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LULLE. LE SOUVENIR DE RAYMOND LULLE

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Venimus ad peroptatum finem, supplicantes puro corde studentibus in hoc opère, ut si forte de eis minus bene dicere videamur, non attendant circa ineptitudinem verborum non potentium fortassis ad plénum ipsa quae intendimus denotare ; nec eis displiceat varietas loquendi, sed addiscant hune ipsum modum loquendi arabicum, ut infidelium oppositionibus obsistere noscant : declinare namqne terminos figurarum. dicendo sub conditionibus bonitatis bonificativum, bonificabile, bonificatum, et sic de magnitudine, et sub conditionibus ignis, ignitivum, ignibile et sic de quibuscumque aliis propriis terminis hujus Artis, non est multum apud Latinos sermo consuetus… Sed attendant diligenter … ad quem finem tendat. Numquid ad cognitionem et dilectionem illius summi entis et, via rationis, ad ipsam propagationem fidei catholicae ? etc.

Cet emprunt a précisément donné au style de Lulle dans ses écrits logiques et apologétiques cette allure tourmentée que ses adversaires lui ont fortement reprochée et lui a valu plus d’une dérision jusqu’à Hauréau. Mais que ces imitations de forme et le commerce de la littérature arabe aient influencé sérieusement la pensée de Lulle en philosophie, en théologie et en mystique, les raisons invoquées jusqu’ici ne l’établissent point ; M. Probst, op. cit., p. 240-258, l’a solidement prouvé. Peut-être est-il même possible de compléter sa démonstration. Ainsi rien d’étonnant que, sans recourir à Mohy ed Din, I.ulle assimile Dieu et la lumière, Probst, op. cit., p. 244 ; c’est une des thèses caractéristiques de l’augustinisme depuis Robert Grossetète. Cf. Alex de Halès, Somma theol., 1. 1, p. xxxiii. De plus, en attribuant aux noms de Dieu une vertu supérieure, Los cent noms de Dru. prol., éd. R. d’Alos, Poésies, p. 36, il n’est pas sûr. comme le dit Probst, op. cit., p. 251, que « Lulle conserve la tradition des Cent noms efficaces de Dieu qui est encore vivace en Afrique de nos jours ». Roger Bacon, en effet, enseigne substantiellement la même doctrine et pour tout autre motif que celui d’imiter les Arabes, Opus nuijus, éd. Bridges, Londres, 1900, t. m. ]>. 123. 124 : Nom videmus quod verba sacramentorum habent infinitam virtutem, etc. Par suite, la synthèse doctrinale de Lulle est de style mozarabe dans quelques-unes de ses parties — il n’aurait pu atteindre les Arabes autrement — mais la pensée est essentiellement augustinienne. Immédiatement, <>u par l’intermédiaire de l’école franciscaine, le bienheureux a reçu ses grandes idées, philosophiques et théologiques, non moins que sa méthode, de saint Augustin, de saint Anselme et de l’école de Saint-Victor. Cf. Probst, L’Art, p. 28.

S’il fallait serrer de plus près le problème des origines el indiquer une source contemporaine, sinon exclusisive. du moins très importante, nous n’hésiterions pas à signaler l’Opus majus de Roger Bacon (1266). Le fait

a été déjà observe par Probst. op. cit., p. 280-282, et

P.. Carton. La synthèse doctrinale de Roger Bacon, Paris, 1924, p. 68-73. P. Bacon et R. Lulle poursuivent, en effet, la réalisation d’un même idéal : l’extension de la chrétienté jusqu’aux confins de l’univers ; (’Impérialisme religieux du maître anglais, Carton, ibid. p. 81-107. est le leit-motiv du converti de Majorque. l.ib. (’.ont.. t. V, c. « cci. ui. i.. p, 554. Cf. -I. Borras, Espiriludel H. Ramon Lull, dans L’… t.. 1909, p. 278281. Pour l’un comme pour l’autre, le moyen est tout indiqué : aller aux infidèles, (.’est par la philosophie ci la controverse que s’édifiera la cité chrétienne de l’avenir. La guerre lue. mais ne convertit pas. pente P.. I façon. Opus nui jus. éd. Bridges, t. iii, p. 121. Aussi,

lorsqu’une nation refuse la foi. il ne faut pas seule ment songer aux armes, mais réunir les sages pour

prêcher d’abord. Ibid., p. 122. Lulle a exactement les

mêmes vues, « t sent gagner les infidèles non par la guerre corporelle mais par la lut le Intellectuelle et In hnc*’I' rai ons ». Cf..1. Boiras. EsplrltU, etc. dans

