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LULLE. VIE


ce document, Lulle se serait rendu à Marseille pour rencontrer Arnaud de Villeneuve et se concerter avec lui avant de se présenter à Clément V. Mais comme le texte de la lettre porte, per dominum jratrem Ramondum Lugin et que, — outre le fait que Lulle ne fut jamais religieux — les noms diffèrent, cette identification me paraît tout à fait improbable. En octobre 1308, Lulle est de nouveau à Montpellier, ainsi qu’on peut le déduire du Liber de novis fallaciis. Au début de 1309, il écrit à Jaime II d’Aragon et lui envoie le Nou libre de Proverbis en lui recommandant de le faire lire aux infants. Il lui expose en même temps sa pénurie extrême. A. Rubiô, Documents, t. i, p. 41. La lettre autographe — M. Ramon d’Alôs en doute cependant — est encore conservée. M. Obrador, Un altra lletra auiograja de R. Lull dans B. A. L., 1905, p. 98, 99. En réponse, le 22 mai 1309, le roi priait Pierre, évêque de Tortosa, de lui donner les revenus d’un canonicat. Finke, op. cit., t. i, p. 880. De Montpellier Lulle se rendit à Avignon afin de promouvoir l’affaire de la croisade. L’entrevue avec Clément V n’eut pas lieu avant le 21 mars 1309, date où le pape errant dans le midi de la France se trouvait dans cette ville. Il est sûr que le procureur des infidèles offrit à Clément V le Liber de acquisitione Terrée Sanetee qu’il venait d’achever (mars 1309), et où pour la première fois il proposait la conquête de Constantinople et l’extinction du schisme grec « par la force de l’épée du vénérable seigneur Charles », sans doute Charles de Valois. Paris, Bibl. nat., lat. 15 450, ꝟ. 545 r. Tout fut inutile et R. Lulle partit pour Paris. Vida, p. 356.

Malgré son âge avancé et ses échecs, son activité restait inépuisable. Il reprit sa campagne contre l’averroïsme et, de novembre 1309 à septembre 1311, multiplia les écrits de combat, Keicher, op. cit., p. 29-34, 52-61. Auprès de Philippe le Bel, il continua ses plaidoyers en faveur de la Terre sainte : cette insistance lui inspira le plus bel écrit tombé de sa plume en cette matière, le Liber de natali parvuli pueri Jesu que, peu après Noël 1310, il présenta au roi de France. Gottron, op. cit.. p. 41-43. En même temps il dirigeait l’école qui s’était groupée autour de lui. A cette date, en effet, son disciple, Thomas Le Myésier, résume la doctrine de 155 ouvrages lullisles dans ses trois opuscules : le Breviculum conservé dans le ms. Saint l’ierre. parg. 82 de Karlsruhe, le Primum electorium qui se trouve a Paris, Bibl. nat.. Int. 15 450 et l’Electorium médium, non encore retrouvé..1. Rubiô, El Brcviculum ; R. d’Alôs, Addicio n la notd sobre et lircviculum de Karlsruhe, dans Bullet. dr In biblioteca de Calalunya, Barcelone, 1916, t. m. p. 89. C’est finalement au terme de ce sijour que Lulle obtint, d’après la tradition, trois documents au sujet desquels on s’est longuement disputé : une déclaration de l’officialité de Paris du 10 février 1310, attestant que quarante maîtres et bacheliers, après avoir entendu les leçons de Lulle sur l’Art brej. déposent sous serment que cette méthode logique ne contient rien d’opposé a la loi. I lenifle-Chatelain. Cluirt. Unir. Paris., t. n. p. 110, une lettre de recommandation de Philippe le Bel, donnée à Yernoii le 2 août 1310, Denifle-Chatelain, ibid., p. lit. une lettre du chancelier de l’Université, François Careccioli, du 9 septembre 1311, qui. sur la prière du un. atteste que certains écrits de Lulle sont orthodoxes. Denifle-Chatelain, ibid., p. 1 IX. L’authenticité’le ces documents a été généralement acceptée. Sollier, Ailn Sanct., p 655 ; récemment toutefois. !.. Delisle et (. Taris tint émis des doutes a leur sujet : de même Déni fie. A mon avis. S. Bové a donneen faveur

