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LIMBES. EXISTENCE DES LIMBES


aux enfants morts sans baptême un lieu de salut et de repos même en dehors du royaume des cieux.

Can. 3. Item placuit ut si

quis dicit, ideo dixisse Domi num : In domo I’atris mci

mansiones mullæ sunt, et in telligatur, quia in regno cce lorum erit aliquis médius aut

ullus alicubi locus, ubi beati

vivant parvuli, qui sine bap tismo ex liac vita migrarunt,

sine quo in regnum cœlorum,

quod est vita œterna, intrare

non possunt, A. S. Nam cum

Dominus dicat : Nisi quis

renatus fuerit ex aqua et Spi ritu Sanclo, non intrabii in

regnum cœlorum, quis ca tholicus dubitet participera

fore diaboli eum, qui cohæres

esse non meruit Cbristi ? Qui

enim dextra caret, sinistram

procul dubio partem incur ret. Denzinger-B., Enchirid.,

n. 102 bis, en note.

Quiconque prétend que les

paroles du Seigneur : « //

// a beaucoup de demeures

dans la maison de mon Père,

doivent s’entendre en ce sens

qu’il existe dans le royaume

des cieux ou ailleurs un lieu

intermédiaire où les enfants

qui ont quitté cette vie sans

le baptême vivraient heu reux, alors que sans le bap tême ils ne peuvent entrer

dans le royaume des cieux,

qui est (proprement) la vie

éternelle, qu’il soit anathème.

Car le Seigneur a dit : Qui conque ne renati de l’eau et de

l’Esprit n’entrera point dans

le royaume des cieux. Dès lors

quel catholique hésiterait à

proclamer camarade du dé mon, celui qui n’a point

mérité d’être cohéritier du

Christ. Celui qui ne sera pas

à la droite de celui-ci, sera

inévitablement à sa gauche.

On ne peut douter de l’authenticité de ce texte. Voir Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, t. n a, p. 191, n. 1. Saint Augustin n’afïïrme-t-il pas que les nouveaux hérétiques pélagiens ont été avec raison condamnés par les conciles catholiques et le Saint-Siège sur ce point : Novellos hæreticos pelagianos justissime conciliorum catholicorum et Sedis apostolicæ damnavit auctoritas, eo quod ausi fuerint non baptizatis parvulis dare quietis et salutis locum, etiam prseter regnum cœlorum. De anima et ejus orig., t. II, c. xii, n. 17, P. L., t. xliv, col. 505. Quelle est la portée doctrinale précise de cette condamnation ? D’après le texte même du canon et d’après le commentaire qu’en fait saint Augustin dans le texte cité, le concile vise l’existence d’un lieu intermédiaire tel que le rêvent les pélagiens. L’affirmation pélagienne impliquait équivalemment la négation de la coulpe, tout au moins celle de la peine due au péché origine] chez les enfants. Quod ausi non fuissent, nisi negarent eos habere peccatum originale, quod opus esset absolvi per ba[tismi sacramentum. Iste autem (Vincentius Victor) sicut catholicus dicit parvulos originali obstrictos esse peccato, et tamen eos ab hujusmodi vinculo sine lavacro absolvit, et post mortem tn paradisum misericors mittit ; post resurrectionem vero etiam in regnum cœlorum misericordior introducit. S. Augustin, ibid. Elle impliquait l’entrée temporaire pour les enfants dans le paradis du bon larron, en attendant le royaume des cieux et la résurrection. Non solum non eunt in damnationem parvuli, eisi nullum eos christianee fidei lavacrum a vinculo originalis peccati absolvat, verum etiam felicitate paradisi post mortem intérim perfruuntur, post resurrectionem vero etiam regni cœlorum felicitatem possidebunt. Hsec iste contra catholicam fundatissimam fidem numquid dicere auderit. Ibid., col. 506. Ne pas exclure du ciel les enfants morts sans baptême, affirmer que le baptême n’est pas nécessaire pour arriver au royaume des cieux, voilà ce qui va contre la foi, ce que saint Augustin et le concile condamnent quand ils rejettent l’affirmation pélagienne sur un lieu intermédiaire entre l’enfer et le ciel.

