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717 LIEUX THÉOLOGIQUES » NOMENCLATURE ET CLASSIFICATION 718

groupait et dont elle signalait le siège, sedes, faisait récupérer au lieu théologique, d’une manière fort matérielle sans doute, la généralité que chaque lieu ou proposition de la dialectique possédait par soimême. Justement, Cicéron avait décoré ces marques distinctives et les sièges d’arguments qu’elles signalaient du nom de lieu, et son enseignement avait fait école, non seulement parmi les rhéteurs comme Quintilien, mais même parmi les logiciens. Cf. San Severino, loc. cit., et A. Lang, loc. cit. Et c’est ainsi que Cano fut amené à nommer lieux les sièges ou domiciles d’arguments théologiques apparentés, qui s’appellent l’Écriture sainte, les traditions apostoliques, l’autorité de l’Église, etc.

IV. Nomenclature et classification des lieux theologiquf.s. — Étant donné le lien tout matériel qui unira les principes des argumentations théologiques sous une enseigne commune, sous laquelle ils ont comme élu domicile, tanquam domicilia, c’est l’expression de Cano, il ne faut pas s’attendre à trouver, dans la nomenclature des lieux théologiques, la rigueur qui caractérise la classification des lieux topiques d’Aristote. Cano compte dix lieux théologiques sans s’illusionner sur la valeur de ce chiffre :.Serf de enumerationis figura nihil morandum est, modo nullus omnino locus vel superfluus numerctur, vel prætermittatur necessarius. De locis theol., t. I, c. m. Cf. A. Lang, op. cit., p. 87, note 2.

Les dix lieux de Cano sont : 1. l’Écriture sainte, telle qu’elle ressort des livres canoniques ; 2. les traditions du Christ et des Apôtres ; 3. l’autorité de l’Église catholique ; 4. les conciles, au premier rang les conciles généraux ; 5. l’autorité de l’Église romaine ; f>. l’autorité des Saints anciens, en l’espèce les Pères de l’Église ; 7. l’autorité des théologiens scolastiques, auxquels sont adjoints les canonistes ; 8. la raison naturelle, et les sciences qui la mettent en œuvre ; 9. les philosophes et les juristes, 10. l’histoire, documents et traditions orales, lbid.

Parmi ces lieux, les sept premiers font appel à l’autorité : ils constituent une première classe de lieux, les lieux propre* à la théologie, laquelle repose avant tout sur l’autorité : les trois autres font appel à la raison, ce sont des lieux théologiques annexes, adscriptitin ne velut ex alieno emendicata. Ibid., et t. XII, c. m.

La première série se partage, à son tour, en deux groupes, de caractères différents : les deux premiers lieux sont à mettre hors cadre, comme contenant toute la révélation, c’est-à-dire le donné même de la théologie : les cinq solvants n’ont qu’une valeur de conservation du dépôt, d’interprétation du donné, de transmission, De loris theol., t. XII, c. m.

cinq lieux propres, mais secondaires, se partagent à leur tour. Les trois premiers d’entre eux, Église, conciles, nape, se voient qualifiés pour fournir normalement des principes d’argumentation absolument certains : les deux autres, Pères et scolastiques, pour fournir normalement des principes probables, cf. saint Thomas, Sum. theol., I ». q. i, a. 8, ad 2’"" ; de Sch.TzIer, Introd. nd S. Throloainm, c. iii, a. 2, n.’'>, 4, mais dont la probabilité atteindra, selon Cano, la valeur d’une certitude absolue, dans le cas où leur unanimité dans une question L’rave ou de fni, oblige à considérer la sentence des Pères nu docteurs comme solidaire de l’Infaillibilité de l’Église, Cf. Deloclsth., I. VII. cm ; I. vin. c iv. cf. R.Martin, O.P., Principe » de la théolotte ttlleui théologiques, Revue thomtate, 1912, p. 199’"i

Nous aboutissons ainsi au tableau suivant :

I iriiT tlpoloKlrjilP* :

Propre* :

f’iniInmrntmiT :

-ifnrr Snlntr ;

Tradition* apottoliqur-v

déclaratifs :

efficaces :

Église catholique ;

Conciles ;

Magistère du pape,

probables :

Sajnts Pères ;

/ijéologiens scolastiques et canonistes. Annexes :

Raison naturelle ;

Philosophes et juristes ;

Histoire et traditions humaines.

