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LOIS. LA LOI N TI I ; I.I.I.L

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Existence.

Que l’homme possède cette loi morale,

appelée justement naturelle parce que Dieu la met dans notre âme en nous créant et qu’elle peut être connue par la raison seule sans le secours de la révélation, c’est ce qui résulte de l’enseignement de la sainte Écriture, de l’étude de la conscience, fortifiée par un grand nombre de témoignages.

1. Lorsque saint Paul, Rom., ii, 14-16, parle des païens qui ne connaissent pas la Loi mosaïque, il dit d’eux « qu’ils accomplissent naturellement ce que la Loi commande ; n’ayant pas la Loi, ils se tiennent lieu de loi à eux-mêmes ; ils montrent que ce que la Loi ordonne est écrit dans leurs cœurs, etc. ; » il suppose clairement l’existence dans tous les hommes de cette lumière morale naturelle.

2. Dieu se devait à lui-même et devait aux êtres qu’il créait libres de les conduire sans violenter leur liberté, par conséquent par un principe intérieur devant lequel ils se trouveraient responsables. Or « la conscience se révèle de fait et d’une manière claire et invincible pour tous, non seulement comme interprète de maximes morales qui plaisent à la raison, mais comme interprète de règles absolues et souveraines qui, au nom de l’autorité divine, s’imposent à la volonté ». Castelein, Morale, p. 391. Cela ne peut s’expliquer par le fait d’une révélation primitive qui, là où elle s’est conservée, a.subi trop d’altérations, ni par la raison humaine toute seule, incapable de savoir sans erreur quel est son bien. Il faut donc recourir à une transmission directe de la raison et de la volonté divine à la nature humaine, à une transcription, comme dit saint Augustin, faite dans les âmes humaines, de la loi éternelle même. Qu’elle le veuille ou qu’elle ne le veuille pas, la saine raison humaine trouve en elle quelque chose de plus fort, de pèus élevé qu’elle, un impératif auquel elle peut désobéir, mais qu’elle ne peut nier : « Tu dois faire ceci, éviter cela. »

3. La preuve par le témoignage est plus complexe, parce que la plupart des peuples ont manqué à quelque point grave de la loi naturelle : sacrifices humains, etc. Mais si l’on interroge avec sincérité l’histoire de l’humanité, on est forcé de reconnaître que, malgré les erreurs et les superstitions qui ont obscurci la conscience humaine, le plus grand nombre d’entre les principaux devoirs religieux, moraux et sociaux ont été reconnus par les peuples et dans les pays les plus différents. C’est une preuve suffisante pour admettre qu’une loi divine naturelle a été déposée dans le cœur de tous les hommes.

En tout cas, les témoignages écrits sont en faveur de l’existence de cette loi. Nous ne citons que pour mémoire quelques-uns des Pères de l’Église, leur témoignage se confond avec celui de la révélation. Tertullien se réfère en effet au texte de saint Paul quand il dit : Quæris igitur legem ? habes communem istam in publico mundi, in naturalibus tabulis ad quas et Apostolus solet provocare.De corona, P. L., t. ii, col. 83. Saint Ambroise la décrit avec complaisance : Ea igitur lex non scribitur, sed innascitur ; nec aliqua percipitur leclione, sed profluo quodam naturee fonte in singulis exprimitur. Epist., Lxxiii, n. 3, P. L., t. xvi, col. 1251. Ce qu’en ont écrit les païens nous intéresse plus ici, est même plus concluant pour nous.

