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977 LUC (SAINT). LA COMPOSITION DU TROISIÈME ÉVANGILE

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plaçait la rédaction des Actes à la fin des deux années de captivité passées par saint Paul à Rome, ce qui reporte la composition du troisième évangile à une date encore plus ancienne, vers l’an 60. Il faut remarquer, d’ailleurs, que ce retour de Harnack aux conclusions traditionnelles sur l’origine des deux écrits de saint Luc n’entraîne pas pour lui la reconnaissance de la valeur historique complète des Actes et du troisième évangile : les matériaux utilisés par Luc étaient, dit-il, en partie légendaires, et Luc, crédule de nature, était incapable de distinguer la légende de l’histoire.

L’autorité de Harnack ne réussit pas à rallier à la thèse traditionnelle sur l’origine du troisième évangile et des Actes la majorité des critiques. Ceux-ci continuèrent à porter leur effort sur la recherche des sources et la détermination des tendances, de l’esprit qui se révèlent dans ces livres.

Parmi les essais de solution les plus récents des problèmes que soulève la composition des Actes des Apôtres, il faut signaler une théorie nouvelle qui, formulée par le philologue Norden à la suite de ses études sur le discours de saint Paul à l’Aréopage et sur le prologue des Actes, Agnostos Theos, Leipzig, 1913, a été adoptée et développée par A. Loisy, et a servi de point de départ à son commentaire de ce livre, Les Actes des Apôtres, Paris, 1920. Cette théorie a pour base la distinction entre l’auteur primitif qui avait dédié son livre à Théophile et n’était autre que saint Luc, et un rédacteur qui plus tard aurait remanié, mutilé et, M. Loisy ne craint pas de le dire, sciemment falsifié l’œuvre originale dans un but apologétique, en vue d’établir la thèse de l’identité fondamentale du christianisme et du judaïsme et de concilier à la religion nouvelle la sympathie des autorités romaines. Le même rédacteur aurait fait subir à l’évangile primitif de saint Luc un traitement analogue, et le travail de la critique doit être de retrouver, dans le texte actuel du troisième évangile aussi bien que des Actes, sous les surcharges et et les altérations, les lambeaux de l’ouvrage original, ouvrage qui serait d’autant plus précieux que, d’après Loisy, saint Luc avait tracé de la vie de Jésus et des débuts du christianisme un tableau aussi exact qu’on peut l’attendre d’un écrivain incapable sans cloute de faire abstraction de sa foi chrétienne, mais du moins consciencieux et véridique. Sur la reconstitution possible de l’évangile primitif de saint Luc, en partant de l’hypothèse d’un remaniement ultérieur, cf. A. Loisy, Les écrits de saint Luc, dans Revue d’hist. et litt. relig. 1913, p. 364 sq, et Les livres du Nouveau Testament, Paris, 1923, p. 394 sq., Il est presque inutile de souligner que cette reconstitution repose sur des bases fortement subjectives, et que le critique enlève à saint Luc tout ce qui, d’après sa conception particulière de l’origine et de l’évolution du christianisme, ne pouvait se trouver dans une histoire authentique, et vraiment primitive, de Jésus.

/II. LA COMPOSITION DU TROISIÈME ÉVANGILE D’APRÈS IBS DONNÉES INTRINSÈQUES. — 1° Il faut d’abord examiner les objections que certains critiques tirent du contenu des écrits de saint Luc contre l’opinion traditionnelle relative à leur origine.

1. Les difficultés qu’on soulève contre l’attribution Int Luc sont tirées du livre des Actes plutôt que du troisième évangile, de l’impossibilité prétendue d’attribuer à un disciple de saint Paul un port rail de l’Apôtre qui ne s’accorde pas avec sa physionomie, telle qu’elle ressort des épltrcs authentiques, et une histolri débuts du christianisme qui serait en contradiction sur plusieurs points importants avec ce que nous en us par les lettres de saint Paul. Ce n’est pas ici le lieu de répondre a ces difficultés qui relèvent de la critique des Actes. Cf. sur ce point l’article Aci i I Dl 8 Api. rm s, les études de Harnack citées plus haut, les

travaux de Jacquier, Hist. des livres du N. T., t. iii, et Valeur historique des Actes des Apôtres, dans Revue biblique, 1915, p. 134-182, enfin, parmi les études les plus récentes, la contribution de C. W. Emmet, dans The beginnings of Christianily, Londres, 1922, part. I, vol. ii, p. 265 sq. et le Commentaire de Jacquier sur les Actes, Paris, 1926.