de l’authenticité plusieurs raisons excellentes, R. Lull y la llengua latina, p. 72-82, surtout si on les complète par les remarques du P. Keicher, op. cit.. p. 29-31. La Vida, p. 356, en effet, fait allusion au premier document : « Non seulement des étudiants, raconte-t-elle, vinrent entendre le maître, mais encore une grande multitude de docteurs qui affirmèrent que la dite science et doctrine était corroborée par des raisons philosophiques et aussi par des règles et des principes empruntés à la théologie. » De plus, Pierre IV le Cérémonieux, roi d’Aragon, mentionne explicitement, ut per légitima documenta novimus, le premier et le troisième document dans deux actes du 10 oct. 1369, par lesquels il donne à Béranger de Fluvia la permission de lire l’Art dans son royaume. A. Rubiô, Documents, t. i, p. 232234. La portée doctrinale plutôt restreinte de ces trois pièces témoigne aussi dans le même sens. Philippe le Bel se borne à recommander la personne de R. Lulle ; l’approbation des maîtres a pour objet unique l’Art bref, l’un des plus minces opuscules de l’œuvre lullienne ; la déclaration du chancelier ne s’étend guère au delà, inspectis quibusdam operibus ; Caroccioli loue avant tout le zèle et les bonnes intentions de celui que le roi lui présente, scribenlis zelum jervidum et intentionis rectitudinem pro fidei christianie promolione notantes. Avec S. Bové, il est légitime de croire que si ces pièces étaient de date postérieure, peu éloignée des premiers éclats de la campagne d’Eymeric, voir col. 1135, les disciples de R. Lulle auraient mis à couvert des écrits plus importants de leur maître, ceux entre autres que l’inquisiteur dominicain dénonçait, et auraient mis en circulation des déclarations officielles plus saillantes. Pour ces raisons ces premiers témoignages en faveur du * procureur des infidèles » gardent toute leur valeur historique.

Le séjour de Lulle à Paris n’avait donc pas été infructueux, quoique ses nombreux écrits antiaverroïstes, dédiés à Philippe le Bel et à l’Université de Paris, n’eussent pu obtenir la proscription officielle des erreurs arabisantes. L’annonce du concile de Vienne (oct. 1311-mai 1312) raviva encore plus ses espérances. Une dernière fois, il quitta Paris, Chemin faisant, « lui qui avait déjà composé plus de 123 ouvrages en l’honneur de la Sainte Trinité », Vida, p. 357, écrivit son poème I.o Consili et ensuite sa Disputatio clerici et Raumundi phantastici. Dans ce dernier écrit, il résumait sa vie en termes énergiques.

Homo fui in matrimonio copulatus, prolem hablli, eompetenter dives, lascivus et muiidanus. Omnia, ut Del lionorcni et bonum publicum possem procurare et sanctara Rdem exaltare.libenter diniisi. Arahicuni didici, pluries ad DTSBdicandura Sarracenis exivi ; propter tidem captus fui, incarceratus, verberatus ; quadraginta quinque annis, ut Ecclesiæ rectorcs ad bonum publicum et cbrfsttanos principes movere possem, laboravi. Nunc senex sum. mine pauper sum ; in eodem proposito sum, in eodem usque ad mortcin mansunis, si Dominus ipse dabit. Golubovich, op. Cit., p. 388.

Arrivé à Vienne, il présenta sa Petttto Raymundi in concilio gênerait. Il y demandait, entre autres, la défense d’enseigner l’averroïsme dans les universités, la reprise de la croisade, la fusion de tous les ordres militaires et l’érection de collèges de langues orientales. Cette fois ses démarches ne furent pas tout à fait vaines, car partiellement au moins sous son inspiration. (lolubovich, « p. cit.. 371, R. d’Aide, Poésies, p. l(>7, le concile décréta Mon de plusieurs chaires de langues arabe, grecque, hébraïque et cbaldéenne à Paris. Oxford, Bologne et Salamanque. Denifle-Chatelain, Chart.