L’Antigone de Sophocle traduit la pensée de l’antiquité quand, amenée devant Créon dont elle a bravé les ordres en donnant la sépulture à son frère Polynice, elle lui dit : « Je n’ai pas cru que tes édits, émanés d’un mortel, eussent la puissance d’annuler les lois non écrites, mais immuables des dieux. Ces lois, ce n’est pas hier qu’elles ont été promulguées, elles sont en vigueur de tout temps et nul ne sait quand elles furent données. » Antigone, v. 446-460. Voir aussi Œdipe-roi, v. 863-871. t De ces lois, l’Olympe

seul est le père, ce n’est pas l’homme qui les a faites… » Platon, si porté cependant à donner trop de droits à l’État, fit parler ainsi Socrate devant ses juges : « Si vouz disiez : Socrate, nous te renvoyons absous, mais c’est à condition que tu cesseras de philosopher, … je vous répondrais sans balancer : Athéniens, je vous honore et je vous aime, mais j’obéirai aux dieux plutôt qu’à vous. » Apologie de Socrate. On retrouve la même pensée exposée çà et là dans la République et le Gorgias. Dans le texte cité plus haut, Cicéron fait dépendre la loi naturelle de la loi éternelle : Hanc video, dit-il. sapientissimorum fuisse sententiam, legem neque hominis ingeniis excogitalam nec sciium aliquod esse populorum se dœternum quiddam. De legibus, t. II, c. iv. Il la décrit avec complaisance dans le Pro Milone, iv, 10. Est enim hœc non scripta, sed nata lex, quam non didicimus, accepimus, legimus, verum ex natura ipsa arripuimus, hausimus, expressimus ; ad quam non docti, sed facti, non instituti, sed imbuti sumus. Voir aussi XIe Philippique, xii, et un fragment cité par Lactance : Inslit. divin., t. VI, c. viii, P. L., t. vi, col. 660, 661 : Est quidem vera lex, naturse congruens, diffusa in omnes, conslans, sempiterna. .. Huic legi nec obrogari fas est, neque derogari ex hac aliquid licet, neque iota abrogari potest. Nec vero aut per Senatum, aut per populum solvi hac lege possumus. Neque est quærendus explanator, aut interpres ejus alius. Neque erit alia lex Romæ, alia Athenis, alia nunc, alia posthac : sed et omnes génies, et omni tempore, una lex et sempilerna et immutabilis continebit.

Objet.

La loi naturelle a pour objet tout ce qui

est bon en soi, præceplum quia bonum, dans nos devoirs envers Dieu, envers le prpchain, envers nous-mêmes. Ces devoirs trouvent leur expression :

1. Dans des principes tout à fait universels, comme celui-ci : il faut faire le bien et éviter le mal, que saint Thomas dit être le premier de tous. laUse, q. xciv, a. 2. En effet, comme la notion de l’être est la première de toutes, qu’elle est incluse dans toutes les autres, la notion de bien est la première dans l’ordre pratique, elle est incluse dans toutes les autres notions d’ordre pratique. Ce principe comprend tous les biens naturellement connus comme biens humains, il a l’avantage : a) de n’être réductible à aucun autre ; b) d’être tout à fait universel, puisqu’il est l’expression commune de tous les préceptes ; c) très simple et par conséquent intelligible à tous ; d) raison implicite des autres qui sont variés quant à la matière et quant à la forme. On l’exprime quelquefois autrement : Il faut aimer le souverain bien ; il faut vivre conformément à la droite raison ; ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qui te soit fait à toi-même. Mais ces formules, vraies et universelles aussi, exigent déjà pour être comprises un peu plus de réflexion. D’autres sont intéressantes et méritent d’être citées : Vivez conformément à la nature humaine considérée dans toutes ses relations essentielles ; — celle-ci qu’on peut rapporter à saint Augustin : « Aimez Dieu comme une fin et tout le reste pour lui. » Sermo de disciplina christiana, 3, 5, 6, P. L., t. xl, col. 670. Cette autre, plus explicite encore : Faites resplendir dans vos actions libres l’image d’un Dieu absolument saint imprimée en vous sous la forme d’une nature raisonnable. Cari ^Eger, Moralphilosophie, 1873, p. 63 sq. Ou bien celle-ci : Gardez l’ordre conforme à votre nature raisonnable comme étant divinement saint. Meyer, Institutiones furis naturalis, t. I, n. 284. Plus ou moins parfaites et complètes en elles-mêmes, plus scientifiques aussi, elles ne sont pas assez simples pour être facilement comprises. Les formules : Observer l’ordre, agir selon la raison, agir selon la vertu, sont suffisantes et ont le même sens.