En ce qui concerne le troisième évangile, les adversaires de l’authenticité allèguent qu’il n’a pas une note paulinienne assez accentuée pour pouvoir être l’œuvre d’un disciple de l’Apôtre. — Il est vrai que certaines thèses caractéristiques de la théologie paulinienne sont absentes du troisième évangile, mais cela n’a rien de surprenant. Tout d’abord saint Luc, en historien fidèle, a dû ne pas vouloir mettre dans la bouche de Jésus l’expression théologique et les développements que, par le travail de sa pensée personnelle, sous l’action de l’Esprit-Saint, saint Paul a donnés à l’enseignement du Sauveur : on comprend très bien, par exemple, que l’évangéliste, tout en signalant à diverses reprises le rôle et la nécessité de la foi, v, 20 ; vii, 50 ; viii, 48 ; xvii, 19 ; xviii, 42, n’ait pas formulé, sous sa forme spécifiquement paulinienne la théorie de la justification par la foi. D’autre part, saint Luc devait s’inspirer des besoins des lecteurs pour lesquels il écrivait, besoins qui n’étaient pas les mêmes que ceux des chrétiens à qui saint Paul avait adressé ses épîtres : ainsi, les rapports du christianisme avec la Loi juive n’intéressaient guère les fidèles venus de la gentilité pour qui fut écrit le troisième évangile, on ne saurait donc s’étonner que saint Luc n’ait rien dit des idées de saint Paul sur ce problème, et même n’ait pas insisté, comme l’a fait saint Matthieu, sur les déclarations de Jésus à ce sujet.

Le seul fait qu’on pourrait alléguer contre l’attribution à saint Luc du troisième évangile, ce serait une opposition réelle, si elle existait, entre la doctrine qui se dégage de cet évangile et celle de saint Paul. Or, non seulement cette opposition n’apparaît nullement, mais une thèse tout a fait paulinienne, comme celle de l’universalité du salut, offert à tous les croyants, quelle que soit son origine, est, comme on le verra plus loin, col. 997, une des idées fondamentales que l’auteur du troisième évangile a voulu mettre spécialement en lumière, et l’idée bien paulinienne aussi, de la rédemption accomplie par la mort du Christ est formulée tout au moins dans les paroles de l’institution de l’eucharistie, que saint Luc rapporte exactement dans les mêmes termes que saint Paul. De plus, le vocabulaire même du troisième évangile trahit une certaine influence de la langue théologique de saint Paul : on y retrouve certaines expressions caractéristiques qui ne figurent pas dans les deux autres synoptiques. Sur ce dernier point, voir plus loin, col. 995.

2. Quant a la date du troisième évangile, on rencontre, si on la reporte avant 70, de réelles difficultés.

a) Iln’y apas lieu de s’arrêter beaucoup à celle qu’on tire du prologue même de l’évangile, d’après lequel, dit-on, il y aurait eu, avant l’œuvre de saint Luc, un développement déjà considérable de la littérature évangélique. Dans ce prologue, en effet, l’évangéliste se met dans le même groupe que, crux dont il signale les essais, non témoins oculaires des faits, niais auditeurs et disciples des témoins oculaires, et la façon même dont il indique l’objet de ces récits, « les faits accomplis parmi nous », i, 1, ne permet pas de supposer qu’il s’agisse de chrétiens de la seconde ou de la troisième génération.

b) L’objection qu’on tire des termes dans lesquels le. troisième évangile l nonce la prophétie du Sauveur sur la ruine de Jérusalem, xix.) :  ;. 1 1 : xxi, 20, 24, est plni sérieuse. Quand on compare, en effet, le texte de saint LUC avec les passages parallèles « les deux autres