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LUC (SAINT). LE TROISIÈME ÉVANGILE ET LA CRITIQUE TEXTUELLE 982

tion de critique littéraire qu’il n’y a pas lieu de traiter ici en détail. On ne peut cependant la passer sous silence, car, de la nature des documents dont disposait saint Luc et de la méthode qu’il a suivie dans leur utilisation dépend en grande partie la valeur qu’on est en droit d’attribuer, d’un point de vue purement scientifique, et en faisant abstraction de l’inspiration, aux renseignements d’ordre historique ou doctrinal que fournit le troisième évangile.

Le prologue même de l’évangile suffit à établir que saint Luc a connu et sans doute utilisé des écrits relatifs à la vie de Jésus. La comparaison détaillée du troisième évangile avec le second, telle par exemple que l’a conduite le P. Lagrange dans son commentaire (les résultats de cette enquête sont résumés dans l’introduction, op. cit., p. xlix-lxix), établit que saint Luc a connu l’évangile de saint Marc, qu’il lui a emprunté les grandes lignes de son œuvre, et souvent l’expression elle-même.

Pour les discours, où la parenté est plus grande entre le premier et le troisième évangile, il ne semble pas possible d’expliquer cette parenté en supposant que saint Luc avait entre les mains notre premier évangile actuel, et il est malaisé de trouver une solution entièrement satisfaisante du problème de la relation entre Matthieu et Luc. La théorie un peu simpliste des deux sources, telle qu’elle a été acceptée pendant un certain temps par la majorité des critiques, apparaît de plus en plus insuffisante, indépendamment même de son désaccord avec la tradition ecclésiastique sur l’ordre de composition des synoptiques. Le P. Lagrange, pour sa part, incline à croire que saint Luc aurait eu entre les mains tout au moins des extraits en grec du premier évangile, comprenant les discours dans leur ordre actuel. On ne saurait dire non plus avec certitude si saint Luc a puisé dans une ou plusieurs sources écrites ou s’il tient simplement de traditions orales les récits et discours qui lui sont propres.

Il faut certainement faire une large part dans ses informations à la tradition orale, car le prologue même de l’évangile indique qu’il prit soin de consulter les premiers témoins des faits que l’auteur devait raconter. Parmi ces témoins dont il a pu obtenir des renseignements particuliers, il faut mentionner, après saint Paul, d’abord les apôtres avec qui saint Luc fut en relations, et, parmi eux, spécialement saint Jean (on a remarqué que cet apôtre est plus souvent mentionné dans le troisième évangile, et que l’évangile de saint Jean est en rapport plus étroit avec celui de saint Luc qu’avec les deux autres synoptiques, cf. Claddcr, Unsere Evangelien, Fribourg, 1918, p. 179-188), mais aussi sans doute les femmes de l’entourage de Jésus à qui saint Luc a fait une plus grande place que les autres évangélistes, par exemple Jeanne, femme de Chuza, procureur d’1 brode viii, 2, et surtout Marie, mère de .lésus, qui doit être tenue pour la source principale, tout au moins indirecte, du récit de l’enfance du Sauveur par quiconque admet la pleine historicité de ce récit.

Quoi qu’il en soit du détail des sources utilisées par saint Luc, la comparaison avec le second évangile permet de se rendre compte de sa méthode historique et de la façon dont Il s’est servi des documents à sa disposition. S’il prend Marc pour guide, nulle part il ne le suit servilement, mais il s’en inspire avec Indépendance, modifiant le style, choisissant les traits, émond ; int les détails, tout en gardant l’essentiel, avec un souei (l’art qui donne à son œuvre une physionomie propre, et en fail un évangile vraiment grec. Mais cette liberl iquclle saint Lue traite ses sources et

dispose les matériaux de son récit n’empêche pas qu’il en reproduise fidèlement le fond, et les fasse entrer dam son œuvre sans altérations substantielles. Cf. Lagrange,

op. rit., p. xi. vin < il

IV. LE TROISIÈME ÉVANGILE ET LA CRITIQUE

textuelle. — Plus qu’aucun des évangiles, le troisième pose un certain nombre de problèmes de critique textuelle que le théologien ne psut ignorer.

