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LOIS. LA LOI CIVILE


determinatira juns, il n’y a aucune difficulté, elle oblige en conscience au même titre, elle est en réalité divine. Si elle est pure positiva, malgré toutes les négations et toutes les pratiques contraires, on doit affirmer qu’une loi civile, pourvu qu’elle soit juste, oblige vraiment en conscience per se sub gravi quand elle commande ou défend :

a) L’Écriture sainte le dit en termes formels. Les textes de saint Paul déjà cités ont en vue les princes temporels dont il dit : Qui résistif potestati, Dei orclinationi resistil, qui autem resistunt, ipsi sibi damnationem incurrunt, subditi estote non solum propler iram, sed propter conscienliam. Rom., xiii, 2-5. On ne peut rien dire de plus clair : l’obligation existe en conscience, elle est grae puisqu’on peut en y manquant attirer sur soi la condamnation. Le prince est ministre de Dieu pour notre bien : Dei minister est tibi in bonum. Ibid., v, 4. Il faut conclure avec saint Pierre : « Soyez donc soumis à toute institution humaine à cause du Seigneur, soit au roi comme souverain, soit aux gouverneurs comme délégués par lui pour faire justice des malfaiteurs et approuver les gens de bien. » I Pet., ii, 13.

b) La doctrine des Pères et des théologiens est constante sur ce sujet : saint Augustin, après avoir dit que ceux qui, à l’exemple des trois Hébreux jetés dans la fournaise, désobéissent aux ordres injustes des empereurs auront une grande récompense, ajoute : Quicumque legibus imperatorum, quee pro Dei veritate feruntur, obtemperare non vult, acquit it grande supplicium. Epist., clxxxv ad Bonifacium, 8, P. L., t. xxxiii, col. 795. Et cela, parce que les princes qui portent des lois justes servent Dieu en favorisant le bien, en empêchant le mal.

Saint Bernard, pour recommander l’obéissance aux moines : Sive enim Deus, sive homo vicarius Dei mandatum quode unique tradiderit pari profecto obsequendum est cura, pari reverentia deferendum, ubi tamen Deo contraria non præcipit homo. De præcepto et dispensatione, c. ix, P. L., t. clxxxii, col. 871.

Saint Thomas, qui dit des lois injustes : hujusrr.odi magis sunt violentix quam leges, dit de celles qui sont justes : Siquidem juste sunt, habent vim obligandi in foro conscientiæ. Ia-IIæ, q. xevi, a. 4.

Et Suarez affirme, en alléguant le témoignage de l’École, que « le gouvernement, s’il n’est armé du pouvoir de contraintre, est inefficace et facilement exposé à la révolte. D’ailleurs le pouvoir de contraindre sans le pouvoir d’obliger en conscience est moralement impossible, car la contrainte, pour être juste, suppose une faute ; tout au moins est-il très insuffisant. Dans un grand nombre de cas, en effet, il ne suffirait pas à sauvegarder la liberté. » De legibus, t. III, c. xxi, n. 8.

L’Église a fait sien cet enseignement et l’a rappelé en diverses circonstances : « Ceux qui administrent la chose publique doivent pouvoir exiger l’obéissance dans des conditions telles que le refus de soumission soit pour les sujets un péché. Or il n’est pas un homme qui ait en soi ou de soi ce qu’il faut pour enchaîner par un lien de conscience le libre vouloir de ses semblables. Dieu seul, en tant que créateur et législateur universel, possède une telle puissance ; ceux qui l’exercent ont besoin de la recevoir de lui et de l’exercer en son nom… Dès lors, les sujets devront obéir aux princes comme à Dieu même, moins par la crainte du châtiment que par le respect de la majesté, non dans un sentiment de servilité, mais sous l’inspiration de la conscience. » Léon XIII, encycl. Diuturnum, 29 juin 1881.

