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LUTHER. LA WARTBOURG

est du 8 mai ; mais des tiraillements en firent encore retarder la publication ; puis, les vingt et un jours accordés à Luther pour son retour n’étaient pas encore écoulés. Enfin, le 26 mai, il fut rendu public. Le ton en était très ferme et la teneur très explicite : les écrits de Luther devaient être brûlés, et lui-même était condamné à mort.

Mais peu après, Charles-Quint partait pour l’Espagne ; ce n’est qu’en 1530 qu’il devait reparaître en Allemagne, pour la diète d’Augsbourg. Pour les revendications catholiques, le fameux édit de Worms pourra bien être un point de départ ; pratiquement, il ne produira aucun effet.

3o Arrivée à la Wartbourg (4 mai 1521). — Pendant ces dernières discussions, Luther retournait vers la Saxe. Malgré les termes exprès de son sauf-conduit, il prêchait à Hersfeld, à Eisenach et à Mœhra. Dès avant Hersfeld, à moitié route, pour faciliter le coup de main que ses amis avaient prémédité avec Frédéric, il avait renvoyé le héraut Sturm. Tous ces faits rendaient le sauf-conduit caduc. Après Eisenach, il ne garda qu’Amsdorf et le confrère augustin que la règle de l’ordre lui imposait comme compagnon. Alors, le 4 mai à la nuit tombante, au milieu de la forêt, cinq hommes armés attaquent la voiture. Amsdorf crie pour donner le change. L’augustin et le cocher prennent la fuite. Les hommes d’armes entraînent Luther dans la forêt, le forçant d’abord à courir auprès de leurs chevaux. Enfin, à 11 heures du soir, après d’habiles détours, ils arrivent au château de la Wartbourg, et ils y déposent leur prisonnier. Sous le nom de chevalier Georges, il devait y rester jusqu’au mois de mars suivant.

Cependant, à Worms et dans le reste de l’Allemagne, ses amis répandaient le bruit que les catholiques l’avaient mis à mort. Frédéric jurait que de toute cette affaire il ne savait pas le premier mot. Dès lors, comment même songer à lui demander contre son protégé l’exécution de l’édit de Worms ! À la porte de la nouvelle Pathmos, le mensonge et la détraction montaient une garde pieuse et savante !

III. De la diète de Worms a la diète d’Augsbourg (1521-1530). — Dans cette période, on verra d’abord la suite des faits ; puis, j’essaierai de fixer la physionomie du Réformateur.

I. Les faits.1o La Wartbourg (4 mai 1521-1er mars 1522) — La solitude de la Wartbourg protégea Luther contre les rigueurs de l’édit de Worms. Pour le corps, ce fut le repos, après l’activité vertigineuse de la dernière année. Mais dans son âme, ce furent des luttes angoissantes. Dans le calme de cette réclusion, il mesura avec effroi le chemin qu’il avait parcouru. Lorsque, la nuit, dans le silence de la forêt, il entendait les cris des oiseaux de proie, il les comparait aux voix qui grondaient dans les profondeurs de son âme. Et ces voix, c’était surtout de l’autorité de l’Église qu’elles venaient lui parler. Dans la lettre-préface à son traité De l’abrogation de la messe privée, écrite à la Wartbourg même, il dit aux augustins de Wittenberg :

« Que de fois mon cœur a frémi ; que de fois il m’a

objecté leur grande raison, toujours la même : « Tu es donc le seul à voir la vérité ! Depuis tant de siècles on l’a donc toujours ignorée ! El si c’était toi qui te trompais ? Alors, que d’âmes entraînées dans l’erreur et la damnation éternelle ! » W., t. viii, p. 412, 1 (1er nov. 1521 ;  ; de même Enders, t. iii, p. 163, 189, 230 (26 mai, 13 juillet, 9 sept. 1521). En 1532, il dira à table : « Que de spectres j’ai vus dans ma vie ! Mais, quand j’étais dans ma solitude, il y a déjà plus de dix ans. Dieu m’a envoyé ses anges pour me réconforter… Personne n’a assez de force pour résister même à un seul diable. J’ai connu par expérience ce vers d’un psaume : « Chaque nuit ma couche est baignée de mes larmes ; mon lit est arrosé de mes pleurs. » Dans mes tentations, je me suis souvent étonné d’avoir encore en moi une parcelle de mon cœur. » T. R., t. ii, n. 1347, p. 62, 11 ; 63, 38 (1532).