Remarques générales.

Il convient de signaler

tout au moins l’hypothèse formulée par Blass à la suite de l’étude des témoins de ce qu’on nomme le texte occidental des Actes des Apôtres et du troisième évangile.

Cette forme du texte représentée principalement, on le sait, par le codex D et d’anciennes versions latines et syriaques, présente une proportion anormale de leçons remarquablement divergentes, dans les Actes des Apôtres surtout, et un peu aussi dans le troisième évangile, ce qui a conduit Blass à supposer que saint Luc aurait donné deux éditions successives de ses ouvrages. Il aurait écrit l’évangile à Antioche, puis en aurait publié à Rome une édition revisée ; les Actes, par contre, auraient été écrits d’abord à Rome, et une seconde édition plus correcte, plus châtiée aurait été publiée ensuite à Antioche. Le texte occidental représenterait dans l’un et l’autre cas l’édition romaine, c’est-à-dire pour les Actes la forme primitive, et pour l’évangile la forme revisée. — L’hypothèse de Blass a rencontré quelque faveur en ce qui concerne les Actes, certaines variantes du texte occidental de ce livre étant particulièrement caractéristiques. Mais, pour l’évangile, on s’accorde généralement à la rejeter, et à n’attribuer aucune réalité à la prétendue recension romaine reconstituée par Blass -.Evangelium secundum Lucam, secundum formam quæ videtur romanam, Leipzig, 1897. On a très bien montré que, s’il fallait admettre une double édition pour le troisième évangile, il y aurait à peu près autant de motifs pour faire la même supposition en ce qui concerne les deux autres synoptiques. Cf. Revue biblique, 1899, p. 168 sq.

2° Authenticité de Luc, XXII, 43, 44. — Ces versets propres au troisième évangile, qui rapportent la sueur de sang et l’intervention de l’ange consolateur dans l’agonie de Jésus à Gethsémani, sont considérés par certains critiques comme d’une authenticité au moins douteuse. Pour les catholiques, la question d’inspiration et d’authenticité au sens juridique est tranchée par le décret du concile de Trente sur l’authenticité de la Vulgate, car si ces versets n’ont pas été expressément désignés comme une des parties du texte biblique déclarées authentiques, il n’est pas douteux que, dans l’intention du concile, ils ne fussent visés. Quant à la question d’ordre littéraire de savoir si ces versets appartenaient au texte original de saint I. ue. elle reste libre, mais doit, scmble-t-il, être tranchée dans le sens de l’affirmative. Il est vrai que ces deux versets manquent dans quelques-uns des mss. grecs les plus importants, V Alcxandrinus et le Vaticanus en particulier, ainsi que dans un manuscrit latin, dans la version syriaque-sinaïtique, et quelques autres témoins moins notables ; tandis que, dans quelques au 1res, ils sont indiqués comme douteux, et que certains Pères, tels saint Hilaire et saint Jérôme, slgnalent des hésitations de. la tradition à leur sujet. Mais, d’autre part, on trouve des allusions à la sueur de sang ches les Pères grecs dès le iie siècle, en particulier dans saint Justin et saint Irénée, ce qui obligerait tout au moins à attribuer une date très ancienne à l’insertion d versets dans le texte du troisième évangile. Il ps plus facile d’en expliquer la suppression -i une époque comme le iv° siècle, où certains hérétiques ont pu

faire étal de ce passage, contre la divinité « lu christ, que d’en expliquer l’insertion : on a même, pour ap puver l’hypothèse de la suppression intentionnelle, une indication positive de saint l.piphane. Pour plus

de détails, cf, article Aoonib du Christ, t.i, col. 615-619, et Dtetlon. de la Bible, article Luc, t. tv, col 386 391