A. Lang, op. cit., p. 88, 89, note 3, tout en admettant que la division des lieux indiquée par saint Thomas, loc. cit., en lieux nécessaires et probables est justifiée, estime qu’elle n’est pas clairement indiquée dans Cano. Il suffit cependant de lire le c. i du 1. I De locis pour l’y trouver : Decem reliqui libri erunt qui… doceant quam vim unusquisque locorum contineat, hoc est, unde argumenta certa, unde vero probabilia solum eruantur. Il eût été plus juste de dire que Cano, tout en maintenant cette division de ses lieux en probables et certains, en a atténué la rigueur en faisant remarquer que, locus firmus argumentum quandoque prsebet non firmum, et réciproquement, t. XII, c. xi, in principio.

V. La double tache du théologien.

1° « De même que l’art du dialecticien consommé n’est parfait que s’il sait trouver, et s’il sait juger, de même le théologien doit être versé non seulement dans l’Invention, mais dans le Jugement pour que son art de disserter en théologie soit achevé au point de confirmer ses dogmes et de réfuter les erreurs contraires. » De locis theol., t. XII, c. xi. Cano s’inspire ici de Cicéron, Topica, c. ii, qui lui-même déclare Aristote maître, princeps, en ce qui concerne ces deux actes fondamentaux de la dialectique. Aristote se trouve ainsi opposé, tant aux dialecticiens stoïciens qui se préoccupaient uniquement du Jugement, Cicéron, loc. cit., qu’aux académiciens qui cultivaient exclusivement l’Invention, sans se soucier de conclure par un jugement ferme en faveur de l’une des alternatives. Cf. San Severino, Philosophia christiana cum antiqua et nova comparata, Dialeclica, Introductio, éd. Naples, 1866, p. 142-14 1.

A dire vrai, si Aristote est le maître dans les deux opérations en question, il en a fait deux disciplines distinctes. La partie judicatrice de sa logique se trouve dans les Analytiques, où l’on apprend à juger avec certitude des conclusions résolvant les questions posées, en les ramenant par un raisonnement correct, Premiers analytiques, à leurs principes propres, évidents de soi et nécessaires, Seconds analytiques. La partie inventrice de la même logique, constitue la Dialectique, et même, à des points de vue inférieurs, la Rhétorique et la Poétique, comme, l’a noté saint Thomas, dans la si claire et si synthétique division de la Logique d’Aristote qu’il donne dans la première leçon de son commentaire des Seconds analytiques. Mais, ajoute saint Thomas, l’Invention aristotélicienne n’exclut pas le Jugement, tout au contraire : Nam inventio non srmper est cum certltudlne. Vndr dr his qu.T invrnta sunt judirium rcquiritur ad hoc quod errtitudo habentnr. Le but de la dialectique pour Aristote n’est pas. en effet, d’agiter les questions en manifestant simplement les preuves qui militent en faveur de chacune des alternatives, mais de déterminer l’assentiment de l’opinion ou de la foi, préliminaire de la Science. Pour cela, il faut, outre un argument correct, la réduction’des conclusions à des principes véritablement probables, et donc un lent qui porte tout A la fois sur la relation des conclusions aux principes dont on les tire et sur la vraie probabilité de ces mêmes, principes. Cf. Topir. ArtlL, 1. I. c. h. § 5, 1. VIII. c. mi. Ç 2. édit. Didot ; San Severino. Op. cit., eu, Introductio. édlt, Naples, . p. 100-102.