Le même pape fait remarquer, ibid., que, pendant les persécutions, « l’erreur religieuse empêchait les empereurs païens de s’élever jusqu’à l’idéal du pou voir que nous avons retracé. Tant que les rênes du gouvernement furent entre leurs mains, l’Église a dû se borner à insinuer dans l’esprit des populations une doctrine qui pût devenir la règle de leur vie le jour où elles adopteraient les institutions chrétiennes. Aussi les pasteurs des âmes, renouvelant les », exemples de l’apôtre saint Paul, s’attachaient-ils avec le plus grand soin à prêcher < la soumission aux princes et aux puissances », Tit., iii, 1 ; la prière offerte à Dieu pour tous les hlmmes, mais nommément « pour les rois et les personnes constituées en dignité, selon qu’il est agréable à Dieu notre Sauveur ». I Tim., ii, 1-3. Les premiers chrétiens nous ont donné à cet égard d’admirables leçons : tourmentés avec autant de cruauté que d’injustice par les empereurs païens, ils n’ont jamais failli au devoir de l’obéissance et du respect, à ce point qu’une lutte semblait engagée entre la barbarie des uns et la soumission des autres. »

c) Cette conduite et cet enseignement sont confirmés par à’excellentes raisons : a. La loi civile en effet comme la loi ecclésiastique, dérive de la loi éternelle d’où elle tire sa force et sa vigueur : Per me reges régnant. Prov., viii, 15. Comme elle, elle a pour mission de nous faire tendre à Dieu, elle doit comme elle avoir le droit d’obliger en conscience.

b. La loi naturelle et la loi divine ne peuvent pas déterminer tout ce qui est utile ou nécessaire, il faut qu’une autre loi les applique aux circonstances de temps, de lieux, de personnes. La loi civile s’assimile en quelque sorte, promulgue, rend plus pratiques ces lois ; elle détermine les conditions dans lesquelles la propriété peut être transférée avec sécurité, ce qu’on doit faire pour éviter les accidents, etc. Il faut que celui qui légifère ait le pouvoir d’obliger en conscience

c. La loi naturelle et la droite raison nous ordonnent d’obéir aux lois portées pour le bien commun, nous sommes donc tenus d’y obéir en conscience. Les ordres d’un père à ses enfants, d’un maître à ses serviteurs obligent en conscience en raison du bien commun, de même ceux d’un prince à ses sujets.

d. Le nier serait la ruine de la société : « L’autorité est ce qui relie la terre au ciel…, elle est l’âme des sociétés et des familles, le secret de la vie de tous et de chacun. Y toucher méchamment, se lever à rencontre, la contester, et surtout la Vouloir détruire, c’est la grande impiété. » Gay, De l’obéissance, vers la fin de la I re partie.

L’obligation est per se sub gravi, ce qui veut dire que le péché est grave si : a. la matière est grave, ce qui dépend de la chose demandée, de la fin pour laquelle elle est demandée… ; b. si l’intention du législateur est d’obliger gravement. On peut en juger par l’insistance dans les paroles, la sanction ; par le sentiment commun ; par l’interprétation des hommes prudents.

Ce serait une erreur de croire que la loi n’oblige pas en conscience parce que le législateur ne croit pas en Dieu, ne croit pas à la conscience morale, car il est certain (sauf les cas des lois purement pénales) qu’il veut imposer ses lois par les meilleurs moyens qu’il connaît, donc, implicitement du moins, il veut obliger en conscience ; qu’il l’admette ou ne l’admette pas, il est toujours investi du pouvoir par Dieu qui commande par ses lois justes : » Si l’autorité de ceux qui gouvernent est une dérivation du pouvoir de Dieu même, aussitôt et par là même elle acquiert une dignité plus qu’humaine : ce n’est pas sans doute cette grandeur faite d’absurdité et d’impiété que rêvaient les empereurs païens quand ils revendiquaient les honneurs divins ; mais une grandeur vraie, solide, et communiquée à l’homme à titre de don et de libéralité céleste. » Encycl. Diuiurnum.