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LULLE. APOLOGETIQUE


Hisl. de. la philosophie médiévale, Louvain, 1925, t. ii, p. 144° « B. Lulle dénature le système scolastiquc des rapports de la théologie et de la philosophie ; de plus, il confond celle-ci avec l’apologétique. « Bien plus, celui-là même qui a le plus puissamment contribué à la renaissance Indienne, Menéndez y Pelayo, Historm. t. i, ]). 520, tout en protestant contre ces accusations séculaires, ne peut s’empêcher de critiquer la méthode de R. Lulle. « Sa tentative, dit-il, était risquée, à deux pas de l’erreur, et d’une erreur très grave ; en des mains moins pieuses que celles de Lulle, elle aurait fini par rationaliser la théologie, c’est-à-dire la détruire… Je le répète, ajoule-t-il, l’erreur de Lulle est dans sa méthode, il ne veut pas donner une explication rationnelle des dogmes ; ce qu’il a fait, ce fut de convertir en preuve positive la preuve négative que l’on en peut donner. » M. André, op. cit., p. 176, A. Rubiô, Lliçons, p. 14 ; G. Goyau, Figurines franciscaines, Paris, 1921, p. 41-47, sont du même avis à quelques nuances près.

Malgré l’autorité de cette quasi-tradition, l’on peut établir qu’une exposition objective de la pensée de R. Lulle, tenant compte du principe fondamental de son apologétique, de sa méthode augustinienne, de ses déclarations aussi nombreuses qu’explicites, du sens que déjà ses disciples autorisés et les annotateurs du ms. de Karlsruhe lui donnaient dès la première moitié du xive siècle, non moins que du caractère populaire de l’apologétique lullienne, ruine sans appel ces accusations. Seules d’inutiles rivalités peuvent prolonger le débat, sans profit aucun, car l’Église est non moins honorée par la doctrine que par le martyre de ses apôtres. L’apologétique de R. Lulle est saine : elle n’est que la traduction toute simple et imagée de l’effort dialectique et rationnel de saint Anselme, des victorins, et de tous les augustiniens du xme siècle, surtout saint Bonaventure et Roger Bacon. M. Baumgartner, Grundriss der Geschichle der Philosophie, Berlin, 1915, p. 535, et M. Probst, op. cit., p. 272-274 l’ont déjà reconnu. Après Pasqual, Vindiciæ, 1. 1, p. 7391, t. ii, p. 673-728, etc., et Mgr Maure y Gelabert, El optimismo del B. R. Lulio, Barcelone, 1904, p. 41-52, il est aisé d’en faire la preuve.

R. Lulle, en etîet, indique nettement le sillage doctrinal où il se meut. Il désigne d’abord saint Anselme et Richard de SaintVictor, Lib. mirand. demonstr., t. I, c. xiv, t. il, p. 4 : Item, Anselmus et Richardus a S. Victore et multi alii Sancli significanl in suis sermonibus quod intellectus habeal possibilitatem intelligendi articulos (fidei). Cf. Lib. de disp. fidci et intellectus, prol. n. 1, 1. 16, t. iv, p. 1. Dans sonLib.de conuenientia fldei et intellectus in objecta, part. I, n. 1-4, t. iv, p. 1-2, Lulle est non moins explicite et cette fois en appelle à saint Augustin et à saint Thomas d’Aquin. Voici ses paroles :

Aliqui dicunt quod non sit boniim quod fides possit probari. .. Unde ad hoc respondemus sic : Iterum B. Augustinus fecit librum ad probandam divinam Trinitatem, supposito merito fidei, contra quani fidem ipse non fuit, quia erat sanctus. Iterum Thomas de Aquino fecit unum librum contra gentiles qui requirunt rationes quia nolunt dimittere credereprocredere, sedcredere pro intelligere ; ipse autem in faciendo librum et rationes contra gentiles non intendebat destruere fidem, quia fuit vir sapiens et catholicus. Iterum doctores Sacra> Scripturae conantur, quantum possunt, deducere rationes ad probandum divinam Trinitatem et Incarnationem, etc., habentes sanam mentem et intentionem ad exaltandamsanctam fidem. Et ideo ego qui sum verus catholicus, non intendo probare articulos contra fidem sed inediante fide, cura sine ipsa non possem probare : nam articuli sunt per superius et meus intellectus est per inferius et fides est habitus cura quo intellectus ascendit supra vires suas. Non autem dico quod probem articulos fidei per causas, quia Deus non habet causas supra se, sed per talem modum quod intellectus non potest rationabiliter negare illas rationes et possunt solvi oranes objectiones contra ipsam factse et infidèles non possunt destruere taies ratio nes vel positiones ; talis est ista probatio, sive dicatur demonstratio, llve persuasio, vel quocumque alio modo possit dici, hoc non euro, quia propter nostrum allirmare vel negare nihil mutatur in re.