Le concile approuvé par le pape Zosime établit, il est vrai, une association entre le démon et les enfants morts sans baptême : quis catholicus dubitet participem fore diaboli eum qui cohæres esse non meruit Christi ? Qui enim dextra caret, sinistram procul dubio pailem incuriet. Il les place à gauche. En cela, il est sans doute l’écho de saint Augustin, et, selon la

vraisemblance historique, se représente l’état des enfants morts sans baptême sous le même aspect que le docteur d’Hippone. Mais il ne parle ni de tourments, ni de flammes, ni de douleurs. A tout prendre, ce texte peut se concilier avec l’affirmation de l’existence des limbes. Celui qui croit à cette existence reconnaît que l’enfant est exclu de l’héritage du Christ, par le fait qu’il n’est point à droite parmi les élus du Christ, et qu’il reste à gauche d’une certaine façon sous l’empire du démon.

Plus consciente de la distinction profonde qui existe entre la nature du péché originel et celle des péchés personnels, la tradition postérieure distinguera mieux entre les sorts différents faits à ceux qui sont exclus du royaume des cieux en conséquence du péché de nature, et ceux qui en sont chassés pour leurs péchés personnels. Conformément à l’idée commune dont témoignent saint Augustin et le concile de Carthage, elle continuera à affirmer que les enfants ne sont exempts ni de coulpe ni de peine, elle les exclura pour l’éternité du ciel ; en ce sens privatif, elle les associera au malheur des damnés ; ce faisant, elle ne rééditera jamais, comme on l’en accuse, la fable pélagienne. Mais au nom de la justice, elle assignera aux enfants en dehors du royaume des cieux un sort spécial en rapport avec les conséquences du péché originel.

L’opinion de saint Augustin n’est d’ailleurs qu’une conséquence logique d’une conception confuse de la nature de ce péché. Cette opinion fera sentir son influence dans l’Église latine aussi longtemps que la réflexion théologique n’arrivera point à une notion plus nette de la nature du péché originel. Elle régnera pendant sept siècles. Cependant, même pendant cette période, il faut citer chez des augustiniens l’affirmation de certains principes d’où, logiquement, on devait déduire un jour l’existence d’un état et d’un lieu intermédiaire entre le ciel et l’enfer, pour ceux qui meurent avec le seul péché originel.

Saint Grégoire le Grand affirme clairement comme saint Augustin la condamnation des enfants au feu éternel de l’enfer : Perpétua quippe tormenta percipiunt el qui nihil ex propria voluntate peccaverunt. Moralium, l.IX, c. xxi, P. L., t. lxxv, col. 877. En dehors de l’enfer des damnés, il ne connaît que Yinfernus superior pour les justes de l’ancienne Loi : Nec tamen ita justorum animas infernum dicimus descendisse, ut in locis p&nalibus tenerentur. Sed esse superiora inferna loca, esse alia inferiora credenda sunt ut et in superioribus justi requiescerent, et in inferioribus injusti cruciarentur. Moralium, t. XII, c. ix, col. 993. En cela, il est simplement l’écho de la tradition augustinienne. Mais voici le principe de justice qui implique l’affirmation des limbes comme sanction du seul péché originel : le péché originel n’a pas les mêmes conséquences que le péché actuel. Saint Grégoire applique ce principe aux justes de l’Ancienne Loi. Ils étaient retenus dans Yinfernus superior en raison de la faute originelle, mais n’y souffraient pas de supplices parce qu’ils n’avaient pas de fautes personnelles. Sancti adhuc ab inferni locis liberari non poterant, quia needum venerat qui illuc sine culpa descenderet, ut eos qui ibi tenebantur ex culpa liberaret. Et quia in ipsis quoque inferni locis justorum animæ sine tormenlo tenebantur, ut et pro originali culpa adhuc illuc descenderenl, et tamen ex propris actibus supplicium non haberent, quasi in tenebris lectulum stravisse est in inferno sibi requiem préparasse. Moralium, t. XIII, c. xuv, col. 1038. Les enfants ne sont-ils pas dans le même cas que les patriarches ? ils ont le péché originel sans faute actuelle. Il est logique d’en conclure qu’il y aura pour eux le même lieu intermédiaire que pour les justes. Saint Grégoire pose le principe, mais ne tire pas la conséquence.