B. A. L., 1909, p. 244. En vertu de cet idéal commun, l’un et l’autre proposent la même méthode pratique. R. Bacon ne cesse de plaider à cette fin en faveur de l’enseignement des langues orientales, Opus majus, 1. 1, p. 95, t. iii, p. 120-122 ; de même, R. Lulle passe sa vie à demander quod dominus papa et suum collegium reverendum forèrent tria monasleria, scilicet unum Romæ, aliud Parisius et tertium Tolelo, in quibus studerent homines sapientes, devoti, in variis linguis et postea irent pra’dieaturi Evangelium. Lib. de acquisitione Terræ Sanctse, cod. cit., 456 r°. Ce qui est plus notable encore, c’est que R. Bacon, tout comme Lulle, tient que la raison illuminée par le Saint-Esprit peut établir les mystères dans une certaine mesure et les pénétrer sans prétendre à une connaissance exhaustive. R. Carton, ibid., p. 69. Lulle croit encore avec Bacon à l’efficacité des mots sacrés ; il enseigne un illuminisme de telle nature que le Verbe apparaît parfois comme l’intellect agent de l’âme. In libr. Sent., t. II, q. cxxxviii, t. iv, p. 116 ; Probst ; op. cit., p. 298. Il parle aussi des « lumières certificatrices », si chères à Roger Bacon. Lib. Cont., t. I, c. v, n. 2, t. ix. p. Il : 1. IL c. lvi, n. 21, p. 123 ; t. II, c. lxv, n. 24. p. 144 ; Doctrina puéril, c. XL, Obres, t. i, p. 101. L’un et l’autre enfin poursuivent l’unité de savoir et, avant R. Lulle, « Roger Bacon pose les fondements et définit la méthode d’un système unique du savoir humain ». E. Gilson, La philosophie de saint Bonaventure, p. 116. Ces diverses coïncidences — et, à notre avis, une étude exhaustive donnerait des résultats surprenants

— ne s’expliquent pas si R. Lulle n’a pas connu VOpus majus de R. Bacon.

IV. Le souvenir de Raymond Lulle.

Le nom et la doctrine de R. Lulle ne sont pas tombés après lui dans l’oubli.

Culte.

La piété catholique d’abord s’est inclinée

devant sa mémoire. Quels que Tussent en effet les débats passionnés qui s’élevèrent autour de sa doctrine, R. Lulle n’a jamais cessé d’être l’objet d’un culte très étendu, ainsi que l’ont solidement établi Custurer. S. J., Discrlaciones hisiorieas del B. R. Lulio, Mallorca, 1700, et après lui Solfier, Acta SS., p. 633-638. II souffrit néanmoins passagèrement au xviii c siècle, lors du décret (15 janvier 1775) de Diaz de la Guerra, évêque de Majorque. J. Avinyo, Catalcch de documents Laitons, dans Boletin de la Real Aeademia de buenas Ictras de Barcelona, 1912, t. vi, p. 395-420. Au début du iie siècle, Mgr F. Virgilio fit des démarches pour obtenir la reconnaissance du culte et la canonisation de R. Lulle : à cet effet, de volumineux procès (1605, 1007, 1612) furent envoyés à Rome, A*fd SS., p. 679-691, rclalant surtout les nombreux miracles attribués à ses suffrage ; lis rois d’Espagne, Philippe lll et Philippe IN’appuyèrent fortement l’initiative, mais ce fut sans résultai apparent..1. Pou y Marti. O. F. M.. Sobre la doctrina i/ciillo (Ici H. R. I.ulio, dans Archwo Ibero-Americano, Madrid, 1921. t. xvi, p. 1-23. De même les nouvelles tentatives >i< Galindo, évêque de Lérida (1747), n’aboutirent pas, vu surtout l’indifférence de Charles lll d’Espagne, qui le 13 avril 1762 mandait à Clément XIII que la décision de l’affaire ne l’intéressait aucunement. Ces démarches,

longtemps interrompues, ont éié reprises < notre époque sou> la direction de Mgr Camptns de l’aima ci du cardinal Vives v Tuto. Mien qu’un jugement définitif n’ait pas été encore rendu, le culte public de R. Lulle est néanmoins autorisé dans le diocèse de

Majorque et l’ordre franciscain. Dès le pontifical de . 1rs 1 i ères mineurs de l’aima en faisaient l’office, Solfier, icta SS. p B36. Un bref de CMtnent Mil (19 revriei 17’i.mt mi office propre pour le

diocèse, confirma l’étal des choses, nanties brefs de Clément Mil (18 Juin 1768) et de Pie VI (10 juil-