Cette longue déclaration où R. Lulle, à la suite de saint Augustin et de saint Thomas d’Aquin précise si clairement le sens et les limites de son apologétique, jette sur toute sa pensée une lumière décisive et renverse la plupart des accusations portées contre lui et cela « sans réplique », comme le fait observer Mgr Maura, El optimismo, p. 46. A la lumière de ces textes, l’école lulliste ne s’est pas méprise sur la direction doctrinale de son chef en matière apologétique. Précisément, au milieu du xiv siècle, un lulliste anonyme traitant la question suivante : L’trum fidei catholicw verilates sunt per viam rationis, inquirendæ, Innichen, VIII, B. 13, ꝟ. 13-15, s’appuie sur saint Augustin, saint Bernard, saint Anselme, Richard de Saint-Victor et saint Bonaventure. J. Rubiô, Los codices, p. 322.

L’analyse de la doctrine de R. Lulle établit aussi la rectitude de sa pensée. Ilinsiste.en effet, sur la faiblesse et les limites de la raison, Lib. Cont., t. III, c. ci.xvin, t. ix, p. 389-392, et suppose toujours la foi surnaturelle au seuil de son enquête, Disputalio fidei et intellectus. p. I, n. 2, t. iv, p. 2, 3 : Etiam Isaias dicit : nisi credideritis non intelligetis, et sic palet quod lii, Fides, sis dispositio et præparatio. Chez lui, la transcendance du donné révélé est absolue : Fides est adeo res cxcellens et nobilis quod transcendât terminos in quibus est ratio lerminata et conclusa, quia de talibus rébus tractât fides quod ratio et intellectus hominis non possent ipsas intelligere. Lib. Cont., c. cliv, Keicher, op. cit., p. 65. Affirmer le contraire, c’est pécher gravement, Lib. de perseitate, cod. Ottob. lai. 405, ꝟ. 191 r° : Adhuc dico quod si volo tolam divinam Trinitatem intelligere et comprehendere pecco mortaliler, quia finitum non potest comprehendere in finitum. Néanmoins, le fidèle peut dans certaines limites saisir le contenu révélé et en rendre raison ; il le doit même en présence des infidèles que le seul exposé de la foi chrétienne rebute infailliblement, comme R. Lulle aime à le redire souvent d’après sa longue expérience. Lib. de conuenientia fidei et intellectus. p. III. n. 1 2, t. iv, p. 4 : Lib. de recuperatione TerrœSanclæ, Paris, Bibl. nat., lat. 15 450, i°547 r. Keicher, op. <-f7., p. 63. Cette connaissance est toutefois relative, partielle et relève de la grâce du Saint Esprit, Lib. de disput. fidei et intellectus, p. 1, n. 3, t.iv, p. 3 : Secundum modum intelligendi, ratione infusionis g’raliæ divins Trinitatis et suie maximæ intelligibilitatis possum particulariter, secundum me aliquid attingere de suo lumine veritatis, quia non est aliquis qui possit eam contra hoc ligare… sicut digitus positus in uno parte igniti ferri sentit in parte caliditatem ejus sed non tolam calidilatem, etc. A l’objection qui refuse à l’intelligence même cette connaissance imparfaite. R. Lulle répond quelques lignes plus loin : Tua ratio valet secundum altitudinem divinee Trinitatis et meum modum (intelligendi) cum est infirmas et humanus, sed non valet secundum instrumentum divinum, scilicet lumen gratiw. et hoc jam superius dictum est, et nescis quod sit scriplum quod Spirilus Sanctus ubi vull spiral.

C’est la même doctrine que R. Lulle nous livre sous d’autres termes lorsqu’il applique en apologétique sa métaphysique des « passages transcendants ». Selon sa méthode, en effet, l’intelligence se dépasse lorsqu’elle critique les données de l’imagination et de l’expérience sensible et ne juge pas selon les apparences. Declaratio Raymundi, édit. Keicher, p. 99. Elle s’élève encore au-dessus d’elle-même quand sous l’action de la foi et de la grâce elle admet l’existence de vérités qu’elle ne comprend pas. Declaratio Raymundi, p. 100 : Est et alius modus punctorum transcendentium, l’idelicet cum intellectus. mediante gratta Dei, supra se ipsum transcendit et