. x, p. 467. Les deux autres œuvres l’avaient été aussi ; le Commentaire sur les Psaumes, à Nuremberg, aux environs de 1475, puis en 1478, Hain, t. n a, n. 10 202, 10 203 ; Panzer, t. v, p. 287 ; le Commentaire sur les Épitres de saint Paul, à Esslingen, avant la fin du xve siècle, puis en 1502. Hain, t. n a, n. 10 204 ; Panzer, t. v, p. 287.

Comme étudiant en théologie, il ne semble pas que Luther ait lu les Sentences. Mais en 1509 et 1510, à Erfurt, peut-être aussi en 1511, dans les premiers mois de son séjour définitif à Wittenberg, il les avait lues publiquement, autrement dit, il les avait commentées. Nous avons son exemplaire d’alors, avec des notes de sa main ; il avait été imprimé à Bàle en 1409. chez Nicolas Kestler. Ce contact direct avec Pierre Lombard dut être pour lui une révélation : jusque-là. dut-il penser, c’était donc un Pierre Lombard fictif qu’on lui avait présenté. Ce n’est qu’un peu plus tard, semble-t-il, qu’il connut les deux autres écrits de Pierre Lombard. En 1515-1516, dans son Commentaire sur l’Épitre aux Romains, il cite le Commentaire sur les Épitres de saint Paul. J. Ficker, t. ii, p. 97, 336. En 1519-1521, dans son second Commentaire sur les Psaumes, il semble connaître l’ouvrage de même titre de Pierre Lombard. Au ps. iv, dans l’explication du ꝟ. 5 : « Irritez-vous et ne péchez pas, » il parle de « l’infirmité invincible de la chair… » Sur ce passage, Pierre Lombard s’était déjà servi de la même expression. W., t. v, p. 110, 37 ; P. L., t. exa, col. 86 C. C’est sans doute de luique Luther l’avait prise. On n’a pas de preuves, il est vrai, qu’avant 1515, il connût ces deux derniers ouvrages, et ce sont