Ces spectres horribles, c’étaient des apparitions du diable. Luttes contre le diable, chapelets d’injures contre le pape et les papistes, voilà désormais chez Luther les signes infaillibles des orages intérieurs.

Son effroi à l’endroit du diable et des sorciers lui venait d’un double héritage : de la doctrine catholique et plus encore des préoccupations de l’époque.

La doctrine catholique nous dit qu’il y a des esprits mauvais. Ils agissent sur l’homme par des tentations, quelquefois par des possessions. À ces deux modes d’influence, faut-il en ajouter un troisième : la magie et la sorcellerie ? Ici, Saint-Thomas est très réservé, Quodlibeta xi, a. 10, ad 2um, etc. ; O. Manser, O. P., dans Divus Thomas, 1922, p. 17, 49. Hurter ne croit pas à un art permanent et infaillible de la magie. Theologia, 10e éd., 1900, t. ii, n. 436. Pour ce qui est de la pratique, moins l’esprit du christianisme a pénétré un pays, plus y est grande la préoccupation du diable et des sorciers.

Jusqu’au milieu du xive siècle, l’Église semble s’être peu préoccupée de la sorcellerie. Alors commence une décadence religieuse qui ne sera enrayée que dans la seconde moitié du xvie siècle. Pour la croyance aux sorciers, aux fées, aux apparitions, en un mot à tout un surnaturel de fantaisie, l’Allemagne a toujours été au premier rang. Au xve siècle, là plus encore qu’ailleurs, les pratiques de sorcellerie s’étaient fort malencontreusement développées. Contre ces pratiques, Innocent VIII lança la bulle Summis desiderantes (5 déc. 1484). Il l’avait écrite à l’instigation de deux dominicains, inquisiteurs en Allemagne, Henri Institoris et Jacques Sprenger. C’est alors qu’ils firent paraître leur livre devenu si fameux, le Malleus Maleficarum ou Maillet des Sorcières (Cologne, 1486).

Cet héritage pesa lourdement sur Luther. Lui dont l’œuvre n’a guère été qu’une longue réaction, il a gardé trois des tendances les plus malheureuses de l’époque : tendance au dissolvant nominaliste, tendance aux grossièretés et aux obscénités, tendance à voir le diable partout. La tendance nominaliste répondait à son orgueil intellectuel et à son impatience d’une règle ; l’abus des grossièretés, à son amour du laisser-aller ; la hantise du diable, aux impulsions profondes, impulsions surtout physiques, qui le dominaient et l’entraînaient, impulsions qui l’avaient amené à la négation de la liberté et au rejet de l’Église.

À la Wartbourg se déroule sous ses yeux l’immense forêt, épais massifs de pins, de hêtres et de chênes, s’étendant là-bas, plus loin, plus loin encore, avec des profondeurs songeuses. Dans ces arbres, le jour, c’est le chant joyeux des oiseaux, la nuit, l’appel douloureux du hibou, puis de grands silences, courant sur la cime des arbres. Et jour et nuit, au-dessus de sa tête, c’est le vol des grands corsaires de l’air. Luther vient de s’exonérer « de la Captivité de Babylone : il vient de conquérir « la liberté chrétienne », et dans le haut château il est à l’abri du pape et de l’empereur. Tout son être est en ébullition. Quels sentiments vont déborder de son cœur ? Va-t-il commenter la parole du Psalmiste : « Les cieux racontent la gloire de Dieu » ? Comme François d’Assise, est-ce un hymne au soleil qu’il va faire entendre, un hymne au Dieu libérateur ? Pensera-t-il à la parole profonde qu’aimaient tant à commenter ses mystiques préférés : « Mon silence, ô mon Dieu, sera ta louange » ? Non ; dans le mystère de la forêt et n’est pas Dieu qu’il trouve ; ce rapprochement, que je sache, ne se rencontre pu une seule fois sous sa plume. Ce qu’il y trouve, c’est un autre