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LUTHER. LA CONDAMNATION A WORMS

K. K., t. i, p. 375. En vérité, les deux solutions ne sont-elles pas à peu près identiques ? Si c’est Jésus-Christ que la bulle a troublé, c’est du moins parce qu’elle attaquait Luther, l’envoyé de Jésus-Christ, le porte-parole de « la vérité de Dieu ».

La diète de Worms (27 janvier-26 mai 1521). — Luther était condamné à Rome. En d’autres temps, cette condamnation eût peut-être été aussitôt enregistrée par l’Empire. Aujourd’hui, on ne pouvait songer à cette docilité. Haletante, enthousiaste, l’Allemagne marchait à la suite de Luther. Les tendances, les mécontentements de naguère s’y étaient changés en un courant formidable contre les croyances et plus encore contre l’autorité et le gouvernement de l’Église romaine. On ne se lassait pas de répéter que la Curie donnait tout à prix d’argent, qu’elle se vendait au plus offrant, qu’elle violait les concordats, asservissait l’Allemagne, la pressurait et la méprisait tout à la fois. Sur ce point, ennemis comme amis des nouveautés, un Georges de Saxe aussi bien que son parent l’électeur Frédéric avaient une égale violence de langage : « Les neuf dixièmes de l’Allemagne crient : « Vive Luther ! » écrivait le nonce Aléandre, et tout en ne suivant pas Luther, le reste fait chorus, pour crier : « Mort à Rome ! » Th. Brieger, Aleander und Luther 1521, 1884, p. 48 ; J. Paquier, Jérôme Aléandre, 1900, p. 184. Partout, c’était une recrudescence de la haine séculaire de l’Allemagne contre le sacerdoce. Sans doute, plusieurs savaient s’élever à des idées plus hautes ; ils comprenaient que l’unité de l’Église est la condition même de son existence, et ils restaient catholiques quoique antiromains. Mais chez le plus grand nombre, la passion entraînait aux extrêmes ; pour eux Luther était le héros populaire, le champion de l’Allemagne contre la tyrannie italienne.

Le 23 octobre 1520, Charles avait été couronné à Aix-la-Chapelle ; le 27 janvier suivant, après d’assez longs retards, une diète s’ouvrait à Worms. C’est l’une des plus célèbres de l’Allemagne ; la première d’un grand règne, elle devait en outre entendre Luther et le condamner. La diète de Worms a été le point de départ officiel du protestantisme.

Les délibérations furent très longues et difficiles. Le 13 février 1521, le nonce Aléandre parla devant la diète. Le jugement sur Luther était rendu, dit-il ; le pape l’avait déclaré hérétique obstiné. Dès lors, c’était le devoir de l’Empire d’agir contre lui. Sous le couvert de l’Évangile, les hérétiques de Bohême avaient porté partout le désordre et l’oppression ; si l’on n’y mettait ordre, Luther aurait bientôt fait de tout bouleverser en Allemagne.

Finalement, il fut décidé que « l’on ne condamnerait pas un Allemand sans l’entendre « .Toutefois, ce n’était pas un nouveau procès que l’on allait instruire ; si l’on mandait Luther à Worms, c’était simplement pour savoir de lui s’il était bien l’auteur des ouvrages qui circulaient sous son nom, et pour obtenir de lui une rétractation. Le 6 mars, Charles-Quint signa un sauf-conduit : Luther pourrait venir à Worms et s’en retourner à Wittenberg ; il ne serait pas inquiété.

Le 2 avril, Luther quitte Wittenberg. Son voyage fut un long triomphe. Le 16 avril au soir, il arrivait à Worms ; il y était reçu par de nombreux amis et admirateurs. Le lendemain, il était introduit devant la diète. Jean d’Ecken, l’official de l’archevêque de Trêves, lui posait deux questions : « Reconnaissait-il pour siens les ouvrages publiés sous son nom ? — Consentait-il à les rétracter, ou voulait-il persévérer dans les doctrines, qu’ils contenaient ? » Par émotion ou par habileté, Luther répondit d’une voix basse et à peine intelligible ; il reconnaissait la paternité de ses œuvres, mais pour les doctrines mises en cause, il demandait un délai d’un jour pour préparer sa réponse.

Le lendemain, 18 avril, encouragé par des amis, il retrouva toute son assurance. Aux questions de l’official, il répondit par un discours habile où il se posait en champion de l’Allemagne opprimée par Rome : « Il avait écrit que, par leurs doctrines et leurs exemples, la papauté et les papistes avaient amené sur le monde chrétien un débordement de maux corporels et spirituels. S’il rétractait ces accusations, il ne ferait que donner une nouvelle force à la tyrannie : on aurait grand soin de crier partout que c’était sur l’ordre de l’empereur et de tout l’Empire romain qu’il avait fait cette rétractation. Dans ses œuvres, il pouvait y avoir des passages répréhensibles : il était homme et sujet à l’erreur. Il serait donc heureux qu’on voulût bien le convaincre par les Écritures de l’un et de l’autre Testament. »

La veille, Jean d’Ecken l’avait supplié d’avoir en vue l’unité de l’Église, la paix et la tranquillité de la chrétienté. Après le discours de Luther, il développa plus longuement encore ces considérations. Mais à ces exhortations, Luther donnait cette réponse finale, fondement de l’individualisme protestant : « Pour me convaincre, papes ni conciles ne sauraient suffire. Je ne veux l’être que par le témoignage de l’Écriture ou d’évidentes démonstrations. Jusque-là, je ne puis ni ne veux rien rétracter ; car il n’est ni sûr ni loyal d’agir contre sa conscience. Que Dieu me soit en aide. Amen. »

Aux questions posées, Luther avait fort clairement répondu ; il n’avait donc qu’à repartir. Toutefois, troublés par la crainte d’une révolution, ou même d’une incursion armée dans la ville de Worms, les États obtinrent de Charles que Luther pût rester encore quelques jours, et que l’on essayât de le convaincre. Le 24 et le 25 avril, on tentait ce suprême moyen de conciliation. Mais Luther ne voulut rien écouter. Le 26, il partait de Worms entre 9 et 10 heures du matin. Fidèle à sa parole, l’empereur lui donnait vingt et un jours pour son retour ; dans les endroits où il passerait, il devait s’abstenir de prêcher.

L’attitude de Luther à Worms a-t-elle été celle d’un héros, d’un chevalier sans peur, méprisant un danger fort réel et fort clairement perçu ? Des admirateurs l’ont prétendu ; il ne semble pas que l’histoire impartiale puisse donner cette réponse. A Worms, la situation de Luther n’était pas critique, et il était loin de l’ignorer : « Qu’est-ce que Luther pourrait redouter ? disait Bernard Adelmann ; au ciel et sur la terre, il a chez qui se réfugier. » F. X. Thurnhofer, Bernhard Adelmann von Adelmannsfelden, 1900, p. 58. En 1524, Thomas Münzer lui dira : « Si à Worms tu as pu tenir tête à l’Empire, c’est à la noblesse allemande que tu le dois. Tu lui avais graissé le museau et mis du miel sous le nez. Elle se disait qu’avec tes prédications tu allais recommencer les histoires de Bohême, lui donner couvents et biens d’églises. Si à Worms, tu avais fléchi, elle t’aurait écharpé, c’est ce que chacun sait. » Janssen-Pastor, t. ii, 1915, p. 211. Douze ans après, Luther disait lui-même à table : « Ils avaient plus à craindre de moi que moi d’eux. » T. R., t. iii, n. 3357 b., p 285, 28.

Luther parti, sa condamnation était inévitable. Mais auparavant les États tinrent à renouveler et à préciser la liste des griefs de l’Allemagne contre Rome. De là les fameux Centum Gravamina, qui, l’année suivante, à la diète de Nuremberg, devaient être présentés officiellement au nonce Chieregato. Ici, les meilleurs catholiques, un Georges de Saxe, par exemple, rivalisaient de zèle avec les partisans de Luther.

En même temps, les États reconnaissaient de nouveau à l’empereur tout pouvoir pour procéder contre l’hérésiarque. On mit donc la dernière main à l’édit qui le condamnait. Dans sa forme définitive, cet édit